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Sunday 5 February - 5ème dimanche du T.O.
Sans irénisme !
Par le père Ludovic FrèreNe succombez-vous pas facilement à la tentation de l’irénisme ? Irené, en grec, c’est la paix. Vouloir la paix est un très noble désir, bien entendu. Mais l’irénisme, c’est la recherche exagérée de la paix, au détriment de la vérité et de la justice. Nous en faisons peut-être parfois l’expérience, dans la vie de famille ou d’amitiés, mais aussi par-dessus tout dans la vie de foi : pour préserver un climat de paix, on renonce à la vérité.
Dans son encyclique Humani Generis, en 1950, le pape Pie XII mettait en garde contre - je cite - « un irénisme tel que, laissant de côté tout ce qui divise… il va jusqu’à envisager une conciliation des contraires, seraient-ils même des dogmes ».
Des décennies plus tard, nous percevons que cette tentation est toujours là, plus forte que jamais peut-être : dans un pays qui se déchristianise à grande vitesse, nous nous savons minoritaires. Nous ne sommes pas toujours bien vus, c’est le moins qu’on puisse dire, et la sublime intelligence du mystère chrétien est même parfois reléguée au rang d’un obscurantisme égal, ou à peine mieux, que celui des islamistes radicaux.
Dans un tel contexte, l’irénisme est pour nous une vraie tentation : taire la vérité - ou l’atténuer pour qu’elle passe un peu mieux… mais c’est en fait la même chose. Pour maintenir un climat de paix dans un repas familial ou dans une discussion amicale, on est prêt à renoncer à la vérité, on n’ose pas la proclamer. À se demander si on y croit vraiment !
Rester immobiles dans des salières bien fermées. Rester des lampes bien enfouies sous le boisseau... C’est sûr qu’on ne risque alors pas d’être critiqué. Mais nous l’avons entendu : Jésus nous demande d’être sel et lumière pour ce monde ! En fait, ce n’est même pas une demande qu’il nous fait, c’est un constat qu’il pose : « vous êtes le sel de la terre », « vous êtes la lumière du monde ». Il ne s’agit pas de le devenir, mais de reconnaître qu’on l’est vraiment.
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Or, puisque le sanctuaire du Laus est un formidable lieu de conversion, reconnaissons ici que l’une des plus essentielles parmi nos conversions consiste peut-être justement à accepter de tenir ce rôle de sel et de lumière, quels qu’en soient les risques ou les désagréments.
En ce sanctuaire, la servante Benoîte ne s’est pas laissée impressionner par de tels risques ni par le regard des autres. Elle aurait pu faire preuve d’irénisme. Ça aurait même peut-être servi en apparence le sanctuaire : dans des périodes où il était décrié, ça aurait sans doute évité qu’il ne se vide. Benoîte aurait pu faire profil bas, renonçant à la vérité pour maintenir une forme de paix ecclésiastique et de sécurité économique pour le Laus.
Mais son bon sens de paysanne l’en a toujours préservée. Elle savait qu’on ne peut abdiquer devant la force de la vérité. Elle était convaincue qu’en servant le Seigneur, par Marie, elle servait nécessairement la vérité ; et que renoncer à la vérité, c’était renoncer au Christ. Femme concrète, bien dans ses sabots, sans doute avait-elle justement puisé cet amour de la vérité en entendant dans cette église le prêtre prononcer ces paroles de Jésus : « Vous êtes le sel de la terre », « vous êtes la lumière du monde ».
Du temps de Benoîte, le sel était particulièrement précieux, avec la fameuse taxe de la gabelle. La lumière artificielle était précieuse aussi, bien plus rare qu’aujourd’hui – jamais Benoîte n’a connu une basilique éclairée comme nous la voyons désormais avec bonheur ! J’imagine alors la servante du Laus entendant ici même l’évangile de ce dimanche.
D’abord : « Vous êtes le sel de la terre ». Vu l’impôt sur le sel à l’époque, elle pouvait déjà comprendre dans ces paroles : « vous avez de la valeur ». Comme le Seigneur le révèle au prophète Isaïe : « Tu as du prix à mes yeux, et je t’aime » (Is 43,4). Quand on prend conscience qu’on est si précieux aux yeux du Seigneur, on ne peut pas rien faire de sa vie : « si le sel devient fade, avec quoi sera-t-il salé ? », demande Jésus. On ne peut pas répondre à Celui qui est la Vérité par un renoncement à la vérité. Nécessairement, on veut lui être fidèle, en paroles et en actes.
Alors, courage ! Acceptons cette mission, à l’image de Benoîte : elle s’est retroussé les manches, elle y est allée généreusement : au secours des petits, au chevet des malades, auprès des pécheurs pour qu’ils se convertissent. Elle a tenu tête aux raisonneurs qui lui disaient comme une évidence que le Ciel ne pouvait certainement pas rejoindre la terre.
Benoîte a été du sel pour cette terre du Laus. Sans doute ce lieu est-il depuis lors un grand lieu de grâces parce que le sel, qu’elle a reçu d’En-Haut par pure grâce et qu’elle a laissé se répandre par tout son être, continue à donner du goût à ce sanctuaire. Et il en a, du goût, ce lieu où l’on ne cesse de témoigner de grâces abondantes, délicates, douces et fortes à la fois. Ce sanctuaire ne manque pas de sel !
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Benoîte a aussi été lumière. Lumière pour éclairer les cœurs et les consciences, elle a illuminé cette église de sa présence. Elle y a veillé comme un lampadaire veille sur une rue où passent des gens de tous âges, de toute condition. Elle a répondu à l’appel du Christ : une lampe « on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison ». La servante du Laus a été lumière pour cette basilique, et je suis certain qu’elle se réjouit aujourd’hui de la voir si lumineusement restaurée. Le nouvel éclairage n’est alors jamais qu’un rappel de ce que fut la vie de Benoîte en ce lieu.
Plus encore cependant, ce nouvel éclairage proclame ce qu’elle y a reçu : la lumière de la Vierge Marie, si rayonnante que Benoîte se disait incapable de décrire précisément le visage de la Belle Dame. La lumière des anges aussi, chantant et virevoltant en ce lieu, comme nous le représenterons tout bientôt avec d’anciennes statues d’anges restaurées, qui trouveront place dans le chœur de notre basilique. Vous verrez, ça sera très beau : une présence lumineuse, comme si les anges relayaient ici la parole qui nous est adressée aujourd’hui à tous : « vous êtes la lumière du monde ».
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Frères et sœurs pèlerins, vous êtes venus jusqu’à ce lieu qui porte du sel et de la lumière. Nécessairement, c’est pour y raviver votre propre vocation à être sel et lumière. Une belle vocation, enthousiasmante et positive : car le sel ne reproche pas aux aliments de manquer de goût, il s’unit à eux pour relever leur saveur. La lumière ne blâme pas un lieu d’être dans le noir, mais elle s’offre pour le sortir de l’obscurité. « Vous êtes le sel de la terre… vous êtes la lumière du monde ».
Je suis curieux de savoir comment cela va se concrétiser, pour chacun d’entre nous, au cours de cette semaine. Mais ça peut faire des merveilles ! À chaque fois que nous irons dans un lieu, à chaque fois que nous rencontrerons quelqu’un, ce sera pour y être du « sel », donnant plus de goût et de joie. À chaque fois que nous entendrons parler d’un événement du monde, à chaque fois qu’on nous confiera une souffrance, ce sera pour y être « lumière » en apportant de la clarté, la clarté de la vérité.
Une semaine stupéfiante nous attend alors tous ! Il va y avoir du goût, il va y avoir de la lumière dans des centaines de lieux, de rencontres, d’événements. Alors, n’hésitons plus, frères et sœurs ; Laissons de côté les timidités et les peurs de toutes sortes. Et surtout, luttons contre l’irénisme et son faux respect des autres. C’est le moment d’apporter ce que nous sommes : sel et lumière, que nous venons d’abord nous-mêmes puiser dans ce grand mystère de l’Eucharistie. Amen.