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Sunday 25 August - 21e dimanche du temps ordinaire C
Opération "portes ouvertes"
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireLa question peut paraître incongrue, mais je me permets de vous la poser tout de même : quel rapport entretenez-vous avec les portes ? Portes verrouillées et blindées pour se protéger de l’extérieur ; portes qu’on peine à ouvrir devant l’imprévu ; portes vitrées, quand on n’a rien à cacher ; portes claquées au nez de ceux avec lesquels on veut interrompre brutalement une discussion ou une relation… La porte a une dimension symbolique incontestable : barrière ou protection, elle signifie aussi le passage d’un lieu à un autre, et souvent dans les religions, d’un monde à l’autre.
« Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite », nous dit aujourd’hui le Seigneur. Il précise non seulement que la porte qui mène à son Père n’est pas large, mais aussi que viendra un temps où l’accès ne sera plus possible, « quand le maître de la maison se sera levé et aura fermé la porte ». Il y a donc une double vigilance à tenir : celle de passer par la porte étroite et celle de chercher à y entrer sans tarder.
Le Christ semble alors vouloir nous réveiller, et même peut-être un peu nous inquiéter, car une telle inquiétude peut susciter une bonne réaction : celle de nous décider à agir, sans remettre à demain. Car l’Evangile ne peut pas être vécu du bout des lèvres ni ses exigences sans cesse différées. Il faut passer par une porte étroite, qu’on se le dise ! Et y passer maintenant, car un jour elle sera fermée !
Il n’y a bien sûr aucune limitation à l’amour divin dans une telle perspective. « Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés », dit saint Paul à Timothée (1 Tim 2,4). Le Seigneur n’a pas décidé de limiter la vie éternelle à ceux-là seuls qui remporteraient l’épreuve de passer à temps par la porte étroite. Saint Pierre dit avec force : « Dieu n’accepte pas d’en laisser quelques uns se perdre ; mais il veut que tous aient le temps de se convertir » (2 Pierre 3,9). La question n’est donc pas du côté de la volonté divine, mais de la nôtre. Si Dieu veut que tous aient le temps de se convertir, tous ont-ils vraiment le courage d’un tel bouleversement de vie ?
Car nous convertir au Seigneur pour passer la porte étroite sans tarder, c’est incontestablement un effort. Passer les portes de nos supermarchés, qui s’ouvrent automatiquement et bien largement, c’est facile ; comme si l’ouverture large des portes vitrées des grandes surfaces était un appel à ce que nos portes-feuilles s’ouvrent, eux aussi, largement pour consommer.
Mais Jésus nous parle, lui, d’une porte étroite, un choix exigeant. Comprenons que si nous voulons la facilité, il faut cesser de suivre le Christ. Et si nous voulons suivre le Christ, il faut cesser de vouloir la facilité.
Dans l’évangile selon saint Jean, c’est de Lui-même que Jésus dira : « Je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jean 10,7). Entrer par le Christ, c’est suivre son chemin : le chemin du renoncement à soi-même, non pas pour "être moins", frustré et insatisfait en permanence, mais au contraire pour vivre en abondance !
Ainsi, l’accès au Seigneur n’est même pas déterminé par notre seule pratique religieuse, car on peut pratiquer sans renoncer à soi… si, ayons l’honnêteté de le reconnaître : on peut avoir une pratique spirituelle intense sans vivre vraiment ! Or, les paroles du Maître sont aujourd’hui sans équivoque : « Vous vous mettrez à dire : ‘nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places’. Il vous répondra : ‘je ne sais pas d’où vous êtes. Eloignez-vous de moi, vous qui faites le mal’ ». Mais, Seigneur, nous avons été à la messe tous les dimanches, nous avons fréquemment médité ta Parole, nous sommes même allés t’adorer au coeur de la nuit, nous avons prié le chapelet tous les jours !….Ce n’est déjà pas si mal ; nous méritons tout de même une bonne récompense !...
Mais, si ces pratiques ne fondent pas un agir de bonté, « il vous répondra : ‘je ne sais pas d’où vous êtes. Eloignez-vous de moi, vous qui faites le mal’ ». Le Christ avait d’ailleurs déjà enseigné : « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur’ pour entrer dans le Royaume des cieux, mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Mt 7,19).
La porte étroite n’est bien sûr pas une vie sans prière et sans messe. Mais cette vie spirituelle tellement indispensable n’est cependant pas le critère d’accès par la porte étroite ; ça le facilite assurément, par l’œuvre de la grâce, nous permettant plus aisément de renoncer à nous-mêmes ; mais ce n’est pas le moyen suffisant pour y accéder. Il faut faire la volonté du Père, volonté particulièrement concrétisée dans l’attention aux plus pauvres et aux plus petits.
Alors Jésus nous encourage : « Efforcez-vous de passer par la porte étroite ». Le verbe grec est très parlant, même si nous ne connaissons pas cette langue dans laquelle les Evangiles ont été écrits. Le verbe « s’efforcer » se dit en grec : « agonizomai ». Agonie : nous entendons bien ce que cela signifie. L’agonie du Christ en sa passion doit devenir nôtre ; non pas la souffrance pour la souffrance, mais l’acceptation de ne pas vivre que pour soi.
Lors de son agonie, Jésus choisit au plus haut point entre se préserver lui-même et se donner entièrement. Cette forme d’agonie, nous pouvons la vivre à chaque instant : en renonçant à passer en premier, à râler pour la moindre chose, à nous attacher à des biens matériels, à manipuler les autres par le mensonge ou la séduction. Une agonie qui nécessite un véritable travail sur nous-mêmes ; d’ailleurs, c’est le même verbe « agonizomai » qui était utilisé pour l’entrainement des sportifs aux jeux olympiques. On perçoit donc la nécessité de faire des efforts, afin de concentrer toute la préparation physique et psychique sur l’objectif visé. Ainsi se développent les muscles de la charité, qui permettent d’être associés à la victoire du Christ. Voilà ce qui nous permet d’accéder par la porte étroite. Si nous ne la désirons pas, si nous ne faisons aucun effort pour entraîner notre âme et notre corps à y passer, nous risquons de manquer le passage.
Frères et sœurs, nous n’avons pas le droit d’oublier cette dimension d’efforts pour accéder au salut. Bien entendu, c’est l’œuvre de la grâce ; bien entendu, les paroles de saint Paul sont tout à fait essentielles à accueillir : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ». Mais le salut n’est pas automatique. Si le Christ l’offre gratuitement par sa croix et sa résurrection, il ne cesse de nous appeler à des efforts pour accéder au Ciel. On n’entre pas dans l’éternité d’amour sans changements dans nos vies souvent trop égoïstes.
Alors si Dieu nous comble de grâces, particulièrement par ses sacrements, il ne nous pousse pas par derrière pour forcer notre entrée par la porte étroite. Il nous l’ouvre et nous incite à vite entrer. Il nous promet d’y trouver dès maintenant un sens profond à notre vie et une joie incomparable à toutes les joies éphémères de la terre. Mais il se tient sur le seuil de la porte et il nous dit : « est-ce que tu veux ? Est-ce que tu acceptes de perdre aux yeux du monde, afin de passer par ma porte étroite ? »
Frères et sœurs, à chaque fois que nous passons une porte – et il y a fort à croire que nous en passerons encore un bon nombre, ne serait-ce qu’aujourd’hui - pensons toujours au choix décisif de la porte étroite.
A chaque occasion d’entrer quelque part, choisissez la porte étroite, celle par laquelle vous n’allez pas marcher sur les pieds des autres pour leur passer devant. En entrant dans votre voiture, passez par la "portière étroite", afin que toutes vos attitudes de conduite sur la route soient vraiment évangéliques. En entrant chez les personnes qui vous invitent, passez par la porte étroite ; dites « paix à cette maison » et vivez la rencontre non pas pour vous mettre en avant, mais pour faire grandir ceux qui vous reçoivent. Et quand vous passez le seuil de votre propre demeure, entrez par la porte étroite, vous demandant comment votre maison ou votre appartement peut être un lieu d’Evangile, que ce soit dans ce que vous allez regarder à la télévision, dans les relations que vous aurez en famille, dans la manière d’employer votre temps et de laisser assez de place à la prière.
Entrons par la porte étroite ! Jésus annonce qu’elle n’est pas large et qu’elle ne sera pas toujours ouverte. Mais plutôt que nous arrêter fébrilement à ces limites, reconnaissons la chance que nous avons de savoir que la porte est ouverte et de connaître précisément comment y accéder !
Allons-y joyeusement : il y a tellement à découvrir de l’autre côté de cette porte !
Amen.