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Sunday 16 November - 33e dimanche du temps ordinaire
Prendre des risques
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Au nom de la stricte laïcité imbécile, qui prend en grippe la moindre référence chrétienne, il faudrait retirer le terme « talent » de nos dictionnaires laïcs. Car c’est bien cette parabole des talents qui a fait de cette pièce de monnaie le symbole d’un don personnel : « avoir du talent ».
A l’époque du Christ, un talent était l’équivalent de près d’une vingtaine d’années de travail. Le maître fait donc preuve de grande confiance, même à l’endroit du serviteur auquel il confie un seul talent.
On l’aura compris : ce maître, c’est Dieu Lui-même, qui nous prend au sérieux et nous confie beaucoup. Il nous a remis la terre à gérer ; il nous a confié notre propre vie, avec un corps et une âme dont nous devons prendre soin. Il nous a confié parfois un conjoint, une famille, une communauté chrétienne. Il nous a laissé un pays et un monde à transformer.
Mais le plus grand don, le plus grand talent que Dieu nous a confié, c’est l’Esprit-Saint. Au début du livre des actes des Apôtres, il promet : « vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit, qui descendra sur vous » (Ac 1,8). Voilà ce que Dieu nous laisse en gérance : l’Esprit-Saint, c’est-à-dire le lien d’amour en personne qui unit le Père et le Fils de toute éternité. « Une force », promet-il ! Une force, ça ne s’enterre pas.
Alors, l’Esprit-Saint déposé dans nos cœurs y est-il enfoui, tel le talent du serviteur peureux ? Où est-il déployé pour que nous fassions de grandes choses - ou même seulement de toutes petites - sous sa divine impulsion ?
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Remarquez qu’à son retour, le maître vient demander des comptes, mais il ne va récupérer ses biens. Il les laissera à ses serviteurs et leur offrira davantage encore, en leur donnant part à sa vie à lui : « entre dans la joie de ton maître », dit-il à chacun des deux premiers serviteurs.
Voyez : quand il reviendra, le Seigneur ne va pas récupérer sa mise, mais nous donner davantage encore, pour peu que soyons entrés dans son mouvement généreux, le mouvement de l’Esprit-Saint : il nous confie beaucoup, non pas pour reprendre, mais pour que nous apportions notre part et qu’il puisse ensuite nous donner davantage encore.
C’est en fait toute la vie de foi qui se trouve ici résumée, en trois actes : le don de Dieu, la participation humaine et la surabondance de joie éternelle. Le grand don de Dieu, c’est le baptême que nous l’avons reçu, quand nous avons été plongés dans la mort et la résurrection du Christ pour vivre de l’Esprit-Saint. Par sa passion, par son sang versé, Jésus nous a donné beaucoup, bien plus qu’une vingtaine d’années de salaire… il nous a donné d’avoir part à sa propre filiation avec le Père, pour vivre comme lui dans l’Esprit-Saint. Ça, c’est donné, gratuitement. Et quel talent !
Mais qu’en avons-nous fait depuis-lors ? « Qu’as-tu fait de ton baptême », demandait saint Jean-Paul II à la France, en 1980. Oui, qu’avons-nous fait de ce don, tellement plus grand que quelques talents ou quelques lingots ? Avons-nous enfoui notre baptême dans une vie ordinaire, avec les soucis et les désirs du monde ? Ou avons-nous cherché à faire fructifier la vie divine déposée en nous ?
Faire fructifier, c’est aller dans le sens de la dynamique de Dieu, la dynamique de vie. Et c’est ce mouvement qui se déploiera encore, lorsqu’à la résurrection des morts, nous entendrons : « entre dans la joie de ton maître », si nous n’avons pas enfoui notre baptême dans une vie de paresse et de peur.
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Le troisième serviteur n’a pas compris le cœur de son maître, sa générosité formidable, sa dynamique de don et de vie. A son retour, il lui dit sèchement : « voilà ce qui est à toi, reprends-le ». Mais le maître n’était pas venu pour reprendre, seulement pour se réjouir de la fructification et donner encore en faisant entrer dans sa joie.
Mais ça, le 3e serviteur ne pouvait pas le comprendre, parce qu’il s’était fait en lui-même une idée de son maître : « je savais que tu es un homme dur », confie-t-il. Rien de plus bloquant que le « je sais » qui enferme les autres. Il pensait savoir, mais en fait, ce serviteur ne savait pas ; il n’avait même rien compris au cœur de son maître.
Il lui rend un talent impeccable, certainement pas abimé par le temps, puisqu’il a été soigneusement enfoui. Un talent mort, enterré comme on le fait d’un cercueil. Un talent assoupi, alors que saint Paul nous a encouragés dans la deuxième lecture : « ne restons pas endormis comme les autres » (1 Th 5,6). Nous ne pouvons pas enterrer nos richesses, qu’elles soient intellectuelles, spirituelles ou matérielles. Tout ce que le Seigneur nous a donné ne peut pas rester enfoui ; il doit fructifier, même un tout petit peu, non pas pour obtenir de bons résultats, mais pour attester que nous avons bien osé !
Car tout est là finalement : oser prendre des risques ! Comme le Maître a osé nous faire confiance, nous lui répondons en osant faire quelque chose, même maladroitement, même sans grand résultat. Mais, au moins, nous essayons ! La foi nous oblige à prendre des risques, sans quoi elle n’a aucun sens, aucune réalité : car la foi est notre relation à Dieu qui ose pour nous ; elle prend donc sa consistance quand nous osons, nous aussi, pour Lui.
Tout ce que nous faisons de grand dans notre existence, c’est en prenant des risques, c’est-à-dire en sortant de notre zone de confort. Car alors seulement, nous offrons au Seigneur un espace pour qu’il puisse agir ; nous Lui donnons l’occasion de pouvoir prendre les choses en mains, en Lui disant : oui, Seigneur, au nom de la confiance que j’ai en Toi, j’ose, je risque. Je sais que je peux perdre, mais je crois fermement que ce que je perdrais à t’être fidèle, il est bon que je le perdre, plutôt que je me perde.
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Alors, frères et sœurs, la question nous est posée aujourd’hui : qu’avons-nous risqué pour le Seigneur au cours de cette semaine ? Quels risques la foi nous a-t-elle fait prendre ? Ou alors, qu’avons-nous préféré enfouir, par peur ?
Chaque dimanche, nous nous rassemblons pour présenter au Seigneur les risques que nous avons osé prendre au cours de la semaine ; et nous puisons en sa présence la force de repartir pour une semaine nouvelle de risques courageux mai aussi joyeux, car à chaque risque pour le Seigneur, nous entendons déjà poindre en nous cette promesse : « entre dans la joie de ton maître ». Amen.