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Saturday 19 December - Comment vais-je savoir ?
Samedi 19 décembre 2020 – Semaine préparatoire à Noël
Par le père Ludovic Frère, recteur
C’est une évidence quand on commence la lecture de l’évangile selon saint Luc : l’auteur a construit les premiers chapitres de son évangile comme un diptyque : vie de Jean-Baptiste, vie de Jésus. Logiquement, cette mise en parallèle de celui qui prépare le chemin et de celui qui est le Chemin commence par leurs deux annonciations. Demain, nous entendrons celle faite à Marie ; aujourd’hui nous est offerte celle à Zacharie.
Dans les deux cas, l’ange Gabriel fait une annonce magnifique ; et dans les deux cas, la réponse à l’annonce est d’abord une question. Zacharie demande : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? » et Marie interroge : « Comment cela va-t-il se faire puisque je suis vierge ? » On pourrait penser que leurs réactions sont quasiment semblables, mais il y a une grande différence entre « comment cela va-t-il se faire ? » et « comment vais-je savoir ? »
Notre chemin personnel de foi pourrait même bien se résumer à l’une ou l’autre de ces questions, qui révèlent en fait deux positionnements différents devant les imprévus de Dieu.
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La première direction, c’est celle prise par Zacharie. Il mène une enquête, il veut faire le tour de la question : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? » L’acceptation est conditionnée par la vérification de la promesse sur l’instant. Pas de place pour faire confiance.
Il peut nous arriver de réagir ainsi : avant de nous engager, avant même de faire un pas, nous voulons des assurances : savoir où ça va mener, ce que ça va coûter, ce que ça va rapporter, ce que les autres vont en penser. On ramène alors le mystère à soi, on le réduit en le faisant passer par l’entonnoir de notre pensée personnelle.
La conséquence, nous la voyons chez Zacharie : il se retrouve muet. Je ne pense pas que ce soit une punition ; c’est plutôt une conséquence. Car le prénom « Zacharie » signifie en hébreu « faire mémoire ». Au lieu de demander une preuve, Zacharie aurait dû se fier à son nom et faire mémoire des merveilles du Seigneur.
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Il se serait ainsi plongé dans la magnifique histoire de l’Alliance. Il aurait fait mémoire de tout ce qu’il connaissait par cœur : ce qui arriva à Abraham et à Sarah : comment ils mirent au monde un enfant alors qu’ils étaient très âgés. Zacharie aurait pu se souvenir aussi de Manoah et sa femme stérile, qui mirent au monde Samson, comme nous l’a rappelé la première lecture.
Mais Zacharie ne fait pas mémoire. Il ne pas fait retour sur les promesses accomplies, il s’enferme dans sa situation présente qui lui paraît bien compliquée. Il n’a pas fait mémoire, et comme on dit : quand on n’a plus de mémoire, on n’a plus rien à dire. Il se retrouve alors muet, comme nous sommes muets devant les imprévus de la vie si nous manquons de faire mémoire de la Parole de Dieu, des merveilles qu’il a déjà accomplies pour nous et de sa présence fidèle dans nos vies. Tout cela se trouve balayé devant une annonce déstabilisante, et nous nous retrouvons sans voix, comme Zacharie.
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Notre foi peut cependant prendre une autre direction : celle choisie par la Vierge. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la jeune Marie ne manque pas de faire mémoire des merveilles du Seigneur ! C’est le grand chant du Magnificat. Marie sait que Dieu fait tout pour le bien de son peuple, comme il l’a toujours promis, et que jamais il ne reprendra sa parole. Marie fait mémoire ; elle y trouve sa force et sa joie, devant cette annonce déconcertante et formidable.
La jeune Marie ne manque cependant pas de poser une question : « Comment cela va-t-il se faire ? » Elle ne demande pas une preuve ; elle demande la grâce de saisir le sens de ce qui arrive. Car la foi n’est pas l’acceptation du non-sens ; on ne « gobe » pas n’importe quoi quand on est croyant. Mais cette recherche du sens est ouverte par En-haut, elle n’est pas fermée sur notre esprit qui pense pouvoir tout maîtriser. La foi se trouve là : dans l’accueil d’un sens, qui va permettre la confiance par-delà le constat.
J’aime alors cette parole du peuple dans le livre de l’Exode, quand Moïse fait lecture du livre de l’Alliance : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons et nous comprendrons » (Ex 24,7). Non pas : nous le comprendrons et alors nous le ferons ; ça, c’est valable dans l’obéissance humaine. Mais dans l’obéissance à Dieu, nous faisons et nous comprenons. Tant qu’on reste un spectateur extérieur et qu’on attend des preuves les bras croisés, on est difficilement touché par la grâce. Par la bouche du prophète Isaïe, le Seigneur avait donc prévenu : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas » (Is 7,9).
Souvent, la raison humaine veut maîtriser les choses ; les « saisir », se les accaparer. Mais l’intelligence et la foi de Marie lui font estimer raisonnable de faire confiance à Dieu qui la dépasse. Elle comprend qu’elle ne peut embrasser toute la réalité du mystère seulement à partir de sa petite chambre visitée par un archange. Zacharie, lui, se trouvait dans le Saint des Saints, au plus proche de la mystérieuse présence de Dieu ; mais au lieu de se laisser saisir par elle, il a voulu se saisir des choses.
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À quelques jours de Noël, la Parole de Dieu nous appelle donc à ne pas vouloir saisir, mais à nous laisser saisir. Les récits de Noël, nous les connaissons par cœur. Mais laissez-les vous saisir cette année comme si vous les entendiez pour la première fois. Laissez-vous saisir par Dieu qui se fait nourrisson. Laissez-vous saisir par la Parole qui se fait silence, par l’Infini couché dans la paille. Faites alors mémoire de toutes les merveilles que le Seigneur a accomplies dans votre vie jusqu’à aujourd’hui, et soyez disposés à ce qu’il en accomplisse davantage encore… Bien davantage, jusqu’au Ciel !
Maranatha, viens Seigneur Jésus.