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Sunday 24 January -
On ne parle bien qu’avec le coeur
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireIl aurait presque pu connaître Benoîte Rencurel, la bergère du Laus. Mais il est mort 25 ans trop tôt ; c’était d’ailleurs un 28 décembre, comme Benoîte. Il aura vécu 55 ans ; un peu plus d’un demi-siècle d’une vie extraordinairement remplie !
Presque contemporain de Benoîte, je pense qu’il aurait vraiment aimé la rencontrer ; et je crois bien qu’il s’entretient désormais avec elle dans la béatitude éternelle. Il aurait aimé les messages de douceur et de patience que la servante du Laus a reçus pendant les 54 années d’apparitions en ce lieu. J’ose même croire qu’il aurait vécu avec Benoîte une amitié forte, comme il en a eue avec une autre femme remarquable, devenue sainte comme lui, et dont le tombeau repose près du sien, sur une colline surplombant la ville d’Annecy.
Cette amie s’appelle sainte Jeanne de Chantal. Quant à lui, vous l’aurez peut-être deviné : c’est saint François de Sales, fêté par l’Église le 24 janvier, c’est-à-dire aujourd’hui-même. En ce jour, la liturgie laisse nécessairement la préséance à la célébration du dimanche, mais permettez que je vous parle un peu de cette figure magnifique qu’était l’évêque de Genève réfugié à Annecy.
Son histoire me semble d’ailleurs offrir un éclairage sur les lectures de la Parole de Dieu que nous venons d’entendre. Car toutes nous parlent de promesses et d’un « aujourd’hui » où elles s’accomplissent. Or, en chaque figure de saint, quelque chose de l’Évangile s’accomplit aujourd’hui ; comme d’ailleurs en chacun de nous.
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Avant de tenter de vous l’illustrer par la vie de François de Sales, je souhaite une bonne fête à tous les François, quoi qu’ils disposent encore de 37 autres saints patrons qui portent le même prénom… voilà de quoi soutenir le courage des François, qu’ils soient Pape ou Président !
Mais en ce 24 janvier, jour de clôture de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, saluons d’abord en saint François de Sales le patron des journalistes. Un patronage qu’il doit à sa publication de nombreux feuillets imprimés, des « gazettes », par lesquelles il s’adressait aux Calvinistes, qu’il ne pouvait rencontrer en vis-à-vis. Il ne se résignait pas à les voir se couper de la succession apostolique, même si les errements de certains gens d’Église – sans oublier d’autres questions politiques – expliquent en grande partie l’émergence du Protestantisme à cette époque. On ne peut l’oublier, au terme de cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens, qui place toujours douloureusement sous nos yeux la réalité des divisions chrétiennes.
Cependant, si l’évêque de Genève a reconquis le Chablais, la rive française du Lac Léman, ce n’est pas d’abord par ses écrits ni par son éloquence prodigieuse, qui pouvaient charmer plus d’un esprit fin comme ils charmaient tout autant les gens les plus simples.
En fait, François de Sales avait un secret, un secret qui nous est accessible, frères et sœurs, et qui peut faire de nous bien mieux que des journalistes : de vrais évangélisateurs, de vrais diffuseurs de la Bonne Nouvelle !
Ce secret, vous l’attendez, je vais vous le révéler, il va vous enthousiasmer – à moins qu’il ne vous déçoive, tant il est évident… l’atout absolu de François de Sales, c’était… sa charité ! Oui, seulement cela : la charité avec laquelle il savait s’adresser à chacun !
Saint Vincent de Paul, qui n’est pas des moindres en matière de charité, disait de François de Sales : « Que Dieu doit être bon, puisque Monsieur de Sales est si bon ! » Vous ne trouvez pas que ça pourrait être notre seul objectif de vie ? Chercher à être bons envers les autres pour leur faire percevoir, à travers nos simples comportements, la bonté de Celui qui nous a créés et sauvés !
Ne cherchez peut-être pas d’autre résolution, pour le Carême qui commence dans 20 jours ! Simplement être bons envers les autres pour leur faire percevoir combien Dieu est bon, infiniment bon !
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Si la bonté de François de Sales laissait percevoir quelque chose de la bonté de Dieu, c’est sans doute d’abord parce qu’il avait été saisi, au plus profond de lui-même, par cette bonté du Seigneur. Tant que nous ne sommes pas convaincus que Dieu est bon pour nous, tant que sa bonté n’a pas rejoint nos tripes, comment penser pouvoir la transmettre, l’irradier, ou même seulement en parler ? Laissons-nous faire pour expérimenter davantage encore la bonté de Dieu !
Pour François de Sales, cette expérience fut loin d’être évidente. À 19 ans, il traverse une crise d’angoisse et de désespoir. Il perd l’appétit et le sommeil. La nature de cette angoisse ? La conviction qu’il était damné, qu’il était exclu de l’amitié de Dieu ; conviction que la terrible doctrine de la prédestination, chère à Calvin, lui avait mis dans le crâne sans possibilité de l’en libérer.
Enfin, sans possibilité : c’était sans compter sur la Vierge Marie, qui ne peut supporter de voir ses enfants s’enfermer dans les ténèbres. Alors, un jour qu’il prie à Paris, devant une statue de la Vierge, le jeune François ose cet acte d’abandon : « Quoi qu’il arrive, je vous aimerai, Seigneur ; au moins en cette vie, s’il ne m’est pas permis de vous aimer dans la vie éternelle, et j’espèrerai toujours en votre miséricorde ».
Le mot était lâché : miséricorde ! Voyez comme cette réalité n’est pas propre à l’année sainte que nous vivons actuellement avec toute l’Église ! Elle ne cesse de rejoindre, à toutes les époques, ceux qui, au cœur de leurs misères, découvrent qu’il y a toujours plus grand : la miséricorde.
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Le jeune François fait alors l’expérience de la miséricorde divine comme d’une libération intérieure. Désormais, ce qu’il vit, ce qu’il croit, ce qu’il dit, part de cet intérieur où il a laissé la miséricorde le libérer de la culpabilité, des idées noires et des sentiments d’indignité.
François de Sales dira alors ces mots, qui peuvent tous nous guider, déjà pour ce dimanche ou cette nouvelle semaine : « il faut que nos paroles… sortent du cœur plus que de la bouche. » Et il poursuit : « On a beau dire, mais le cœur parle au cœur, et la langue ne parle qu’aux oreilles. »
Frères et sœurs, quand vous avez l’impression de ne pas être écoutés par un conjoint, un enfant, un ami ou un voisin, demandez-vous si vous avez cherché à ce que votre cœur parle au sien, ou simplement à ce que votre langue parle à ses oreilles. Je m’interroge aussi en vous proposant cette homélie, et j’espère que le prédicateur magnifique que fut saint François de Sales m’aide à vous parler depuis mon cœur pour toucher le vôtre, et non pas seulement à caresser vos oreilles par quelques belles idées ou quelques belles tournures, que vous aurez nécessairement oubliées une fois quitté cette basilique.
Que nos cœurs parlent davantage au cœur des autres ! Tant qu’on ne souhaite pas cela, on ne peut apporter la Bonne Nouvelle de l’Évangile ; parce qu’elle apparaît alors comme trop humaine, et donc suspicieuse d’être porteuse d’une quelconque idéologie. Quand l’Évangile ne passe pas, c’est d’ailleurs souvent que nous avons davantage cherché à défendre nos propres idées qu’à laisser le Christ, doux et humble, toucher les cœurs.
Et pour toucher les cœurs, saint François de Sales priait ainsi le bon Dieu : « Je veux être comme un abreuvoir public, ou les hommes et mêmes les bêtes peuvent venir s’abreuver ». Oui, soyons tous des abreuvoirs au cours de cette semaine, nous qui sommes venus aujourd’hui à la Source, remplir notre abreuvoir intérieur de Celui qui donne l’eau vive ! Et n’ayons pas peur ensuite, à chaque jour de cette semaine nouvelle, de laisser les autres venir boire auprès de nous, pour qu’ils trouvent du repos et qu’ils puissent se dire : « Que Dieu doit être bon, puisque les chrétiens sont si bon ! » Amen.