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Sunday 19 October - Dimanche de la mission universelle, clôture du synode sur la famille et béatification du pape Paul VI
Nous sommes la monnaie de Dieu !
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Ah ! Les impôts ! Ceux parmi nous qui espéraient un dimanche qui les évade des soucis du quotidien en sont pour leurs frais, car Jésus nous ramène à la réalité concrète et actuelle du paiement des impôts. Selon un sondage tout récent, 89 % des français soumis à l’impôt estiment en payer trop… les 11% restants n’ayant pas dû comprendre la question ! Mais surtout, il n’y a pas besoin d’être fin politicien pour percevoir que les hausses d’impôts, surtout à l’égard des familles, ont parfois des visées idéologiques déplorables. Si l’impôt est bien entendu nécessaire à la vie sociale et utile pour développer le sens du vivre-ensemble et du bien commun, on peut comprendre qu’il soit parfois mal vu.
Mais du temps de Jésus, l’impôt était bien plus impopulaire encore, parce qu’il rappelait et entretenait la puissance d’occupation romaine. Le terrain est donc tout trouvé pour tendre un piège à Jésus. D’ailleurs, les Pharisiens – opposés à l’occupant romain – et les hérodiens – collaborateurs de l’occupant – vont unir leurs forces contradictoires sur ce terrain de l’impôt, comme pour prendre Jésus en tenailles : va-t-il se révéler collaborateur ou ennemi de l’empereur ?… des deux côtés, il aura des accusateurs prêts à le faire arrêter.
Mais comme à chaque controverse, Jésus ne va pas chercher seulement à sauver sa peau par quelque raisonnement subtil : il va en faire l’occasion d’un enseignement extrêmement profond, à plusieurs facettes essentielles, qu’il est fort utile d’oser explorer, surtout dans une démarche de pèlerinage, comme celle que vous vivez en ce sanctuaire.
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La première facette, la plus évidente, c’est la reconnaissance que le Seigneur est maître de toute chose, de toute la vie du monde. La première lecture l’a clairement illustré par la figure du roi Cyrus, cet empereur de Perse, qui devient l’instrument du dessein de Dieu. Et près de 600 ans plus tard, dans la même logique, Jésus dira à Pilate : « tu n’aurais aucun pouvoir si tu ne l’avais reçu d’en-haut » (Jn 19,11). Notre foi ne nous appelle donc pas à considérer la vie sociale et politique comme extérieure au projet de Dieu. Nous ne sommes pas de simples observateurs, voire des commentaires amers, du déroulement de l’histoire et de l’évolution des sociétés.
« Rendre à César ce qui est à César », c’est reconnaître la juste utilité et autonomie de la vie sociale, pour en faire l’occasion d’une rencontre avec le message de l’Evangile. Dans l’encyclique Ecclesiam Suam, qu’il écrivait voici 50 ans cette année, l’aujourd’hui bienheureux pape Paul VI encourageait l’Église à entrer toujours plus en dialogue avec le monde, un dialogue qui suppose, disait-il « la courtoisie, l’estime, la sympathie » et qui « exclut la condamnation a priori » : une Église qui « doit se faire conversation », exhortait Paul VI. Notre foi nous rend-elle capables de « conversation » avec le monde, en rendant à César ce qui lui revient ?
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Mais tout en reconnaissant la légitime autorité du pouvoir civil au service du bien commun, le Christ nous emmène bien plus loin encore. En ce jour où s’achève à Rome le synode pour la famille, nous pouvons prier et espérer que cette attention vive de l’Eglise à l’égard de la famille permette de rappeler à tous que César – l’Etat – n’a pas le droit d’aller à l’encontre des lois de Dieu : non pas que l’Etat doive nécessairement se fonder sur la révélation pour déterminer ses lois et son agir ; mais il y a au fond de tout être humain cette loi naturelle, cette loi d’évidence que tous ont le devoir moral et vital de suivre.
Cette loi naturelle nous dit que l’homme et la femme sont fondamentalement et heureusement différents. La loi naturelle, par notre conscience humaine, nous dit encore que personne n’est propriétaire d’une vie, ni les parents qui la font naître, ni les médecins qui l’accompagnent dans ses derniers moments.
César ne peut jamais prétendre être le maître absolu de toute la réalité ; la vie politique est une activité humaine traversée par plus grand qu’elle. A ce titre, comme croyants, il nous faut savoir dire non à un Etat quand il réclame ce qui appartient à Dieu seul ; des martyrs sont morts au cours de l’histoire et continuent à mourir pour défendre cette vérité. Ils ne s’inclinent pas devant des idoles, ils n’acceptent pas qu’un gouvernement s’arroge les prérogatives divines, surtout sur la vie, la mort et la famille.
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Mais justement, nous entrons ici dans le plus essentiel de l’enseignement du Christ : « montrez-moi la monnaie de l’impôt », demande Jésus. Il veut que ses interlocuteurs regardent cette monnaie. La raison en est que les pièces romaines portaient sur une face l’image de l’empereur, lequel se prenait pour un dieu. Pour tout juif, la représentation d’une image avait valeur de culte ; c’est d’ailleurs pourquoi, sur le parvis du temple de Jérusalem, on trouvait des changeurs de monnaie, ceux-là même dont Jésus a renversé les tables. Ces changeurs empêchaient la monnaie romaine, idolâtre, de pénétrer dans le temple.
La représentation de l’image est donc essentielle pour les juifs ; et Jésus va s’en servir génialement, par une référence implicite à une autre image, celle de l’être humain telle qu’elle est révélée dans le livre de la genèse. Lorsque Dieu crée l’être humain, il dit : « faisons-le à notre image, selon notre ressemblance » (Gn 1,26). Ainsi, l’impôt doit être payé à César car l’effigie sur la monnaie est la sienne ; mais chaque être humain portant en lui une autre image, celle de Dieu, il doit se rendre lui-même à Dieu. Saint Augustin enseignera: « Si César cherche son effigie sur la monnaie, Dieu ne cherche-t-il pas son image dans l’homme ? » (En. in Ps., Psaume 94, 2).
Nous sommes à Dieu ; nous devons donc lui être rendus, comme la monnaie de César doit être rendue à César. Chacun d’entre nous est monnaie de Dieu, qu’il a payé d’ailleurs très cher par l’offrande de sa vie sur la croix. C’est encore saint Augustin, qui dira : « Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit frappée sur la monnaie ; [...] rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face » (ibid., Psaume 4, 8).
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Alors, en ce dimanche et en ce lieu de conversion, demandons-nous si nous rendons vraiment à Dieu ce qui est à Dieu : Notre âme est-elle nettement marquée de son image ? Notre mission de chrétiens consiste alors à proclamer la souveraineté de Dieu : c’est l’objet de cette liturgie qui nous rassemble, mais c’est aussi par toute notre vie que cette souveraineté doit transparaître, car nous sommes la monnaie de Dieu… non pas une petite monnaie insignifiante, comme les centimes d’euros qui encombrent souvent nos porte-monnaie : nous sommes ce que le Seigneur a de plus cher au monde. De plus cher au monde ! Rendons-lui donc ce qui lui est si cher ! « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu » : oui, rendons-nous totalement au Seigneur ! Amen.