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Sunday 2 October - 27ème dimanche du temps ordinaire
Simples serviteurs
Par« Nous sommes de simples serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir ». J’imagine les anges, revenant de leur mission sur Terre, se prosterner en toute hâte devant le Trône de Dieu pour Lui chanter ces magnifiques paroles : « Nous sommes de simples serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir ». Les anges ne cherchent pas les applaudissements ni les témoignages d’admiration. Ils servent, voilà tout ; et ils y trouvent leur joie angélique !
Même si la lumière des anges gardiens se fond aujourd’hui dans celle – éblouissante - du Christ ressuscité, les dernières paroles de l’évangile de ce dimanche sont comme un hommage aux services qu’ils nous rendent. Ces amis fidèles, toujours là même quand nous dormons, même quand nous péchons ; ces amis-gardiens ne cherchent pas de gratifications… Nous leur en offrons d’ailleurs si peu !
J’imagine alors mon ange gardien, terminant sa mission journalière, sans me quitter, même dans mon sommeil, gagner la Cour céleste pour dire chaque soir au Seigneur : « Je suis un simple serviteur, je n’ai fait que mon devoir. J’ai veillé sur ton prêtre, aujourd’hui encore ; j’y ai trouvé ma joie d’ange ».
J’aimerais tant vivre si profondément uni à mon ange gardien, que ses pensées deviennent les miennes ! Et que je sois capable, moi aussi, de terminer chaque journée par cette offrande au Seigneur : « Je suis un simple serviteur, je n’ai fait que mon devoir ». Mais la tentation est parfois là, subtile, de m’attribuer les mérites de ce que je fais ou de ce que je suis.
Il est tentant, pour toute personne exerçant quelque service ou s’essayant à quelqu’amour, de se les approprier par des jeux de pouvoir ou des recherches de gratifications. Et même peut-être en famille, quand on prend du temps pour les siens : espérer une sorte de retour sur investissement. Se donner, d’accord ; mais il faut quand même que ça rapporte quelque chose !
Puissions-nous retrouver, en ce dimanche, la joie d’être ce que nous sommes : de simples serviteurs et de simples servantes. Trouver notre joie dans notre devoir. C’est beau, ça, le « devoir » : ce que l’on « doit » au Seigneur, parce qu’il est notre Dieu, et nous ses créatures.
Il est important de bien distinguer ce qui est exigé par devoir et ce que l’on offre par amour. Dans le décret sur l’apostolat des laïcs, le concile Vatican II disait : « Il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice, de peur que l’on n’offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice.[1] » Faire notre devoir, c’est de la justice devant Dieu et devant les autres ; pas de quoi être applaudi quand on fait ce qu’on doit. Et sans doute notre époque est-elle appelée à retrouver le sens du devoir, au lieu de revendiquer sans cesse des droits nouveaux.
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« Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir ». Cette parole qui devrait conclure chacune de nos journées n’est-elle pas, plus encore, celle qui devrait sortir de nos lèvres au jour de notre mort ? Et nous présenter ainsi devant le Seigneur, sans penser recevoir pour nos bonnes actions des « félicitations », comme si l’entrée au Ciel était un conseil de classe !
Se reconnaître simple serviteur, simple servante qui n’a fait que son devoir, c’est en fait recevoir l’entrée en paradis comme un pur don de Dieu. L’amour ne s’achète pas ; l’amour éternel encore moins ! Que penser d’un dieu qu’il serait possible d’amadouer par de bonnes actions pour mériter d’avoir une place auprès de Lui éternellement ? Non, le paradis est un pur don de Dieu. On ne peut donc y entrer qu’en confessant : « Je suis un simple serviteur, je n’ai fait que mon devoir ».
C’est pourquoi une traduction plus radicale de cette parole biblique semble intéressante à entendre aussi : non pas « nous sommes de simples serviteurs », mais : « nous sommes des serviteurs inutiles ». Ah, nous n’aimons pas nous sentir inutiles ! Mais c’est pourtant bien ce que nous sommes devant Dieu : nous ne Lui sommes pas « utiles », au sens où il n’a pas besoin de nous pour être Dieu.
Mais c’est cette inutilité, qui nous fait entrer vraiment dans la manière d’agir de Dieu : la gratuité ! Combien d’actes vraiment gratuits avons-nous posés cette semaine ? Seul Dieu, peut-être, est capable d’une gratuité sans mélange, sans qu’elle soit teintée d’aucun retour à soi.
Si la gratuité de Dieu est difficilement imitable – mais pourquoi ne pas essayer quand même ? – elle est en tous cas « comestible », si je puis dire. Nous pouvons « manger » la gratuité de Dieu ; c’est ce que nous faisons dans l’Eucharistie ! Nous communions à la gratuité divine, afin de devenir toujours plus « gratuité » pour les autres.
Saint Paul peut alors exhorter son ami Timothée en lui disant, dans la 2e lecture de ce jour : « Bien-aimé, je te le rappelle : ravive le don gratuit de Dieu ». C’est bien là notre devoir de serviteurs quelconques : raviver les dons de Dieu dans chaque instant de nos vies. C’est-à-dire ne pas manquer les occasions – et elles sont nombreuses ! – de saisir l’instant où le don de Dieu peut jaillir de nos coeurs pour servir les autres.
Le serviteur inutile devient alors indispensable pour que le Seigneur puisse toucher les cœurs et soigner les corps. Voilà ce que nous sommes donc : d’indispensables serviteurs inutiles ! Par une mystérieuse confiance en l’homme, le Seigneur ne veut pas se dispenser de nous pour donner au monde sa consolation, ses lumières ou ses appels à la conversion ; tout ce qui est si bellement résumé dans ce qu’on appelle « les œuvres de miséricorde ».
Ne nous servons donc pas de Dieu pour améliorer notre vie l Mais servons-Le pour améliorer celle des autres. Ainsi, nous serons « semblables à des anges », gardiens de nos frères, serviteurs de leur salut. Quel bonheur de suivre un tel chemin de vie et de pouvoir ainsi se présenter devant Dieu les mains vides, pour lui dire : « Nous sommes de simples serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir » ! Amen.
[1] Concile Vatican II, Décret sur l’apostolat des laïcs Apostolicam actuositatem, n°8.