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Sunday 31 August - 22e dimanche du temps ordinaire 350e anniversaire de la révélation du nom de Marie à Benoîte
Qui perd gagne
Par le père Ludovic Frère, recteurFrères et sœurs, je vous invite à partir 350 ans en arrière, à un ou deux jours près. Nous sommes au Vallon des fours, à quelques kilomètres d’ici. Depuis le début du mois de mai, une belle dame apparaît à une jeune bergère. Et voici qu’à l’issue de ces quatre mois, la bergère Benoîte lui demande son nom. Les Manuscrits du Laus rapportent alors : « l’excellente Dame lui répondit : "Je suis Marie, Mère de Dieu ». Elle dit « qu’il n’était pas nécessaire qu’on fit bâtir aucune chose en ce lieu du Vallon des fours, comme en effet le lieu était mal propre, et qu’elle avait fait le choix d’un autre, beaucoup plus agréable et revenant, à savoir le lieu du Laus, comme elle lui a indiqué par la suite » .
Nous célébrons donc ces jours, en notre sanctuaire, la fin de la première étape des événements vécus par Benoîte. La révélation du nom de Marie marque le terme des apparitions au Vallon des fours. Commence ensuite un mois de silence, jusqu’à la courte apparition de Pindreau, qui indiquera à la bergère le chemin du Laus. Et enfin, à partir du 30 septembre, le début des événements en ce lieu, qui deviendra sanctuaire.
Voyez comment le Seigneur permet à Benoîte d’expérimenter un chemin par étapes, comme l’est tout chemin de foi : les prémices, la révélation d’une identité, l’indication d’une route à suivre et l’installation dans une mission à vivre.
A bien écouter l’évangile de ce dimanche, on constate que Benoîte n’a fait que revivre le processus de révélation par lequel Jésus-Christ fait entrer ses disciples dans une vie à sa suite. L’évangile nous a d’abord rappelé ce que nous entendions dimanche dernier : après les prémices d’un temps vécu par le Christ avec ses disciples, le Père leur révèle son identité de Messie, Fils du Dieu vivant.
Ensuite, et même tout de suite, comme s’il ne fallait pas s’installer dans cette révélation pour elle seule, l’évangile d’aujourd’hui précise : « à partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem ». Comme Benoîte, qui ne doit pas s’installer dans le confort rassurant des apparitions quotidiennes au Vallon des fours, les disciples ne doivent pas se contenter d’en rester là : il s’agit de bouger, mais pas simplement pour éviter le ronronnement du quotidien ; il s’agit de bouger pour aller à Jérusalem, là où Jésus vivra sa Passion.
Pour les disciples, tentés comme Simon-Pierre de contourner l’épreuve, il va alors être question d’un choix décisif : partir ou rester, sachant que « si quelqu’un veut marcher derrière moi, dit Jésus, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». Il faut donc bien du courage pour oser répondre à une telle proposition de vie ; mais ce qui pourrait apparaître comme un choix audacieux réservé à quelques courageux se révèle en fait comme un choix nécessaire pour tous ceux qui veulent vraiment vivre pleinement leur existence sur cette terre ; ceux qui veulent vraiment correspondre à ce qui les habite en profondeur : car nous sommes tous faits pour ce chemin-là.
Le Christ le dit d’ailleurs clairement : « celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera ». Voilà la correspondance à ce pour quoi nous sommes faits ; la refuser, c’est se perdre : perdre ce qu’on est en profondeur sur cette terre, et se perdre éternellement par une coupure d’avec Celui qui est la source de la vie. Perdre sa vie, renoncer à soi, c’est donc le seul chemin qui peut nous maintenir vivants, dès cette terre et pour l’éternité.
Alors, frères et sœurs, depuis que nous avons été baptisés, combien de fois avons-nous "perdu" notre vie à cause du Christ ? Quelles occasions nous ont été données, et comment les avons-nous embrassées ou au contraire contournées, à l’image de Simon-Pierre espérant que la passion puisse être évitée ? Quand avons-nous vraiment "perdu" ? Pas seulement donné (car lorsqu’on donne, on garde la maîtrise de ce que l’on offre) ; pas seulement donné, mais perdu. Combien de temps avons-nous perdu pour le Christ et pour les autres ? Combien d’argent avons-nous vraiment perdu pour le Royaume de Dieu ? Combien de situations professionnelles ou relationnelles avons-nous choisi de perdre pour ne pas perdre notre âme ?
Car le Christ nous invite à situer notre regard sur le renoncement à nous-mêmes dans une perspective d’accomplissement de toute chose, donc de jugement dernier. Il nous a ainsi révélé, au terme de ce passage évangélique, que « le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors, il rendra à chacun selon sa conduite ». Nous faut-il des paroles plus claires pour comprendre la réalité de ce jugement sur toute notre existence ? Alors, quand nous nous présenterons, au terme de notre vie, devant notre Seigneur et Sauveur, qu’aurons-nous à lui montrer de ce que nous aurons renoncé de nous-mêmes ? Pourra-t-il constater ce que nous aurons choisi de perdre pour lui ?
« La crainte de perdre ce que l’on a nous empêche d’atteindre ce que l’on est », disait Arnaud Montebourg…enfin, je veux dire : disait saint Augustin, cité lundi dernier par Arnaud Montebourg : « La crainte de perdre ce que l’on a nous empêche d’atteindre ce que l’on est ».
La perspective de « perdre » peut nous faire ressentir angoisse ou vertige, car en fait nous n’aimons pas perdre. Mais aujourd’hui, le Seigneur nous invite à ne pas prendre l’exigence de perdre par le mauvais côté : et nous l’entendons, par la bouche de saint Paul, nous encourager : « Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu ; c’est là pour vous l’adoration véritable ».
Une offrande « par la tendresse de Dieu », précise l’Apôtre : une offrande dans la tendresse, non pas dans la violence ni dans l’austérité. Or, quand nous pensons "sacrifice" et "perte", nous pensons souvent dans un registre sombre, d’amoindrissement de l’élan de vie qui nous habite ; alors que l’offrande véritable, c’est au contraire un épanouissement de notre élan de vie.
Comprenons que le Seigneur ne nous demande pas de renoncer à vivre, de renoncer à être heureux ; mais il nous encourage à reconnaître que nous sommes vivants quand nous perdons de notre « moi » égoïste et égocentrique pour Dieu et pour les autres. Et pour que nous le saisissions en profondeur, il déverse sur nous sa tendresse. C’est ce que Benoîte va expérimenter ici : après les prémices au Vallon des fours, après la révélation du nom de Marie, après l’envoi en mission, c’est en ce lieu précis que la bergère va goûter, pendant 54 années, la tendresse de Dieu, la tendresse de Marie, qui lui donnera envie et courage pour donner sa vie en « sacrifice saint », en offrande joyeuse.
Laissons donc d’abord la tendresse du Seigneur nous rejoindre nous aussi. Laissons-la nous dire toute l’affection que le Seigneur nous porte, toute la douceur dont il veut nous combler pour que nous cessions de nous crisper sur des valeurs qui nous font perdre notre vie profonde et peut-être même notre âme.
Laissons la tendresse du Seigneur s’exprimer par la Vierge Marie, pour que son cœur de mère nous aide à vivre au quotidien tous les renoncements nécessaires à une vraie vie chrétienne.
Notre-Dame de la tendresse, Notre-Dame du perdre-sa-vie pour la trouver, priez pour nous. Amen.