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Sunday 27 October - 30e dimanche du temps ordinaire C
Qui s'abaisse sera élevé...
Par le père Ludovic FrèreIl est impressionnant, ce pharisien : pas de grands péchés, jeûnes fréquents, prière abondante, offrande du 1/10e de tout ce qu’il gagne… Il y a quelque chose de remarquable dans la vie de cet homme !
Mais le problème, c’est qu’il le sait, qu’il le dit, qu’il s’en glorifie devant Dieu. Enfin, devant Dieu, c’est une façon de parler : que Dieu soit là ou non est finalement bien secondaire pour lui. En fait, il n’a pas besoin de Dieu ; tellement rempli de lui-même, il ne Lui accorde plus guère de place. Et s’il le prie, c’est seulement pour Le convoquer, afin que le Seigneur l’applaudisse.
Certes, il commence sa prière en disant : « mon Dieu, je te rends grâce », mais en fait, il ne loue pas Dieu ; il attend pour lui-même des louanges. Pauvre homme ! Derrière son apparente satisfaction personnelle, il doit être en fait bien malheureux ; et il le découvrira sans doute un jour de sa vie…ou de sa mort.
Frères et sœurs, n’y a-t-il pas en nous un peu de ce pharisien ? Peut-être parfois pour nous rassurer, ou par un orgueil aveuglant, nous faisons la liste de nos mérites, en nous comparant à ceux qui sont selon nous moins bien que nous.
La prière véritable dans laquelle le Christ veut aujourd’hui nous faire entrer est au contraire une acceptation de nous libérer du « moi » envahissant pour que le Seigneur trouve un peu de place : « qu’il grandisse et que moi je diminue » (Jean 3,30), comme le disait Saint Jean-Baptiste. Et ainsi, la prière n’apparaît plus comme la revendication d’un droit à être entendu. Elle devient la reconnaissance de notre juste place de créature devant son Créateur ; un contact vital de celui qui n’est rien tout seul avec « Celui qui est » (Ex 3,15) de toute éternité.
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Depuis le premier moment de la création, et de façon très explicite depuis les premiers instants de l’incarnation, Dieu nous a montré comment il nous rejoint : dans la petitesse. Le Seigneur semble avoir décidé dans sa grandeur de ne pouvoir habiter que ce qui est petit. Il a pris chair dans l’humble servante qu’est Marie ; et il nous rejoint si nous devenons petits, comme il l’enseignera juste après cette parabole du pharisien et du publicain, en disant à ses disciples : « laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent » (Luc 18,16).
Frères et sœurs, le mystère de toute l’existence consiste en ceci : devenir petits. « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » (Luc 18,14). Cette parole est vraiment très claire ; mais d’où vient cette si violente tendance en nous à aller à son encontre ? « Qui s’élève sera abaissé » : pourquoi s’élever pour rien, pour du vent, pour si peu de choses alors que nous finirons cette existence terrestre abaissés dans une tombe, comme le Jour des défunts nous le rappellera lucidement samedi prochain ?
Alors, quelle bêtise nous fait choisir l’orgueil de vouloir si souvent avoir raison, dominer les autres, les séduire et agir pour nous faire applaudir ? Pourquoi tant de futilité, même parfois sous couvert d’une modestie qui n’est que timidité mais certainement pas humilité ? Pourquoi courir après du vent, pourquoi vouloir nous nourrir de vide ?
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« Le cœur de l’homme est malade est compliqué » dit le Seigneur par la bouche du prophète Jérémie (Jr 17,9) ; malade d’orgueil, surtout. Mais par pure grâce, nous avons un médecin, un remède, un traitement efficace, qu’il faut accepter de prendre à vie. Ce traitement, pour bien le suivre, il faut en lire la notice, qui s’appelle ˮla Bibleˮ. Elle nous précise que nous avons une vocation éternelle ; et qu’au regard de cette éternité, il est absurde de vouloir être important sur terre, supérieur aux autres, admiré et applaudit. Cette notice, Parole vivante, nous révèle de manière essentielle que notre ouverture à l’éternité doit éclairer chacune de nos attitudes sur terre, mais plus encore…
En effet, la parabole du pharisien et du publicain nous est présentée au chapitre 18 de l’évangile selon saint Luc. Le chapitre suivant rapportera l’entrée de Jésus à Jérusalem, sa dernière semaine avant sa mort et sa résurrection. N’est-il donc pas légitime d’entendre la parabole des deux hommes en prière à la lumière du mystère pascal qui approche ? A la lumière de l’humiliante passion, de l’abaissement de la croix, de la mise au tombeau et du relèvement au troisième jour.
Et que voyons-nous alors ? Nous découvrons que le seul juste, ce n’est pas ce pharisien, même s’il a une vie très vertueuse ; mais il n’est pas totalement juste, personne n’est parfaitement juste : « Tous les hommes sont pécheurs, dit saint Paul ; ils sont tous privés de la gloire de Dieu, lui qui leur donne d’être des justes par sa seule grâce » (Rm 3,23-24). Le seul qui aurait pu dire en vérité cette prière du pharisien, c’est Jésus. Mais il ne prend pas la posture supérieure du pharisien ; par sa passion, il va adopter celle du publicain, au point d’être mis au rang des coupables. « Lui qui est sans péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché » (2 Co 5,21), dit encore saint Paul. Jésus a pris l’attitude du publicain : et « c’est lui qui est devenu juste », conclut la parabole.
Le Sauveur aurait pu revendiquer son impeccabilité ; mais il a choisi la place du publicain, auquel il ressemblait bien moins quant à ses actes, mais bien davantage quant à ses dispositions intérieures. Lui, le Fils éternel, s’est abaissé. Et quand il affirme : « qui s’abaisse sera élevé », c’est d’abord assurément de son propre chemin. Abaissé sur la croix, abaissé dans la tombe, Jésus sera élevé jusqu’aux cieux.
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Refuser de nous élever orgueilleusement, choisir en permanence l’attitude de l’abaissement, c’est donc entrer au quotidien dans le mystère de Pâques. Si nous voulons que notre vie ait toute son épaisseur et qu’elle nous conduise assurément à l’élévation éternelle, il nous faut laisser le mystère de la mort et de la résurrection du Christ nous rejoindre dans tout ce que nous vivons. Il nous faut entrer toujours plus dans son mystère d’abaissement pour être élevé.
C’est ce que Benoîte Rencurel a pu comprendre ici, lors d’une apparition de la Belle Dame en compagnie de sainte Barbe et sainte Catherine de Sienne. Les Manuscrits du Laus rapportent qu’ « en l’année 1678, le jour de la fête de Sainte Barbe, la très digne Mère de Dieu apparut à Benoîte entre deux saintes, dont l’une portait une couronne éclatante et l’autre une couronne d’épines. Et la Mère de Dieu lui dit : "Ma fille, si vous voulez une couronne de gloire dans le ciel, il faut en porter une d’épines sur la terre" »[1]. Cette couronne d’épines, c’est celle de la passion du Christ : non pas qu’il faille forcément souffrir pour accéder au ciel, mais faut nous unir à la passion du Seigneur, c’est-à-dire à son abaissement, sans rien revendiquer, sans aucune supériorité sur les autres, sans répondre aux crachats par d’autres crachats.
Ce n’est donc pas seulement une manière de prier, mais toute une façon de vivre que la parabole de ce jour nous invite à choisir de nouveau. Le Christ a renoncé aux gloires terrestres alors qu’il pouvait légitimement les revendiquer ; à sa suite, nous ne pouvons pas non plus chercher de telles glorioles. Le Christ a obtenu la gloire éternelle ; nous ne pouvons pas nous contenter de quelques supériorités terrestres.
A quelques jours de la fête de la Toussaint, il nous est bon de contempler la vraie gloire à laquelle nous sommes appelés ; non pas quelques admirations terrestres, tellement éphémères et ambigües, mais la Gloire éternelle auprès de Celui qui n’est qu’amour.
En notre sanctuaire, les conseils, corrections, consolations et messages reçus par Benoîte Rencurel vont tous dans ce même sens, que l’un des quatre auteurs des Manuscrits commente ainsi : « ce que j’en dis, c’est pour ceux qui ont de la peine à se disposer à la mort, et qui ne veulent même pas qu’on leur en parle. Ces gens doivent bien savoir qu’ils ne sont pas immortels. S’ils se mettent cette vérité dans l’esprit, ils concevraient l’avantage de savoir quand ils iront rendre compte à Dieu du terme de leur vie. On devrait faire comme les voyageurs qui demandent toujours à leur guide s’ils sont encore loin et qui se réjouissent quand on leur dit le jour et l’heure auxquels ils arriveront. C’est pour une éternité à quoi on doit continuellement penser et faire aussi de bonnes œuvres, qui sont la monnaie qui fera entrer au séjour de la gloire »[2].
Amen
[1] CA P. p. 417 [463] – année 1678
[2] CA G. p. 74 II [120] – année 1672