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Thursday 2 June - Homélie de la Solennité de l'Ascension
"Pourquoi rester à regarder le Ciel?"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ? »
Cette question peut tous nous interpeller, nous qui vivons la fête de l’Ascension sur un sanctuaire où, pendant 54 années, une bergère a justement regardé et écouté le Ciel ; un sanctuaire, qui est un lieu privilégié pour, nous aussi, regarder vers En-haut, afin de voir notre vie avec davantage de hauteur.
En leur posant la question : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ? », les anges ne demandent donc certainement pas aux Apôtres de retourner à leur vie d’avant, comme s’ils n’avaient pas rencontré le Ressuscité qui les a ouvert au Royaume éternel.
Mais justement, par cette interpellation, les anges veulent maintenant aider les Apôtres à avancer dans leur vie et à prendre leur part dans l’annonce de ce Royaume. Il ne faut pas rester immobile, il faut se mettre en marche ! Galiléens, ne restez pas là à regarder le Ciel !
* * *
Pourtant, les Apôtres ont bien de quoi se retrouver paralysés devant l’événement de l’Ascension du Seigneur : car voici quarante-trois jours seulement, leur ami avait déjà disparu à leurs yeux… il était mort ! Les disciples croyaient l’avoir définitivement perdu. Alors, quand au troisième jour, il est ressuscité - une fois passée la peur devant l’inconnu et l’incrédulité devant l’imprévisible - les Apôtres avaient éprouvé une joie indicible : Jésus de nouveau au milieu d’eux !
Mais aujourd’hui, leur joie risque de disparaitre, car ils vivent de nouveau le départ de leur ami. Bien entendu, dans des circonstances qui n’ont plus rien à voir avec celles de la Croix, car le Seigneur est ressuscité, et il l’est pour toujours.
Mais ce deuxième départ, même s’il est glorieux, n’est sans doute pas pour autant facile à vivre pour les disciples ; car lorsqu’on aime quelqu’un, on a du mal à le voir partir. Alors, sans doute veulent-ils garder jusqu’à la dernière seconde de cette relation physique et visible avec le Christ. Mais c’est justement à ce moment-là qu’ils entendent les anges leur dire : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ? »
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Oui, quelque chose est bien fini, quelque chose de ce qu’ils ont tellement aimé : leur Maître et Seigneur ressuscité, présent au milieu d’eux, les rassurant et chassant leur peur. Tout cela, c’était tellement beau à vivre !
Si les Apôtres peuvent intellectuellement concevoir qu’il est bon que le Christ soit entré dans la Gloire, l’événement de son Ascension est peut-être d’abord une réalité difficile à accepter pour eux ; un moment d’interrogation plus qu’un moment de fête. Mais seul leur effort d’accepter ce changement de relation avec le Christ va leur permettre d’avancer dans leur vie et de témoigner du Ressuscité.
S’ils ont besoin de l’encouragement des anges, c’est que les Apôtres sont faits de la même chair que nous ; alors, comme nous, ils aiment bien sûr les moments exaltants et ils craignent sans doute les changements.
En vivant une joie, qu’il nous serait agréable d’arrêter le cours du temps, de figer ce moment pour le goûter vraiment sans craindre qu’il disparaisse trop vite ! La fête de l’Ascension peut donc d’abord être l’occasion de réfléchir à notre manière de vivre nos joies terrestres et d’accepter qu’elles soient éphémères.
Accepter aussi tous les changements qui ne cessent de se produire dans nos vies ; les accepter, sans les prendre pour des disparitions, puisque le Christ est ressuscité ; et sa résurrection a définitivement changé la réalité du temps.
C’est là notre acte foi pascal : nous croyons que, par le Christ, tout changement est désormais porteur de la lumière de la résurrection. Tout changement est « passage » avec le Sauveur, tout changement est une Pâque. Même dans les moments les plus dramatiques de nos existences, le Christ vient faire jaillir une lumière qui ouvre un chemin de vie, même si nous le voyons pas, ou pas dans l’immédiat.
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Mais, parce que nous aimons la sécurité, nous préférons souvent nous maintenir dans l’illusion que nous pourrons figer le temps, plutôt que d’accepter les changements.
Par la grâce du Ressuscité, il s’agit donc de poser cet acte de foi : croire que le Seigneur ne nous abandonne jamais, qu’il nous accompagne dans nos passages, qu’il nous fait avancer vers une réalité toujours nouvelle et toujours plus belle, une croissance perpétuelle de nos vies, une Ascension permanente, jusqu’à l’ultime !
Ainsi, les disciples vont-ils bientôt découvrir cette croissance nouvelle : dans dix jours, par la grâce de l’Esprit-Saint, ils comprendront qu’il fallait bien que le Ressuscité monte au Ciel pour que sa présence se développe partout et toujours.
Ils vont découvrir que l’Ascension du Seigneur n’est pas un abandon. Le Ressuscité va déployer sa présence : dans le mystère de l’Eucharistie, dans sa Parole vivante, dans l’assemblée corps du Christ, dans ceux qui peinent… le Seigneur est là, il se donne, il guide, il souffre, il aime. Non, le Christ ne vous a pas abandonnés ! Au contraire, il a déployé sa présence par-delà les contraintes de l’espace et du temps, pour pouvoir s’offrir à tous, faire l’unité entre tous et vivre intimement avec tous.
Mais cette réalité nouvelle, les Apôtres ne peuvent l’accueillir qu’en tournant la page de ce qu’ils ont vécu jusque-là. « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ? » Il ne s’agit pas d’oublier, bien au contraire ; mais il s’agit d’avancer pour accueillir ce qui est donné maintenant.
Il leur faut tourner la page, pour que la nostalgie de ce qui n’est plus laisse place à la joie de ce qui est offert maintenant. Tourner la page, pour ne pas se raccrocher au passé, afin d’habiter vraiment le présent. Tourner la page, comme un acte de foi qu’il y a tant à vivre et à découvrir encore !
* * *
L’Ascension est donc une fête pascale, en ce sens qu’elle est une fête pour nous réjouir des passages dans nos vies et pour renouveler notre foi en la présence du Seigneur qui accompagne et qui transfigure chacun de nos passages.
Et nous en avons déjà vécu beaucoup :
Tous, nous sommes déjà passés du ventre maternel à notre existence présente.
Tous, nous passerons de la vie terrestre à la résurrection.
Tous, nous sommes actuellement en train de vivre des passages : pour certains, c’est de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à la vie adulte, de la vie en pleine forme à la vie malade, de l’âge des constructions à l’âge des conclusions.
Et tant d’autres passages, subis ou choisis, qui ne sont pas toujours faciles à vivre, mais dans lesquels nous reconnaissons la présence du Seigneur, qui nous accompagne dans une Ascension permanente, jusqu’à la communion plénière avec lui et entre nous.
Alors, le passage de la vie terrestre à la vie glorieuse que nous célébrons aujourd’hui pour le Christ est un appel à vivre sereinement tous nos passages de vie et à les accueillir vraiment comme des occasions d’une communion toujours plus grande avec Lui et les uns avec les autres. Amen.