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Sunday 4 March - 3ème dimanche de Carême
Renverser les étalages des marchands
Par le père Ludovic Frère, recteurBientôt 20 jours que le Carême a commencé ; jeudi, ce sera la mi-Carême. Alors, la question se pose : où en êtes-vous ? Où en êtes-vous de ce « combat spirituel » dans lequel nous étions invités à entrer avec toute l’Église dès le mercredi des cendres ?
Nous entendions alors cette prière : « Seigneur, fais-nous commencer saintement, par une journée de jeûne, notre entrainement au combat spirituel ». Oui, le temps du Carême est un temps d’entrainement au combat. En fait, c’est un concentré sur 40 jours du combat spirituel de toute la vie. Combat contre les égoïsmes et les aveuglements ; combat contre Satan et contre nos péchés ; combat contre la pauvreté et les injustices. Le Carême, c’est aussi un combat « pour » : pour plus d’attention aux autres, plus de vérité ; un combat pour la vie, le combat des vivants ! C’est peut-être aussi l’occasion d’un combat plus résolu contre toutes nos mauvaises humeurs qui gâchent un peu, voire beaucoup, la beauté de l’existence
Franchement, au cours de cette semaine, n’avez-vous fait preuve de mauvaise humeur pour pas grand chose ? Bouderies et colères, propension à murmurer dès que ça ne se passe pas comme on l’avait décidé, ou parce que les routes ne sont pas assez dégagées quand il neige, ou parce qu’il fait trop froid en hiver. Il y a toujours des « pas assez » de ceci et des « trop » de cela. Alors, on râle. Avec ce lot d’impatiences et d’irritations devant les autres qui ont la mauvaise habitude d’être différents de moi et de ne pas penser comme moi… il est vraiment tentant de s’emporter pour tout et surtout… pour rien !
Mais aujourd’hui : on a l’impression que Jésus offre une grande consolation à tous les râleurs, les sanguins, les emportés : dans l’évangile, le Christ lui-même est mécontent et il le montre ! Sur le parvis du temple de Jérusalem, il s’emporte et met la panique. C’est le bazar : des pièces de monnaie courent dans tous les sens, les brebis bêlent tout ce qu’elles peuvent, les tourterelles s’échappent de leurs volières… Et qui est-ce qui va ranger tout ça ?
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Jésus ne s’est pas fait que des amis, ce jour-là… sauf peut-être les colériques qui sont rassurés de voir un Christ énervé ! Oui, ça fait du bien de pouvoir presque justifier nos sautes d’humeur par l’exemple d’un Jésus en colère… comme quoi, l’exemplarité du Christ, on la prend surtout quand ça nous arrange !
Ou plutôt : allons jusqu’au bout de cette exemplarité. Mettons-nous en colère pour les mêmes raisons que Jésus. Pourquoi s’emporte-t-il ? « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ». Quelle tristesse pour lui de constater que le temple de Jérusalem, signe de la présence de Dieu parmi son peuple, est devenu le lieu de marchandages de toutes sortes. Il ne peut pas le supporter : c’est trop d’ingratitude envers son Père et envers la dignité des vrais croyants. « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ! »
De toute façon, c’est bien clair : aucun commerce avec le Ciel n’est possible parce que le Seigneur n’est pas à vendre, vous ne pourrez jamais l’acheter. Même au prix d’une tourterelle ou d’un agneau, d’une bougie, d’une messe ou d’une demi-heure de prière… notre Dieu n’est pas à vendre, parce qu’il est tout Amour. Et comme dit le Cantique des cantiques : « Quelqu’un donnerait-il toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que du mépris » (Ct 8,7).
Alors aujourd’hui, Jésus balaye toute prétention à vouloir marchander avec Dieu. Parce qu’il veut qu’on respecte son Père éternel et sa maison de prière. Mais aussi parce qu’il nous respecte : alors, il nous veut libres, vraiment libres. Libres de la crainte de ne pas en faire assez pour mériter Dieu. Libres de toute angoisse de parvenir à plaire au Seigneur pour bénéficier de sa miséricorde et de son salut. Et s’il faut un fouet pour chasser des conceptions de Dieu qui nous emprisonnent, en même temps qu’elles réduisent sa Transcendance absolue, comptons bien sur Jésus pour le faire !
« Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce ! »
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Mais allons plus en profondeur encore dans l’accueil de cette Révélation : cette maison du Père qu’est le temple, Jésus révèle en fait que c’est sa propre personne : « détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai ». Ce temple, c’est lui. La destruction et le relèvement, ce sont sa mort et sa résurrection.
Mort et résurrection auxquelles nous sommes profondément associés par notre baptême et notre confirmation. Ce n’est plus nous qui vivons désormais, c’est le Christ qui vit en nous, comme le dit saint Paul dans la lettre aux Galates. Nos propres corps, nos propres personnes sont devenues demeures de l’Esprit Saint, maisons de Dieu ! La 1e lettre aux Corinthiens l’affirme sans détour : « Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c’est vous » (1 Cor 3,17).
Alors, si Jésus s’insurge parce que le temple n’est plus respecté, Il faut donc s’insurger comme Jésus quand on transforme nos corps-temples en maisons de commerce. Et c’est là que toutes les questions du rapport au corps et du respect des personnes trouvent leur fondement le plus sublime. Que ce soit dans les images pornographiques véhiculées en masse sur internet ou dans les questions bioéthiques qui se posent avec urgence comme dans la gestation pour autrui : dès qu’on transforme le corps humain, temple de l’Esprit Saint, en objet de commerce, on blesse le cœur de Dieu. On blesse le cœur de Dieu, son projet, sa bénédiction !
En tant que chrétiens, nous ne défendons pas d’abord une éthique, nous défendons un mystère : nous sommes les temples de la présence du Seigneur. Nous ne pouvons donc pas en faire des maisons de commerce. En aucune manière !
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Voilà donc que ce 3e dimanche du Carême nous offre 3 pistes à parcourir encore pour la suite de notre Carême, 3 pistes à partir des 3 dimensions du temple :
1er temple, celui de Jérusalem, signe de la présence de Dieu. Il nous interroge sur tous les marchandages que nous pensons pouvoir entretenir à l’égard du Seigneur. Or, n’oublions jamais que le Dieu Trois Fois Saint ne s’achète pas parce qu’il est toute gratuité, il n’est que DON.
2e temple, celui du corps du Christ : sa personne est le temple de la présence divine. Il sera mis à mort et il ressuscitera au 3e jour. Au cours du Carême, ravivons notre foi dans ce grand mystère qui est le pivot central de toute l’existence humaine.
3e temple, celui de nos propres corps : nous sommes les temples de l’Esprit-Saint, les tabernacles de la présence du Seigneur que nous allons recevoir tout à l’heure dans l’Eucharistie. Chacun de nous porte ce grand mystère. Respectons-le, chérissons-le à l’égard de nous-mêmes d’abord : émerveillons-nous de ce que nous sommes ! Et envers les autres, tous les autres : respectons et vénérons en eux la présence du Seigneur. Inclinons-nous devant la grandeur de l’être humain comme on le fait en passant devant un tabernacle : grand, parce qu’habité par la présence de Dieu.
Et s’il faut pour cela renverser les étalages de nos constructions intérieures, laissons le Christ le faire, même avec vigueur ! Laissons-le mettre le bazar en nous, jeter à terre les tables des changeurs de monnaie et bouleverser nos petits commerces intérieurs. Laissons-nous renverser par le Christ, car avec Lui quand on est renversé, c’est alors qu’on revient à l’endroit. Amen.