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Tuesday 8 December - Solennité de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie
Ouverture de l'année sainte de la miséricorde
Par le père Ludovic FrèreAu début de la bulle d’indiction pour l’année de la miséricorde, le pape François annonce avoir choisi cette date pour marquer le 50e anniversaire de la clôture du concile Vatican II. Il souhaite ainsi raviver un regard positif sur le monde et une manière positive de parler au monde, selon la voie ouverte par Vatican II.
Mais si cette date coïncide avec la solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, c’est aussi pour nous donner une clé essentielle, afin d’ouvrir en chacun de nous la porte de la miséricorde, comme elle s’ouvre aujourd’hui à la basilique du Vatican.
Le pape François écrit dans la bulle d’indiction : « Cette fête liturgique montre comment Dieu agit dès le commencement de notre histoire », avant d’affirmer : « La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne ».
L’Immaculée Conception de la Vierge Marie nous dit effectivement cette gratuité totale du Seigneur : au premier instant de sa conception, alors-même qu’elle ne peut rien, qu’elle ne mérite rien, qu’elle ne demande même rien, Marie est préservée du péché originel. Le don de la gratuité la plus totale !
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Voilà donc le préambule indispensable pour vivre cette année sainte : quitter toute logique de rétribution, de marchandage avec Dieu ; toute tentation de croire que nous pouvons mériter quoi que ce soit par nous-mêmes. En finir alors avec des façons de prier qui cherchent à amadouer le Seigneur, ou même seulement à vouloir le convaincre, comme s’il n’était pas déjà convaincu de notre misère et de notre besoin d’en être sauvés !
Dans la parabole du fils prodigue, que nous devrions méditer et méditer encore au cours de cette année, nous voyons ce fils perdu empêtré dans sa logique de rétribution : « je ne mérite plus d’être appelé ton fils », est-il prêt à confesser devant son père, qui ne lui laissera même pas le temps de le dire. Cette logique de rétribution dévalue l’amour du Père, au point que le fils puisse en venir à estimer qu’il me mérite plus d’être son enfant.
Même le fils aîné, resté fidèlement à la maison, est bloqué dans la logique de rétribution : lui n’a pas quitté le père, il n’est pas parti avec l’héritage. Mais il n’a pas, pour autant, compris le cœur de son père. Il reste dans la logique de rétribution et se plaint de ne pas avoir été payé pour sa fidélité. Et voilà qu’il en vient à refuser de reconnaître le lien de fraternité qui l’unit à l’infidèle : « ton fils que voilà », dit-il pour désigner son frère revenu à la maison.
Et s’il reproche de ne pas avoir eu un seul chevreau pour faire la fête, c’est une fête qu’il envisageait de vivre pour festoyer avec ses amis, donc sans son père ni son frère. La logique de rétribution nous fait manquer la communion, que nous soyons enfant infidèle parti au loin, ou enfant d’apparente fidélité, resté à la maison pour travailler à l’entreprise du père.
Marie préservée du péché, par une grâce totalement indépendante de ses mérites, nous aide alors à vraiment nous libérer – et peut-être faudra-t-il bien une année pour nous en convaincre vraiment : nous libérer de toute logique de rétribution dans notre rapport à Dieu et dans notre rapport aux autres.
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Cette libération est aussi appelée à devenir en nous "décontraction" ou, si vous préférez : "dédramatisation". Car, bien sûr, nous avons tous un profond besoin d’aimer et d’être aimés. Un besoin jamais totalement comblé, puisque nous sommes faits pour le Ciel, où alors enfin l’amour sans ombre nous envahira tout entier.
Mais, en cette vie terrestre, ce besoin peut devenir une pression insupportable et créer en nous une peur terrifiante : ne pas mériter d’être aimés. Je doute alors de ma valeur, je pense que je dois travailler sur moi pour y parvenir, ou développer quelque subtile stratégie de séduction.
André Malraux disait : « être aimé sans séduire est l’un des plus grands destins de l’homme ». Cherchons donc, au cours de cette année, à accepter d’être aimés, parce que nous sommes faits pour cela, mais à aimer sans séduire, car l’amour ne se mérite pas, il ne s’achète pas. C’est ce que nous révèle le Cantique des cantiques : « Un homme donnerait-il toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que du mépris » (Ct 8,7). L’année de la miséricorde est appelée à être une grande année de gratuité, sans quoi elle ne sera pas pour nous une année de miséricorde.
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Et ainsi, sortant de toute idée de recevoir en proportion de nos mérites - d’ailleurs toujours tellement pauvres -, nous pouvons entrer dans la miséricorde du Père pour devenir davantage miséricordieux comme Lui : sans aucun calcul et sans estimer qui mériterait ou non notre agir miséricordieux.
La bienheureuse Teresa de Calcutta osait ainsi prier le Seigneur : « Que je te reconnaisse aussi quand tu te caches sous le déguisement de ceux qui sont facilement irritables, exigeants et déraisonnables, et que je dise : "Jésus plein de patience, comme il est doux de te servir". »
Or, il peut y avoir en nous cette tendance à choisir les bénéficiaires de notre charité : on pourra donner un peu d’argent à un mendiant qui semble vouloir s’en sortir plus qu’à un autre qui ne le veut visiblement pas. On peut consacrer du temps à une sœur qu’on trouve sympathique, et bien moins d’attention à une sœur qui nous irrite.
Alors, puisque nous sommes bercés, ces semaines-ci, par les questions d’écologie planétaire autour de la COP 21, soyons bien clairs : la gratuité de la miséricorde doit nous conduire à ne pas faire de tri sélectif : en matière de charité, pas de tri sélectif !
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Forts de la fête que nous célébrons aujourd’hui, puissions-nous alors, à chaque seconde de cette grande année qui s’ouvre à nous, entendre et faire nôtres ces paroles que Sainte Faustine reçut du Seigneur : « Réjouis-toi, créature, car tu es plus proche de Dieu dans son infinie miséricorde, que le bébé du cœur de sa mère[1]. » Marie, dont nous fêtons la conception immaculée, aidez-nous à laisser la miséricorde divine nous approcher, dans la gratuité et le désir d’y répondre par une vie de plus en plus belle, c’est-à-dire de plus en plus miséricordieuse. Amen
[1] Sœur Marie-Faustine Kowalsaka, Petit Journal, Paris, éditions Parole et dialogue, 2004, § 423.