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Sunday 26 January - 3e dimanche du temps ordinaire, année A
Rendez-vous dans le fouillis
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireDepuis le retour d’Egypte, Jésus habitait à Nazareth. Il y était connu ; on imagine sans peine qu’il était d’ailleurs fort apprécié, tant sa personne devait rayonner la vie divine qui l’habitait. A Nazareth, Jésus avait son réseau d’amis et bien sûr sa mère, si proche de lui.
Mais voilà qu’aujourd’hui, il doit quitter le lieu de ses années de jeunesse, parce que Jean-Baptiste a été arrêté. La menace commence à planer sur le Christ. Viendra le jour où il affrontera ses bourreaux ; mais pour l’instant, il se retire, nous dit l’Evangile.
Cependant, il ne se retire pas pour fuir ; il se retire pour "préparer". L’arrestation de Jean-Baptiste sonne comme un appel : il n’est plus temps de vivre caché à Nazareth, il faut maintenant sortir et proclamer : « convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche » (Mt 4,17). Cette nouvelle étape, précédée du baptême et des 40 jours au désert, commence donc pour le Christ par un déménagement : de Nazareth à Capharnaüm. Du lieu de la quiétude au lieu de l’agitation.
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Capharnaüm : ce nom est d’ailleurs resté dans notre vocabulaire pour désigner ce qui est encombré, ce qui est en foullis. Le Christ a quitté la sécurité de ce qu’il connaissait pour venir habiter un lieu confus : n’est-ce pas le signe que le Seigneur vient visiter tous nos désordres ? Nous pouvons trouver là une joie profonde : alors que nos paradoxes et notre foullis intérieur pourraient nous faire désespérer de nous-mêmes, le Sauveur nous montre qu’il vient visiter même nos désordres !
Nous aimerions certainement Lui présenter davantage une vie intérieure bien ordonnée, où chaque chose aurait sa place, où tout serait impeccable. Mais nous nous épuisons à penser qu’il nous faut une vie bien rangée pour que le Seigneur commence à s’intéresser à nous. Il vient habiter Capharnaüm, il n’a pas peur du bazar, il connaît notre fouillis intérieur. Et c’est justement en laissant le Christ rejoindre et habiter ce fouillis que nous pouvons espérer pouvoir nous y retrouver davantage. « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades » (Mt 9,13), dira Jésus lui-même.
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Ce fouillis n’est cependant pas qu’intérieur. L’évangéliste précise que cette ville de Capharnaüm est en Galilée, une région qu’il définit comme « le carrefour des païens » (Mt 4,15). Le Seigneur vient donc à la croisée des chemins des païens, là où convergent des courants de pensées divers, des cultures et des modes de vie différents. Il se place là pour y proclamer : « convertissez-vous car le Royaume des cieux est tout proche ».
On comprend alors ce que le Seigneur attend de nous, ses disciples : si le Maître a pris des risques en se plaçant à la croisée des carrefours pour appeler à la conversion, nous savons où il faut nous placer nous aussi. Bien entendu, c’est certainement plus facile à dire dans une prédication faite à l’église, devant vous qui êtes sans doute déjà plus ou moins convaincus, que de vivre cette réalité dans le concret de situations quotidiennes.
Je suis vraiment impressionné des témoignages que je reçois, de la part de certains d’entre vous notamment, sur leur difficulté à même seulement s’afficher comme catholiques. Dans les milieux enseignants ou étudiants, dans le secteur de la recherche ou de la médecine, dans bien des Capharnaüms sociaux, être croyant c’est déjà être mis de côté, déconsidéré, moqué. Alors, quand on entend parler de l’appel à témoigner de sa foi, ça peut sembler impossible.
Mais nous voyons aujourd’hui le Christ venir habiter à Capharnaüm et se planter, pour ainsi dire, à la croisée des carrefours, là où les païens vont et viennent, cherchant à vivre, cherchant peut-être du sens à leur existence, ou cherchant sans doute juste à être aimés. Notre Seigneur nous montre alors l’exemple d’une attitude courageuse, comme était courageuse la manifestation pour la vie qui a eu lieu dimanche dernier à Paris et comme sera courageuse une autre manifestation, dimanche prochain, pour sensibiliser encore au délire culturel et éducatif dans lequel on conduit notre pays.
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Mais pour que ces attitudes courageuses soient vécues de manière juste et portent du fruit, les lectures de ce dimanche nous offrent deux points d’attention particuliers.
Le premier, c’est de faire de nous des éveilleurs. On ne peut se contenter d’interdire ou de faire des proclamations péremptoires ; il nous faut éveiller ceux qui sont dans la nuit à la clarté de la vérité. Le livre d’Isaïe nous disait en première lecture : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière » (Isaïe 9,1). Pour que notre monde ne marche pas dans les ténèbres, il lui faut percevoir qu’il y a bien quelque part une lumière. Alors, disciples de celui qui s’est révélé comme « la lumière du monde » (Jn 8,12), nous avons pour mission d’aider les autres à saisir que la lumière existe et qu’elle leur est accessible.
C’était bien le rôle assumé ici par Benoîte, pendant plus de cinq décennies : en appelant à la conversion de manière désintéressée, en dénonçant les péchés au nom de la vérité, en accueillant les pèlerins avec douceur, elle leur a montré la lumière, comme elle-même fut guidé par la lumière des anges au cœur des nuits de sa vie spirituelle. La servante du Laus, qui s’est préoccupé des pèlerins dans les situations très concrètes de leur vie, peut donc nous aider à trouver comment montrer concrètement aux autres la lumière dont ils ont besoin, sans toujours le savoir, sans forcément le vouloir.
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Mais la deuxième lecture nous présente un autre point d’attention pour être des porteurs de lumière dans notre monde. Saint Paul se plaint aux Corinthiens : « on dit qu’il y a des disputes entre vous » (1 Co 1,11). Il précise : « Chacun de vous prend parti : moi, j’appartiens à Paul, ou bien j’appartiens à Apollos » (1 Co 1,12). L’apôtre dénonce ces attitudes, qui ne peuvent porter de fruit. Pour vivre en chrétiens dans ce monde, il ne faut pas être des partisans d’un tel ou de tel autre, il faut être des disciples du Christ. Nous ne devons donc pas paraître aimer des idées, des valeurs, des meneurs, mais aimer le Christ. Et c’est parce que nous aimons Celui qui est « le chemin, la vérité, la vie » (Jn 14,6), que nous aimons la vérité et que nous défendons la vie.
Si nous ne sommes pas d’abord des intimes du Christ, nous apparaissons comme des idéologues. Notre force, c’est notre lien, notre proximité avec Jésus. Notre force, c’est d’avoir été déjà plongés dans sa mort et sa résurrection. Notre force, c’est de porter sur toute la réalité du monde la lumière d’un Dieu qui est venu parmi nous et qui continue à s’offrir, particulièrement dans l’Eucharistie.
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Dans les Capharnaüm du monde d’aujourd’hui, aux carrefours des nations, il nous faut être présents comme des disciples du Christ apportant sa lumière et convaincus de sa victoire. Notez que la phrase la plus solennelle du Pape François dans sa récente exhortation apostolique « la Joie de l’Evangile » se trouve en introduction, quand il demande : « j’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus-Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse »[1].
Cette union au Christ est la condition pour que notre témoignage chrétien porte du fruit, car il n’est alors plus de notre ressors : il devient l’agir du Christ lui-même, par une vie dans l’Esprit-Saint. Ne nous épuisons donc pas à vouloir convaincre les autres, quand il nous suffit de nous laisser habiter par l’Esprit-Saint pour que ce soit lui qui éclaire les consciences. Il est d’ailleurs infiniment plus doué que nous pour conduire au Christ !
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Frères et sœurs, voici donc où nous devons habiter : avec le Seigneur à Capharnaüm, au carrefour des nations. Habiter Capharnaüm avec le Christ, c’est indissociablement nous laisser habiter par l’Esprit-Saint : car nous sommes alors assurés de ne plus être des partisans, des idéologues défendant un héritage ou cherchant à se convaincre qu’ils suivent les bonnes valeurs ; dans l’Esprit-Saint, nous devenons chaque jour davantage de vrais disciples.
C’est encore dans l’introduction à sa lettre encyclique que le Pape François écrivait : « nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes »[2]. Au-delà de nous-mêmes, à Capharnaüm, en Galilée, à la croisée des cultures et des courants de pensée. C’est là que le Christ a choisi de venir pour dire « convertissez-vous, car le Royaume de Dieu est tout proche ». C’est là qu’il a choisi de venir. Et nous, où allons-nous ? Amen.
[1] Pape François, Exhortation apostolique Evangelii Gaudim, novembre 2013, § 3.
[2] Ib.id., § 8.