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dimanche 31 décembre - Messe du passage à la nouvelle année
Pourquoi trembler à l'idée de ralentir ?
Par le père Ludovic FrèreJe m’en voudrais de ternir la fête de ce soir par une mauvaise nouvelle, mais je n’ose pas vous la cacher : Je lisais voici quelques jours la recension d’un article, écrit par des sismologues américains dans une sérieuse revue de géophysique[1]. Ils annonçaient que des séismes de forte magnitude étaient à craindre pour 2018.
Cette inquiétante prédiction est déduite d’un constat : notre planète ralentit tous les 32 ans, d’une vitesse bien sûr indécelable pour nous (de l’ordre d’une milliseconde par jour). Mais c’est suffisant pour entraîner des phénomènes tectoniques, au point que ce ralentissement serait la cause d’une augmentation significative du nombre de séismes : une multiplication presque par 2 !
Alors bien sûr, c’est pour nous un appel à porter dans la prière tous ceux qui pourraient en être victimes. D’autant que ce sont souvent les populations pauvres qui souffrent le plus gravement de ces phénomènes naturels. Portons donc cette intention dans nos prières de ce soir et de toute cette année nouvelle.
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Mais permettez-moi d’oser une interprétation allégorique de cette hypothèse scientifique. Quand la Terre ralentit, elle se met à trembler. C’est quand même étonnant, ce phénomène… comme si notre monde tremblait à l’idée de ralentir !
À une époque où la vitesse a, plus que jamais, été érigée en vertu et la lenteur en faute, il y a de quoi s’interroger. Tout va tellement vite de nos jours : par exemple, en 2008 – il y a seulement 10 ans - un titre boursier s’échangeait tous les deux mois ; en 2012, toutes les 25 secondes ; aujourd’hui, c’est à une vitesse fulgurante. Ou encore : vous savez que, du temps de Benoîte, il fallait de longues semaines pour venir de Paris jusqu’au Laus. Aujourd’hui, on se plaint que le train mette plus de 6 heures. Et s’il en mettait 3, on s’en plaindrait encore.
Et après ? Pourquoi cette vitesse ? Un neurologue italien tente cette interprétation : « La société de consommation est fille de la pensée rapide, parce que l’envie change vite et que l’on recommence à acheter[2]. » Personnellement, j’ai toujours trouvé étonnant qu’on appelle le geste d’achat « des courses ». L’avidité d’acheter ferait-elle toujours courir ? La célébration de la fin d’une année devrait alors nous interroger : dans la vie, après quoi courrons-nous ?
La Terre tourne, et nous avec, étourdis par tant de vitesse, qu’on soit sur le bord du chemin à voir courir les autres, ou qu’on coure avec eux, sans trop savoir pourquoi. Ô Terre, qui tournes si vite et qui trembles à l’idée de ralentir, tu trembles, mais de quoi as-tu donc peur ? Que crains-tu de découvrir de toi-même si tu ralentis ?
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À quelques minutes de la nouvelle année, plutôt que trembler à cette idée d’aller moins vite, je vous propose de décider une conversion à un peu plus de lenteur. J’en ai personnellement besoin. Et vous ? Une conversion bien difficile pour certains, tandis que d’autres ont plutôt besoin qu’on les secoue un peu… Mais habitués à zapper, à courir d’une envie à l’autre, à se lasser très vite de ce que l’on a et de ce que l’on fait… on est souvent pris par cette accélération de l’existence.
C’est donc bien clair : nous avons un urgent besoin de ra-len-tir !
Ralentir le rythme et le nombre des activités, d’abord pour se poser quotidiennement dans la prière. C’est possible ! Que dis-je, c’est possible ? C’est indispensable ! Demandez aux anges qui visitaient Benoîte : en 1680, après 16 ans d’apparitions mariales, les manuscrits du Laus rapportent : « L’ange dit à Benoîte de prier sans cesse, sans se lasser[3]. » Les anges pourraient donc bien nous aider à ralentir et à sélectionner nos activités, pour ne pas expédier trop rapidement notre temps de prière.
Ralentir aussi nos déplacements, pour ouvrir les yeux sur ce qui nous environne : un beau paysage, des chants d’oiseaux, la forme des nuages. Tout ce qui rend la vie plus belle, plus poétique, et qui donne l’évidence du respect de la Création.
Ralentir les sollicitations de nos cerveaux, toujours happés par une connexion wifi, un appel à passer, un SMS à recevoir. Et par ce ralentissement, laisser à notre esprit du temps pour la créativité et la réflexion.
Ralentir le zapping relationnel - « désolé, je n’ai pas le temps ». « Je suis dé-bor-dé ». « Une autre fois peut-être ». « Voyez avec quelqu’un d’autre » – … ralentir tout cela pour des relations plus denses et des rencontres où l’on est vraiment à l’écoute les uns des autres.
Arrêter de remplir de manière obsessionnelle nos journées, comme si le vide nous faisait peur, comme si le silence nous mettait à nu. Accepter des temps vides – et même les provoquer - pour faire l’expérience que rien sur Terre ne pourra jamais nous remplir totalement.
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Il vaut vraiment la peine d’en reprendre conscience, au seuil d’une année nouvelle : nous sommes faits pour bien plus grand que cette petite Terre seulement, qui tremble quand elle ralentit, et qui risque bien un jour d’exploser d’aller trop vite.
Sur cette Terre, en ce moment précis – ou à une autre heure, selon le fuseau horaire - des croyants et des non-croyants, des gens heureux et des gens tristes, des amis rassemblés et des personnes isolées… tous attendent comme nous les 12 coups de minuit.
On est prêt à dégainer un traditionnel « bonne année, bonne santé ». On se dira sans doute – si ce n’est déjà fait - que 2017 est vraiment passé bien vite. Et l’on se préparera à courir encore, derrière une nouvelle année, qui passera elle aussi très vite.
Mais nous, ici, rassemblés autour du Seigneur dans la célébration de cette messe, auprès de la Belle Dame du Laus et de Benoîte, nous n’avons pas seulement des vœux à échanger : nous avons une prière à porter, forte de l’union de nos cœurs. Une prière pour que ce monde prenne bien conscience en cette nuit qu’il vit dans le temps et qu’il ne peut s’en affranchir.
Et qu’au lieu de trembler à l’idée de ralentir, chacun dans ce monde devrait prendre plus de temps qu’un SMS ou qu’une petite phrase pour se souhaiter sincèrement une bonne année : qu’on ralentisse le rythme et qu’on saisisse l’occasion des vœux pour s’offrir vraiment du temps. Comme un premier témoignage du désir de ralentir en 2018, pour une plus grande qualité de vie et pour nous rendre, les uns aux autres, cette nouvelle année vraiment bonne. Et vraiment sainte. Amen.
[1] Geopysical Reasearch Letters, recensé sur le site de France Inter : www.franceinter.fr/amp/sciences/2018-annee-de-tous-les-seismes
[2] Lamberto Maffei, Hâte-toi lentement, Fypéditions, 2016, p. 95.
[3] Manuscrits du Laus, CA G. p. 274 [320] – année 1680