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Sunday 27 January - 3e dimanche du temps ordinaire, année C
Parole et paroles
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
On ne s’en rend pas nécessairement compte en l’entendant proclamé comme nous venons de le faire, mais l’évangile de ce jour est étrangement découpé. Nous avons d’abord entendu les 4 premiers versets du chapitre premier de saint Luc, avant de sauter au chapitre 4, pour assister à l’enseignement du Christ dans la synagogue de Nazareth. Nous avons donc laissé de côté trois chapitres et le début du quatrième, pour nous retrouver après le baptême et les tentations au désert, quand Jésus revient en Galiliée.
Associant ainsi le début de l’évangile et ce chapitre 4, l’Eglise veut certainement nous montrer combien les événements vécus par le Christ, depuis l’annonce de sa naissance jusqu’au désert, permettent de relier le projet de saint Luc énoncé dans son prologue et la révélation que le Seigneur Jésus fait dans la synagogue de Nazareth.
Car, au commencement, l’évangéliste précise qu’il s’est « soigneusement informé de tout depuis les origines » (Luc 1, 3). Il n’a pas été témoin direct de la vie du Christ, mais il s’est renseigné pour que son ami Théophile, à qui il écrit, se rende compte « de la solidité des enseignements » qu’il a reçus (Luc 1,4). Cette solidité n’est pas d’abord une cohérence intellectuelle, même si elle l’est sublimement. Elle n’est pas non plus une séduction esthétique, les écrits du Nouveau Testament n’étant d’ailleurs pas toujours des chefs d’œuvres de composition littéraire.
Mais justement, ces écrits ne doivent pas être accueillis comme une littérature parmi d’autres : ils sont la Parole de Dieu. « Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit » (Luc 4, 21) : ce que Jésus dit de la prophétie d’Isaïe, nous pouvons le dire pareillement de tout passage de l’Ecriture Sainte. La Bible n’est pas une œuvre littéraire ; c’est la Parole de Dieu, Parole vivante qui s’accomplit pour nous aujourd’hui. Quand le prêtre ou le diacre montre le lectionnaire, après la proclamation de l’Evangile, c’est bien pour que nous voyions cette Parole qui s’accomplit aujourd’hui. Alors, nous acclamons : « Louange à toi, Seigneur Jésus ! »
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Oui, louange à Toi, car en ta personne, Jésus Sauveur, la Parole s’accomplit ! Elle le fait « aujourd’hui », maintenant, de manière puissante et douce à la fois. Ta Parole s’accomplit, Seigneur : elle vient toucher nos cœurs, infuser nos âmes, nous détacher du mal et nous unir en un seul cœur ! Savez-vous qu’en embrassant l’Evangile après sa proclamation, le prêtre ou le diacre dit à voix basse : « Que cet Evangile efface nos péchés » ? C’est que la Parole de Dieu est puissante : sa vérité efface le péché, son efficacité éloigne le mal et fait l’unité de ceux qui l’écoutent.
Louange à Toi, Seigneur Jésus ! A chaque fois que nous entendons ou que nous méditons la Parole de Dieu, nous devrions être en profonde admiration, en grande adoration de cette Parole véritable, qui s’accomplit sans cesse. L’Evangile de ce dimanche est donc un vibrant appel à revoir ce que nous faisons de la Parole de Dieu : comment l’accueillons comme Parole de vérité ? Comment la laissons-nous vivre en nous ?
D’abord, sachons bien reconnaître ce qu’est cette Parole. « Nous ne parlons pas avec des discours enseignés par la sagesse humaine, mais enseignés par l’Esprit », dit saint Paul aux Corinthiens (1 Cor 2, 13). À Timothée, il enseigne que « tous les textes de l’Ecriture sont inspirés par Dieu » (2 Tim 3, 16), tandis que saint Pierre parle de « la Parole de Dieu vivante et permanente » (1 Pi 1, 23).
La Parole éternelle s’est incarnée quand le Verbe s’est fait chair ; la Parole a continué à s’incarner, pour ainsi dire, même si c’est évidemment d’une toute autre manière, quand les auteurs, comme saint Luc, ont écrit sous l’inspiration de l’Esprit-Saint.
L’Eglise catholique a fait une œuvre immense de critique historique. Elle continue à le faire, nous le voyons notamment avec les livres de notre Saint Père sur Jésus de Nazareth. Et ainsi, l’Eglise se prémunit de tout fondamentalisme biblique, car la Bible n’est pas tombée toute faite du Ciel. Mais elle est pourtant bien Parole inspirée par l’Esprit-Saint, Parole qui dit nécessairement la vérité.
L’Esprit qui a guidé les auteurs bibliques guide encore aujourd’hui le cœur et l’intelligence de celui qui reçoit la Parole. Et l’Esprit-Saint agit encore dans l’Eglise, qui a reçu la mission de garder intact le dépôt de la foi qui, comme toute parole, risquerait d’être interprétée de bien des manières inexactes. Inspiration de celui qui a écrit, de celui qui entend et de l’Eglise qui veille : telle est l’action de l’Esprit-Saint, pour nous faire accueillir la Parole de Dieu dans toute sa vérité.
Mais sans doute avons-nous parfois du mal à rester pleinement concentrés en écoutant les différentes lectures proclamées à la messe. Nous devrions certainement mieux nous y préparer ; éventuellement en ayant déjà lu ces lectures avant d’arriver à l’église, mais plus essentiellement encore en invoquant l’Esprit-Saint avant la lecture, pendant que nous l’entendons, et une fois que nous l’avons entendue ; afin que l’Esprit de Dieu nous prépare à l’accueillir, nous rende attentif à l’entendre et la laisse couler jusqu’aux profondeurs de nos âmes. Savoir écouter la Parole de Dieu, ce n’est pas d’abord un effort de concentration, c’est un acte de foi et d’ouverture à l’Esprit-Saint.
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Mais la Parole de Dieu serait une splendide semence malheureusement déposée dans une terre stérile, si celui qui la reçoit n’invoquait aussi l’Esprit-Saint pour qu’elle se développe en lui. « Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ». Ces mots de Jésus à la synagogue de Nazareth sont aussi pour nous dans cette basilique : cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit dans votre vie ; c’est aujourd’hui qu’elle doit être accueillie afin de germer en vous et de porter un grand fruit.
Cette fécondité de la Parole révélée n’est possible en nous que si nous cherchons à accorder chacune de nos paroles à celle de Dieu. Et là, nous savons bien les conversions qui nous sont nécessaires ! Saint Jacques le dit de manière limpide, présentant la langue comme un animal sauvage, difficile à dompter, « une vraie peste, toujours en mouvement, dit-il, remplie d’un venin mortel » (Jc 3, 8). Et l’apôtre nous place devant cette incohérence inacceptable : la langue « nous sert à bénir le Seigneur notre Père, elle nous sert à maudire les hommes […] ; mes frères, il ne doit pas en être ainsi », conclut saint Jacques (Jc 3, 8-10).
Le message du Laus nous aide aussi à convertir notre langue, pour que chacune de nos paroles reflète quelque chose de la Parole puissante, salvatrice, apaisante qu’est le Christ en personne. Les Manuscrits du Laus le reconnaissent bien : « On doit toujours penser à ce qu’on dit, et réfléchir qu’un coup de langue fait quatre blessures en même temps : il offense Dieu, blesse la pauvre âme de celui qui l’a dite, blesse ceux de qui il parle, et ceux qui l’écoutent. Si l’on y réfléchissait bien, conclut ce passage des Manuscrits, on serait plus sobre de sa langue »[1].
Nos paroles peuvent ainsi aller à l’encontre de la beauté de la Parole de Dieu. Lors d’une apparition en 1678, « l’ange dit à Benoîte qu’une femme était au purgatoire pour un an, parce qu’en parlant à ses domestiques, elle disait des paroles sales »[2].
Nos paroles peuvent aussi être bien trop inutiles ; leur inutilité gâche alors leur force et nous éparpille. Toujours dans les Manuscrits du Laus (une source décidément très riche !), nous lisons que l’ange avertit Benoîte qu’elle « ne s’entretienne pas autant des uns et des autres ; mais seulement de l’amour de Dieu, de son salut et de celui de son prochain »[3]. Un rapide regard sur nos paroles, au cours de cette semaine, nous permettra sans doute de constater que nous n’avons pas nécessairement, voire pas du tout, choisi de tels sujets de conversation.
Alors, en entendant la Parole de Dieu qui s’accomplit aujourd’hui pour nous, sachons nous convertir encore à la vérité. Refusons toutes les paroles qui blessent le trésor de la Parole faite chair. Rejetons toutes les calomnies, les médisances, les critiques stériles. De même qu’on nous dit, dans les Manuscrits du Laus que Benoîte « est fort réservée dans la conversation, évite les fourbes, les turbulents et les fripons »[4], choisissons avec qui nous parlons, de quoi nous parlons, pourquoi nous parlons.
Si ce n’est pas pour la gloire de Dieu et pour le bien fondamental des autres : taisons-nous. En revanche, comme le dit saint Paul, « s’il y a besoin, dites une parole bonne et constructive, bienveillante pour ceux qui vous écoutent » (Eph 4, 29). Alors seulement, nous serons comme saint Luc, des témoins fidèles de la solidité du Christ, des témoins fidèles de la Parole qui s’accomplit aujourd’hui. Amen.
[1] CA G. p. 135 VIII [181] – année 1685
[2] CA G. p. 270 [316] – année 1678
[3] CA G. p. 155 XI [201] – année 1690
[4] CA G. p. 242 [288] – année 1664