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Sunday 12 July - 15ème dimanche du T.O.
Nus et culottés
Par le père Ludovic FrèreVoilà une page d’évangile bienvenue pour ceux qui partent en vacances : « il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route… pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie »…. de quoi faciliter la préparation des valises et de vivre des vacances économiques !... Pour la suite, ces vacances pourraient pourtant se révéler plus difficiles, puisque Jésus poursuit : « Ne prenez pas de tunique de rechange »… au bout de quelques jours, ça risque de devenir problématique !
Alors, bien entendu, le Seigneur Jésus ne cherche pas ici à nous donner quelques bons conseils de voyage. Il parle à ses disciples, pour qu’ils soient de vrais disciples missionnaires, une demande qu’il fait à chacun d’entre nous, en vacances comme à toute période de l’année. Le repos estival s’avère cependant particulièrement propice pour discerner si nous acceptons cette mission. Il y a quelque chose d’un défi que Jésus nous lance aujourd’hui. Saurons-nous oser à répondre ?
Les conditions de la mission de tout chrétien doivent donc être bien entendues par nous tous. Si Jésus demande de ne rien prendre pour la route, de ne pas faire de provision et de ne pas changer de tenue, c’est que de telles dispositions possèdent une grande valeur spirituelle.
Pour ma part, ces demandes me sont apparues sous un jour nouveau quand je regardais un soir la télévision. Je suis tombé sur une émission intitulée : « nus et culottés ». Un titre bien trouvé, puisqu’il s’agit des tribulations de deux jeunes globe-trotters suffisamment culottés pour parvenir à voyager gratuitement à travers le monde, mais aussi, excusez-moi de le dire au cours d’une Sainte Eucharistie : des jeunes totalement nus au moment de leur départ.
Ceux parmi vous qui ont vu ces émissions savent bien qu’il n’y a vraiment rien d’impudique dans ces images ; Seulement un pari qu’ont fait ces deux jeunes, ou plutôt une question qui les taraudait : en partant à travers le monde totalement nus, sans vêtements et sans argent, trouve-t-on encore aujourd’hui des personnes disposés à vous aider ?
Et l’on voit, au fur et à mesure de leurs voyages, des habitants qui leurs donnent des vêtements, qui les hébergent et les nourrissent, ou qui les prennent en auto-stop.
Le plus intéressant dans l’expérience de ces deux jeunes comme dans celle des disciples de Jésus, c’est ce qu’il se passe vraiment quelque chose entre ceux qui demandent et ceux qui aident. De véritables relations se nouent entre les personnes, avec une conviction qui saute aux yeux des spectateurs de l’émission de télévision : si ces deux jeunes étaient partis avec des habits, de l’argent et de la nourriture, ils n’auraient sans doute jamais aussi profondément rencontré les autres.
Alors, quand Jésus demande à ses disciples d’être culottés en n’emportant rien pour la route, il me semble qu’il nous fait entrer dans le même défi : en partant nus, on doit nécessairement dépendre des autres, donc créer des relations de confiance. N’est-ce pas d’ailleurs tout simplement un résumé de l’existence humaine ? Nous naissons nus et des relations belles et profondes se nouent au fur et à mesure de notre reconnaissance de dépendance mutuelle.
Nous trouvons ici un fondement essentiel à toute mission d’annoncer le Règne de Dieu : si nous envisageons l’évangélisation comme un acte de supériorité, par lequel nous allons instruire des ignorants, nous ne pourrons certainement pas répandre l’Evangile. Mais si nous arrivons dans le monde, dans nos familles, dans nos repas entre amis, sans rien d’autre que notre foi humble et nue, alors l’annonce de l’Evangile n’apparaît plus comme un contenu apporté par en-haut ; elle devient une relation avec les autres, où l’on accepte aussi de recevoir ce qu’ils peuvent nous donner ; ainsi l’évangélisation devient échange… et le Christ peut passer.
Bien entendu, il n’est pas nécessaire – et même sans doute pas conseillé ! - de nous rendre à nos repas de famille totalement nus ; c’est évidemment une nudité intérieure que nous sommes appelés à choisir, une pauvreté fondamentale, qui nous rend mendiants de ce que les autres voudront bien nous donner. Pour notre part, nous pourrons leur proposer l’Evangile gratuitement, sans les bloquer sur le soupçon que nous cherchons peut-être à les embrigader, et que nous aurions là un intérêt personnel, un avantage quelconque. Dans notre monde si peu ouvert à la gratuité, pour témoigner du Christ sans susciter de suspicion, il nous faut avancer nus devant les autres. Nus et culottés !
Nous savons très bien que ce n’est pas d’abord à coup d’arguments bien pensés que nous pouvons ouvrir au Christ et à son salut. Remarquez d’ailleurs que, dans toute cette page de l’évangile d’aujourd’hui, on trouve bien peu de choses sur ce que les envoyés doivent dire. Seulement cette phrase : « ils proclamèrent qu’il fallait se convertir ». Les disciples du Christ n’ont qu’à témoigner de cela.
Nous, nous pensons peut-être souvent pouvoir convaincre par des arguments bien pensés sur la vie éternelle et sur la Trinité, sur la Messe ou contre l’avortement. Tout cela est absolument nécessaire, mais c’est second : pour conduire au Christ, nous n’avons pas à argumenter, nous avons seulement à dire : « il faut se convertir ». Or, c’est sans doute rarement par ce biais que nous envisageons notre témoignage évangélique, et souvent nous nous détournons de notre responsabilité commune d’évangélisation en prétendant ne pas être suffisamment formés pour y parvenir.
Il n’y a pourtant qu’une chose à dire : « il faut se convertir » ; mais le dire sans supériorité, parce que sans sac ni tenue de rechange, autrement dit : nus de tout prétention à donner des leçons ou à se croire supérieurs. Mais culottés, pour oser assumer cette mission de proclamer qu’il faut se convertir.
Si l’on vous interroge sur votre foi, sur la raison pour laquelle vous croyez au Dieu Trinité, à l’Eucharistie ou à la vie éternelle, commencez donc d’abord par répondre : « il faut se convertir ». Ce n’est pas botter en touche : c’est la porte d’entrée indispensable vers le Christ. S’il y a conversion, l’Eucharistie deviendra source et non plus énigme, la Trinité sera relation vivante et non plus théorie complexe ; et toutes les questions de morale seront prises dans le grand mouvement de la vie divine et de la résurrection.
Alors, nous l’avons bien compris, et nous pouvons le résumer, frères et sœurs : au cours de cet été, où nous risquons sans doute d’avoir à témoigner de notre foi en bien des occasions, que ce soit donc comme le Christ le demande aujourd’hui, par deux dispositions fondamentales : nus et culottés.
- la première disposition, c’est un comportement humble, le comportement de celui qui ne vient pas dire ce qu’il « faut croire », mais qui vient échanger avec les autres pour leur proposer le Christ, sans rien, ni sac, ni argent, ni tenue de rechange, pour qu’il devienne évident que nous n’avons rien à gagner à titre personnel, sinon le salut des autres, qui est l’œuvre de l’Esprit-Saint et notre plus grand désir.
- la deuxième disposition, c’est de dire simplement à ceux que nous rencontrons : il faut se convertir. Le dire sans supériorité, puisqu’on est venu sans tenue de rechange, nu et faible devant les autres. Sans supériorité, mais seulement comme porteur d’un message : il faut se convertir. Tout est là.
Les premières paroles du Christ dans l’évangile ne sont que cela : « convertissez-vous, car le Royaume de Dieu est tout proche ». Les paroles de la Vierge Marie dans tous les lieux d’apparitions au monde ne font que relayer ce même appel divin : à Lourdes, à la Salette, à Guadalupe, partout ! Et ici-même, la Belle Dame dit clairement à Benoîte : « j’ai demandé le Laus à mon divin Fils pour la conversion des pécheurs, et il me l’a accordé ».
Alors, au cours de cet été, soyons nus et culottés pour appeler les autres et nous appeler encore nous-mêmes à une conversion qui fait vivre et qui rend tellement heureux ! Amen.