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Sunday 9 April - Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur
Rameaux greffés à la croix
Par le père Ludovic Frère, recteurDans les tempêtes de l’existence, la mort d’un proche, la maladie ou le découragement, à quoi vous raccrochez-vous donc ? S’accrocher à une petite branche, aussi bénie soit-elle, n’est certainement pas suffisant ; bien trop fragile, bien trop dangereux si cette branche n’est elle-même greffée à un arbre solide.
Les rameaux que nous avons tenus en main pour entrer dans l’église sont encore verts de la sève de printemps qui leur a donné vie. Mais pour les brandir aujourd’hui au chant du « Hosanna », il a fallu les couper de leur plant, comme pour nous interroger : où allons-nous désormais les greffer, pour qu’ils restent verts ?
Pour l’instant, vous les avez laissés là, près de vous ou déjà dans un sac. Mais écoutez-les qui vous parlent… si, si, prêtez l’oreille… ils nous interrogent, car ils sont en attente de ce qu’ils vont devenir ! Chacun de nos rameaux nous questionne : « Que vas-tu faire de moi ? Tu m’as offert un instant de gloire, en me cherchant avidement avant la messe. Tu m’as abreuvé d’un peu d’eau, tu m’as agité au chant de la fête… Mais maintenant, que vas-tu faire de moi, qui suis un rameau coupé de son arbre ? »
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Ces rameaux qui nous parlent aujourd’hui sont les descendants de ceux qu’on avait brandis devant le Christ, lors de son entrée à Jérusalem. Une foule impressionnante, agitant des branchages, étendant des manteaux, chantant à tue tête des acclamations de louange. Quelle fête ! Et là, tout près de Jésus, ses disciples, fiers comme des paons… C’était à celui qui se collait au plus près du Maître… Quand on pense que, quelques jours après, ils oseront dire qu’ils ne le connaissaient pas !
Nos rameaux sont donc les témoins, aujourd’hui comme hier, de cette grande comédie humaine. Et ne pensons pas trop vite en être prémunis. Ces hommes et ces femmes qui accueillent Jésus avec joie, ce sont les mêmes qui lui cracheront au visage quelques jours après. La triste comédie humaine, dans tout ce qu’elle a de plus pathétique, de plus dramatique ! Pour ma part, je ressens comme un vertige à l’idée que, pour sauver ma peau, j’aurais sans doute affirmé, par trois fois : « Je ne connais pas cet homme » !
Pilate, Caïphe, Pierre et Judas deviennent alors nos propres accusateurs. Nous faisons partie de cette humanité tout heureuse d’approcher ceux qui sont populaires, et avide d’hurler au visage de ceux que l’on accuse. Franchement, si vous aviez été devant la porte de Jérusalem ce dimanche-là, ou dans le jardin des Oliviers le jeudi, ou sur le chemin de croix le vendredi, auriez-vous agi différemment de cette foule ?
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Cette comédie humaine, Jésus la connaît bien ; pourtant, il ne la toise pas du haut de la petite ânesse où il s’est assis. Il la porte, cette comédie humaine ; il la porte et il la sauve, pour rapporter à l’humanité, sèche comme un rameau vieilli, la sève qui pourra lui redonner vie !
Voilà donc nos rameaux qui recommencent à nous parler. Ils nous interrogent : « Pourquoi nous avoir coupé de notre source de vie ? » Oui, c’est certain : ces rameaux verts vont bien vite se dessécher. N’espérez d’ailleurs pas seulement les maintenir en vie en les abreuvant d’un peu d’eau dans un vase. Toute vie en vase clos finit par l’assèchement. Il leur faut donc autre chose, à nos rameaux qui ne veulent pas mourir. Il leur faut entrer dans un mystère, afin que le printemps ne s’arrête pas là pour eux.
Nous ne sommes donc pas venus ce matin agiter naïvement des branchages, en espérant que ça protège efficacement contre les malheurs de l’existence. Si c’est ça, votre foi, évidemment qu’à la moindre difficulté, elle va passer du « hosanna » au « crucifie-le » ; car votre rameau, aussi beau soit-il aujourd’hui, finira bien par se rider… comme votre peau et comme toute gloire terrestre.
Que faire alors de nos rameaux ? Une seule solution. Le douloureux évangile de la passion vient de nous l’offrir en pleine lumière : les greffer à la croix ! C’est ce qu’on fait souvent, selon la tradition, en suspendant une branche de rameaux aux crucifix de nos maisons. Non pas comme une protection magique, mais comme une confession de foi : pour rester verts, nos rameaux doivent se greffer au bois sec de la croix, un bois qui, en apparence, ne porte plus la vie. Ça pourrait sembler paradoxal, et ils sont nombreux à refuser le mystère de la croix, parce qu’ils n’y voient pas le jaillissement de la sève, le sang du Christ. Mais un mystère de vie est en germe… vous verrez bien dimanche prochain !
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Alors, au cours de cette semaine, greffés au bois de la croix parce que membres du corps du Christ, une aventure immense nous attend. Ne la vivons pas à distance, n’en négligeons pas la gravité, ne passons pas à côté, en raison des vacances ou d’autres activités. Rien n’est plus important cette semaine que de suivre le Christ dans son dernier repas, sur le chemin de la croix, au sommet du Golgotha, dans la nuit de la tombe et au jardin de Pâques.
Comme un rameau reste vert s’il est greffé à l’arbre qui lui donne la vie, que nos propres vies soient solidement greffées à celle de Jésus au cours de ces jours saints, pour une véritable mort à nous-mêmes et pour recevoir du sang de sa croix la sève qui donne la vie éternelle !
Ainsi, dans la nuit de la vigile pascale, nous brandirons, comme aujourd’hui nos rameaux, les cierges brûlant de la flamme du feu nouveau. Et nous pourrons renouveler les lumineuses promesses de notre baptême. Nos rameaux seront devenus lumières, pris tout entier dans le mystère de Celui qui vient éclairer le monde. Et après cette nuit éblouissante, au matin de Pâques, nous reconnaîtrons qu’étant greffés à Lui, à la vie à la mort, nous sommes déjà ressuscités avec Lui. Tous les rameaux de nos existences pourront désormais rester bien verts, jusqu’à ce qu’ils soient placés par le grand Jardinier dans le jardin d’éternité.
Mais n’oublions pas, tout au long de cette semaine, que c’est seulement ce qui meurt en nous, qui peut ressusciter avec le Christ. Nos rameaux ont dû être coupés ; épreuve douloureuse pour eux, mais nécessaire. Il n’y a qu’ainsi qu’ils peuvent être greffés à l’arbre de la croix. Les rameaux qui sont restés tranquillement dans leur jardin, évitant d’être coupés pour la célébration de ce jour, finiront par mourir sur place, faute d’avoir osé mourir à eux-mêmes afin de vivre unis au Christ.
Mais c’est quand même pour eux tous que nous allons vivre ces jours saints. Pour que l’humanité entière soit davantage greffée à sa source de vie. Et qu’elle bénéficie, par les liens de nos greffes, de la grande victoire du Sauveur du monde : victoire de la vie qui vient anéantir la mort, victoire de l’amour qui vient tuer la haine, victoire du bien qui fait taire à jamais les puissances du mal. Victoire que les rameaux toujours verts de nos vies ressuscitées chanteront au Ciel par des « hosanna » éternels !
Amen.