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Sunday 12 May - 7e dimanche de Pâques, année C
"Que tous soient un, comme nous sommes un"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
« Que tous, ils soient un, comme Toi, Père, tu es en moi, et moi en toi ».
« Que leur unité soit parfaite ».
« Ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé ».
Cette prière du Christ à son Père est d’une densité formidable. Entre la fête de l’Ascension, où nous avons vu Jésus monter vers le Père, et la fête de la Pentecôte, où nous célébrerons la descente de l’Esprit-Saint, nous voici comme suspendus dans un « entre-deux » entre Ciel et terre ; un « entre-deux » dont le lien est établi par la prière de Jésus lui-même à son Père.
Dans cette prière, nous découvrons que l’union au sein de la Trinité se présente comme le modèle et le fondement de l’unité entre nous. Et nous trouvons là plus qu’une motivation pour tenter de nous supporter les uns les autres ; nous trouvons bien plus qu’un effort de tolérance pour accepter nos divergences. Car, dans sa prière, Jésus demande que notre unité soit à l’image de celle qu’il vit avec son Père : « Que tous, ils soient un, comme Toi, Père, tu es en moi, et moi en toi ».
Si Dieu a voulu nous révéler la profondeur de son être trinitaire, ce n’est pas pour assouvir notre curiosité de savoir qui est Il vraiment ni pour accroître notre perception de l’abîme qui nous sépare de la totale compréhension de ses profondeurs. S’il s’est révélé Trinité, c’est notamment pour fonder et motiver notre propre unité.
Car si Dieu, qui est source et principe de tout ce qui existe, se révèle à nous « un » bien qu’il soit « trine » (Père, Fils et Saint-Esprit), nous saisissons alors que l’unité à vivre entre nous n’est pas au détriment de chacun de nous : l’unité n’est jamais pour amoindrir l’autre, ni au sien de la Trinité, ni dans aucune relation humaine. Elle est au contraire pour déployer la réalité de chacun. Voilà ce que le mystère trinitaire nous enseigne en profondeur, pour nous faire résolument quitter la crainte de perdre quelque chose si nous cherchons l’unité entre nous.
* * *
Or, souvent, nous percevons l’unité comme une menace pour notre intégrité personnelle, et c’est avec raison que nous refuserions de nous dissoudre dans un grand tout. Mais nous risquons alors de nous méfier de l’unité. On le voit, par exemple, quand il s’agit de prier pour l’unité des différentes confessions chrétiennes ; il y a ceux qui s’y engagent tête baissée, au risque de nier les différences dans un relativisme dangereux ; et il y a ceux que l’œcuménisme inquiète ou rebute, parce qu’ils y voient un risque de ne plus exister ou de donner raison à une autre confession que la sienne. Nous nous méfions de l’unité ; sinon, d’ailleurs, nous chercherions à la vivre avec plus d’enthousiasme. Mais comme nous avons peur d’y perdre quelque chose, nous hésitons à nous y engager.
Alors, puisque nous entrons ces jours-ci dans la saison des mariages, ce sacrement peut nous apporter un exemple éclairant d’unité. Nous savons que le Christ parle du mariage en disant : « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un ». L’unité ainsi vécue n’est pourtant évidemment pas une absorption de l’un par l’autre. « Tous deux ne feront plus qu’un » ne veut dire ni que les deux s’amoindrissent, ni que l’un l’emporte en annulant l’autre.
L’unité dans le sacrement du mariage n’est pas une dissolution des deux ou une domination de l’un sur l’autre ; elle est à l’image de l’unité trinitaire : « qu’ils soient un, père, comme nous sommes un ». Une unité qui ne nie pas les personnes qui la composent, mais qui au contraire les fait exister dans toute leur réalité et leur complémentarité. C’est d’ailleurs pourquoi, au passage, parler de mariage homosexuel est un non sens, la seule différence qui fonde la réalité humaine étant la différence homme-femme, à laquelle en veut substituer aujourd’hui la différence entre homosexuels et hétérosexuels. C’est un mensonge ontologique, un mirage anthropologique ; et aucune unité, en couple ou dans la société, ne pourra jamais se faire à partir d’une telle négation de la réalité élémentaire de la différence des sexes, qui nous a tous fait naître et qui nous structure.
Notre unité, nous la puisons dans la Trinité. Le Seigneur s’est révélé un seul Dieu en trois personnes ; par analogie, le couple marié est un seul couple en deux personnes naturellement distinctes par leur sexe. Et l’ensemble des disciples du Christ forment un seul corps en quantité de personnes, distinctes par leurs vocations et réalisant par-là le seul corps du Christ répandu à travers le monde.
Si nous fondons ainsi notre unité en couple, en famille, en voisinage, en communauté, en Eglise, nous comprenons que le point de départ ne consiste plus à défendre jalousement notre individualité. Si notre point de départ, c’est le seul corps que nous formons dans le Christ, nous comprenons que l’unité est la réalité la plus profonde et la plus épanouissante de notre être : d’abord, nous sommes un dans le Christ ; ensuite, nous nous reconnaissons membres différents, au service les uns des autres, à l’image des membres d’un corps physique, qui se soutiennent mutuellement sans jamais percevoir leur unité comme un risque d’y perdre quelque chose.
Saint Paul, dans la première lettre aux Corinthiens, emploiera fort justement cette image bien connue de l’unité du corps humain, pour nous faire comprendre que l’estomac serait fou d’entrer en concurrence avec le pied ; la langue irait à sa perte en voulant exister indépendamment du cerveau ; et ainsi de chacun des membres du corps. De même pour nous, qui opposons follement les prêtres et les laïcs, les contemplatifs et les actifs, les chrétiens de gauche et les chrétiens de droite… comprenons-nous que nous mettons en péril la vie du corps entier ?
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C’est pourquoi nous devons toujours veiller à l’unité du corps que nous formons dans le Christ ; un principe tellement invisible que nous risquons d’oublier que c’est lui qui nous fait vivre. Un principe tellement invisible qu’il n’est même pas mentionné dans la prière du Christ à son Père, que nous entendons aujourd’hui pour nous préparer à la Pentecôte. Ce principe, c’est l’Esprit-Saint. Il est tellement l’unité du Père et du Fils de toute éternité, que le Christ peut prier son Père en disant : « que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi », sans même mentionner l’Esprit-Saint.
Non pas qu’il soit absent, mais justement il n’est pas en plus de cette unité ; il en est le « en » : « Père, tu es en moi et moi en toi ». L’Esprit-Saint fait l’unité au cœur de la Trinité. De même, il fait l’unité de tous les membres du corps du Christ. L’Esprit nous cimente les uns aux autres, il nous relie d’un amour indéfectible, puisque cet amour c’est l’amour-même qui unit le Père et le Fils de toute éternité. Et c’est pourquoi Jésus peut dire, non pas comme un vœu pieux mais comme la plus profonde réalité de nos relations : « Père […], que leur unité soit parfaite ». Que leur unité soit l’Esprit-Saint, et non pas leurs rapprochements idéologiques ou leurs efforts pour se supporter. Que leur unité soit l’Esprit-Saint !
Frères et sœur, nous ne pouvons donc pas nous préparer à la Pentecôte sans reconnaître l’Esprit-Saint comme le principe de notre unité. Et le reconnaître, c’est aussi accepter d’être dérangés ; car en laissant l’Esprit qui unit le Père au Fils faire notre propre unité, nous acceptons de ne pas en rester à nos rancunes et nos rancoeurs, nos désirs d’avoir raison et nos comparaisons, nos jalousies et nos reproches si facilement adressés aux autres. Nous prenons la réalité dans l’autre sens, dans son vrai sens, dans son seul sens : par En-Haut, par l’Esprit-Saint qui vient déposer en nous et entre nous l’unité qu’il est Lui-même entre le Père et le Fils de toute éternité.
Ne chantons et ne prions donc pas : « Viens, Esprit-Saint » en ces jours de préparation à la Pentecôte, si nous ne sommes pas disposés à ce qu’il réalise en nous une telle unité. Notre neuvaine à l’Esprit-Saint doit ainsi nécessairement s’accompagner d’un désir d’unité, d’un désir de réconciliation avec les autres, comme notre sanctuaire du Laus le favorise si bellement. Cette semaine est donc un moment favorable pour les initiatives de réconciliation.
Vous êtes fâché avec un voisin ou un membre de votre famille ? Vous ne parlez plus à une personne de votre communauté chrétienne ou de votre communauté de séminaire ? Vous ne supportez pas un collègue de travail ? Vous avez coupé les ponts avec des amis, sans trop savoir pourquoi ?... Laissez l’Esprit-Saint faire son œuvre ! Laissez-le vous faire oser une démarche d’aller frapper à une porte, non pas pour demander des comptes, mais pour tendre une main. Osez vouloir l’unité ; même si elle vous est refusée, l’Esprit travaille toujours les cœurs. Osez cette unité qui témoigne que vous n’êtes pas en train de mentir en participant à cette Eucharistie et en communiant bientôt au même corps du Christ.
Le Seigneur nous dit aujourd’hui dans sa prière à son Père : « que leur unité soit parfaite ; alors, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé ».
« Alors, le monde saura » : pour que le monde découvrir que le Père a envoyé son Fils et qu’il a mis en lui tout son amour, notre unité doit être parfaite. C’est-à-dire qu’elle doit être celle de la volonté de l’Esprit-Saint et non de notre volonté propre, toujours crispée sur ses peurs de perdre quelque chose. « Alors, le monde saura que tu m’as envoyé ». Seigneur, viens faire cette unité ! Esprit-Saint, viens être en nous cette unité que tu es et que tu crées sans cesse ! Viens, Esprit-Saint !
Amen.