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Sunday 18 January - 2e dimanche du temps ordinaire
Qui m’aime me suive !
Par le père Ludovic Frère, recteur« Qui m’aime me suive » : l’expression est bien connue. On la doit à Philippe VI de Valois, au cours d’une bataille de l’an 1328. S’interrogeant sur la fidélité de ses sujets, il s’exclame : « qui m’aime me suive ! » Mais c’est une expression qu’on croit presque entendre déjà dans la bouche de Jésus, quand il invite : « venez et vous verrez ».
On ne peut pas dire que le Seigneur cherche à convaincre pour se créer un grand groupe de disciples. Aucun argument, aucun embrigadement, une simple invitation : « venez et vous verrez ». Presqu’une certaine nonchalance aussi quand, quelques versets auparavant, saint Jean parle de « Jésus, qui allait et venait ». Le Seigneur ne s’impose pas ; il se contente de passer, comme s’il disait : « qui m’aime me suive ».
Mais remarquons d’abord que c’est sur les rives du Jourdain que le Christ choisit ainsi d’aller et venir, auprès d’hommes qui avaient donc déjà fait une démarche : ils s’étaient approchés de Jean-Baptiste, appelant à la conversion pour préparer les cœurs à la venue du Sauveur. Et c’est à partir de cet éveil intérieur que le Christ peut aller et venir sur le rivage pour se laisser interpeler : « où demeures-tu ? » et qu’il réponde : « venez et vous verrez ».
Nous comprenons alors ce qu’est un acte de foi en Jésus-Christ : de notre part, d’abord, il s’agit de prendre conscience qu’une vie sans conversion n’est tout simplement pas possible. Centré sur nos seuls désirs et sur notre regard limité, souvent piégé par nos complicités avec le mal, notre horizon est trop étroit pour répondre à ce qui nous habite. C’est ce que Jean-Baptiste éveille dans les cœurs de ceux qui l’approchent.
Puis, par cette prise de conscience, le Christ peut alors paraître sur notre rivage, à moins que ce soient nous qui ouvrons les yeux sur sa présence, lui qui était déjà là. Sans contraindre, il va et il vient dans notre existence, jusqu’au moment où nous percevons qu’il est là et qu’il suscite en nous un désir, celui de le suivre : « maître, où demeures-tu ? »
Au terme de notre vie, je pense que le Seigneur regardera surtout cela : aurons-nous été assez lucides, ou assez désireux surtout, pour reconnaître que notre vie laissée à elle seule ne peut s’épanouir réellement et que tout ce qui, en nous, est complicité avec le mal et la mort, a vraiment besoin d’être libéré et sauvé ? « Maître, où demeures-tu ? »
« Venez et vous verrez » : c’est la réponse du Christ, où plutôt non : pas une réponse, mais un immense appel d’air ! « Venez et vous verrez ! » Voyez combien la religion n’est pas une somme de règles impersonnelles, c’est la rencontre avec quelqu’un qui nous demande : « ça vous dit de me suivre ? » Quelqu’un qui nous invite à voir si ça nous convient : « venez et vous verrez » !
Cette image du Messie est bouleversante ; elle nous sort du concept d’obligation pour nous faire choisir la liberté d’une démarche personnelle, où il s’agit de voir si ça nous va ! Le Christ aurait pu arriver avec un discours apocalyptique, pour contraindre à se convertir sous peine de privation d’éternité ! Mais l’annonce qui remet en cause, il la laisse pour l’instant à Jean-Baptiste, et lui paraît ensuite : il n’y a donc pas abandon de la mise en garde, mais le fond de la démarche de foi consiste à susciter un choix libre et positif.
Peut-être aujourd’hui en sommes-nous spirituellement à la première étape, voyant surtout en Dieu celui qui prévient du danger qu’encoure notre âme à refuser la conversion. Peut-être en sommes-nous à une deuxième étape, percevant Jésus qui va et qui vient dans nos vies, entendant sa parole sans avoir l’impression toujours de pouvoir ou savoir comment l’approcher. Peut-être en sommes-nous à une troisième étape, entendant le Christ nous dire : « venez et vous verrez » ; et nous osons alors quelques pas hasardeux en sa direction. Peut-être en sommes-nous à une quatrième étape, celle qui consiste à demeurer auprès de lui, à rester avec lui et à y trouver notre joie.
Et peut-être sommes-nous un jour à la première étape, le jour suivant à la dernière ; il n’y a jamais d’acquis en matière de vie spirituelle, mais seulement une recherche permanente, plus ou moins satisfaisante, plus ou moins satisfaite. Mais quelle que soit l’étape spirituelle à laquelle nous en sommes, il y a quelque chose de profond à vivre et quelque chose de finalement assez simple à décider.
C’est ainsi par une simple question que le Seigneur nous demande ce que nous voulons vraiment : « que cherchez-vous ? » La question nous est sans doute posée aujourd’hui encore : frères et sœurs, franchement, que cherchons-nous en étant venus ici ce matin ? Nous pourrions, comme beaucoup, ne pas nous intéresser aux questions spirituelles ou ne pas consacrer de temps à la pratique religieuse. Que cherchons-nous vraiment en étant là aujourd’hui ? Qu’est-ce que je cherche par ma foi et ma pratique religieuse ?
N’est-il pas magnifique d’être les disciples d’un Seigneur qui ne nous dit pas : « silence et à genoux ! » Non, nous sommes disciples d’un Maître respectueux, qui nous demande : « qu’est-ce que vous désirez ? Qu’est-ce que vous cherchez ? »
Et sans doute que, pour bien répondre à cette question, il faut justement faire silence et nous mettre à genoux, car la réponse n’est pas tant dans nos désirs ou impressions du moment que dans le contact vital avec le Dieu tout-puissant et sauveur, sans lequel nous ne pouvons pas subsister.
Cette réalité vitale, le disciple André l’exprime ainsi à son frère Simon : « nous avons trouvé le Messie ». Je m’interroge personnellement – et peut-être le voudrez-vous avec moi – si ma manière de croire et de parler de la foi exprime cette simple affirmation : « nous avons trouvé le Messie ! »
Je me demande si nous ne laissons pas plutôt à voir ou à entendre que nous revendiquons des valeurs ou des convictions, plutôt qu’un étonnement : « nous avons trouvé le Messie ! » Il est important de défendre des valeurs, surtout dans un contexte social qui refuse souvent d’en parler. Mais avant tout, au-dessus de tout, c’est un enthousiasme que nous devons partager : « nous avons trouvé le Messie ! »
Trouvé le Messie comme on a trouvé un trésor ! Le Christ en fera d’ailleurs une parabole, quand il parlera du Royaume de Dieu : la parabole d’un champ dans lequel un homme a découvert un grand trésor et qui vend tout ce qu’il possède pour acheter ce champ. Oui, tout ce qu’il possède ! Car c’est un trésor que nous avons trouvé, non pas l’occupation d’une heure dominicale ! Un trésor et non une simple philosophie de vie !
Mais la deuxième lecture bouleverse encore notre démarche de foi. Car avant d’accueillir le Christ comme un trésor, nous devons entendre que c’est Lui qui nous voit comme son bien précieux, son propre trésor ! « Vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes, dit saint Paul, car vous avez été rachetés à grand prix ». C’est d’abord nous, le trésor pour lequel le Seigneur achète le champ, le champ de la terre entière ; il l’a payé au prix fort, celui de sa vie sur la croix. Alors, nous reconnaissons en Lui notre trésor parce qu’il a d’abord reconnu en nous son grand trésor, son bien précieux, pour lequel il mise tout !
« Venez et vous verrez » : ce n’est pas ici une affaire de théorie, c’est l’expérience d’une rencontre, sublime et joyeuse. Puissions-nous la vivre encore, la vivre ensemble, par l’Eucharistie de ce dimanche. Amen.