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dimanche 6 mai - 6ème dimanche de Pâques
Pèlerinage au Laus de réfugiés irakiens, syriens et égyptiens
Par le père Ludovic Frère, recteurUn commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Un impératif : « aimez-vous » et un modèle : « comme je vous ai aimés ».
Un impératif, d’abord. En soi, c’est étonnant, car de même qu’on n’a pas besoin de nous commander de respirer, il ne devrait pas être nécessaire de nous commander d’aimer. Nous sommes faits pour cela et nous le savons. Que nous soyons Français, Syrien, Irakien, Égyptien ou de toute autre nationalité, c’est bien notre plus grand point commun : nous sommes tous faits pour aimer et pour être aimés.
Mais souvent, il faut le reconnaître, nous savons bien mal aimer ! Il faut alors que Dieu Lui-même nous montre comment faire pour aimer en vérité, sans quoi nous appellerons « amour » ce qui n’est que recherche de profit personnel ou manipulation des autres. Il faut que Dieu prenne chair pour manifester la grandeur de l’amour humain à partir de son amour divin, nous libérant ainsi de tous les mensonges d’amour.
Voilà donc le Fils de Dieu qui nous dit : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». L’exemple pour aimer, nous le trouvons dans la façon dont Jésus nous aime. C’est dire qu’une triple attention nous est demandée :
- prendre conscience de son amour pour nous ;
- chercher à l’aimer vraiment en retour ;
- et accepter d’aimer les autres comme Jésus aime.
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D’abord, prendre conscience que le Seigneur nous aime : ce n’est pas nécessairement le plus facile, alors qu’il y a pourtant si peu à faire ! Il suffit juste d’accepter de laisser Dieu nous aimer.
L’avez-vous déjà accepté ? Vous êtes ici dans un lieu pour faire l’expérience de vous laisser aimer par Dieu. La Vierge Marie nous offre sa maternité pour cela : nous engendrer à l’amour divin. Laissez donc d’abord de côté tous les sentiments d’indignité qui vous feraient légitimement penser que vous ne méritez pas d’être aimés. Ces indignités, allez les confesser et avancez ensuite sur un chemin de vie nouvelle.
Mais ce n’est pas cela qui est premier ; au commencement, il y a Dieu qui nous aime. D’un amour dont la grandeur est pour nous inimaginable mais tellement accessible. Laissez donc cet amour vous toucher maintenant ! Un amour qui saisit. Un amour qui n’est pas à l’eau de rose mais qui est fort, plus fort que la mort. Un amour qui donne la vie !
Laissez-vous donc aimer par le Seigneur ! Vous pourriez par exemple, après la messe ou au cours de ce dimanche, venir jusque dans la chapelle des apparitions pour vous marquer de l’huile, selon la proposition de la Vierge du Laus. Par cette onction, dites au Seigneur votre disponibilité à vous laisser aimer par Lui. Et laissez la grâce guérir vos blessures d’amour, blessures du passé ou blessures psychologiques ; tout ce qui aurait pu vous convaincre jusqu’alors que vous ne méritiez pas d’être aimés. Laissez le Christ vous ressusciter à l’amour !
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Mais l’amour n’est jamais à sens unique. L’amour est relation ; il vit de cet échange entre donner et recevoir. Alors, nécessairement, prendre conscience d’être aimés par Dieu, c’est s’ouvrir aussi à un deuxième mouvement, qui est une provocation, un questionnement : est-ce que j’aime vraiment le Seigneur ?
L’amour pour Dieu ne peut être intéressé, sinon ce n’est pas de l’amour, c’est du simple profit. Tant qu’on en reste à prétendre aimer Dieu simplement parce qu’Il nous bénit, nous facilite la vie ou nous évite des souffrances, on n’est pas encore dans l’amour véritable. L’amour est don ou il n’est rien.
L’amour pour Dieu se vérifie alors quand on ne Lui préfère ni rien ni personne. Jésus le dit lui-même, par des paroles difficiles à entendre, mais qu’il faudra bien accepter d’écouter un jour. Luc 14,26 : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple ». Entendez-vous ? « Il ne peut pas » !
C’est là où nos frères et sœurs chrétiens d’Orient peuvent être pour nous de touchants témoins : témoins de la primauté donnée au Christ. Je vous encourage à lire par exemple le témoignage du père Najeeb, dominicain habitant Qaraqosh en Irak, qu’on appelait jadis Ninive, la ville de Jonas. Dans son ouvrage « sauver les livres et les hommes » publié l’an dernier, le père Najeeb témoignait de l’arrivée de Daesh dans sa région en écrivant : « Les hommes au drapeau noir sont proches. Ils nous narguent. Il y a deux mois, ils se sont emparés de Mossoul et de son million d’habitants en une seule journée. Nous savons déjà qu’ils ne feront qu’une bouchée de notre bourgade d’à peine 50 000 âmes ». Le dominicain poursuit : « Dans les jours qui ont suivi la chute de Mossoul, Abou Bakr al-Baghdadi, le ‘calife’ de Daesh, a été très clair avec les ‘kouffars’, les mécréants. C’est comme cela qu’il nous désigne, nous les chrétiens qui vivons ici depuis deux mille ans (…). Il s’est adressé directement à nous avec cet ultimatum : ‘Partez, convertissez-vous ou mourez’ ».
Frères et sœurs réfugiés, certains parmi vous sont ici parce qu’ils ont répondu à cet ultimatum en laissant la première place à l’amour du Christ. Tous les chrétiens d’Orient ne sont certainement pas des modèles de foi, mais les exemples ne manquent pas pour affirmer que nombre d’entre vous ont tout perdu pour rester fidèles à la foi reçue des apôtres. Ils avaient sans doute aussi le souci de garder leur culture et leurs traditions, de protéger leurs familles et de sauver leur peau ; mais surtout, ils n’ont pas voulu renier leur amour pour le Christ. Ils auraient pu rester, se convertir à l’Islam. Ils auraient été préservés de bien des malheurs. Mais ils n’ont pas voulu. Ce choix, qui a sans doute été le vôtre en ces mêmes priorités, nous interroge, nous qui pensons en Europe être à l’abri de tels dangers qui sont pourtant peut-être à notre porte.
Dans une situation semblable à la vôtre, saurions-nous préférer la fidélité au Christ plutôt que l’attachement à notre maison ou à nos habitudes, à notre confort ou à une profession valorisante ? « Partez, convertissez-vous ou mourez ». L’amour du Christ a conduit de nombreux chrétiens à quitter tout ce qu’ils avaient, tandis que d’autres ont accepté ou subi la troisième : ils sont morts pour rester fidèles au Ressuscité. Et nous tous : laquelle de ces propositions aurions-nous choisie ? Jusqu’où pensons-nous pouvoir manifester la réalité de notre amour pour le Seigneur ?
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Prendre conscience que Dieu nous aime et chercher à l’aimer en retour, voilà le fondement indispensable pour entrer dans le troisième mouvement de ce grand commandement d’amour : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». La mesure de l’amour, ce ne sont pas nos sentiments changeants, c’est la façon dont le Christ nous aime.
Et de quelle façon nous a-t-il aimés ? En devenant l’un de nous et en allant jusqu’à la croix. Noël et Pâques. Il n’y a pas d’amour des autres sans nous mettre à leur place ni envisager de pouvoir être crucifiés pour eux. C’est ça, l’amour concret. Benoîte Rencurel le comprit en ce sanctuaire, quand Jésus lui apparut sur la croix d’Avançon, lui disant : « c’est pour vous faire voir l’amour que j’ai eu pour les pécheurs ». En demandant d’aimer comme il aime, le Christ demande d’aimer jusqu’à la croix.
Chacun de nous peut demander à l’Esprit Saint comment ça peut se concrétiser dans sa vie personnelle, l’amour des autres jusqu’à être crucifié pour eux. Mais c’est certain, si nous ne crucifions jamais nos intérêts personnels ou notre tranquillité, nous n’aimons pas vraiment les autres.
Accepter d’être crucifié, c’est le critère de vérité de l’amour. Non pas seulement sous mode de comparaison, mais plutôt par transfusion, comme nous y invitait déjà dimanche dernier l’image de la vigne et des sarments. Que le sang du Christ coule en nos veines pour irriguer nos cœurs de la qualité d’amour qui l’a conduit à ne rien garder pour Lui afin de nous engendrer à la vie éternelle.
Ainsi, l’amour des autres comme le Christ a aimé ne leur rend pas seulement la vie présente plus lumineuse ; cet amour participe à leur engendrement à la vie éternelle. Oui, il a vraiment un tel pouvoir, l’amour « comme le Christ », l’amour plus fort que la mort dont nous sommes tous capables. Amen.