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Sunday 20 November - Solennité du Christ, roi de l'univers
"Nous n'avons pas vu !..."
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Les méchants comme les bons s’interrogent de la même manière : « Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu ?... Quand sommes-nous venu jusqu’à toi ? » Ils n’ont pas vu, ils n’ont pas compris la royauté du Seigneur.
Il faut dire qu’à chaque fois qu’elle est présentée, cette royauté suscite les mêmes interrogations. Pilate demande au Christ : « es-tu roi ? » Il reçoit cette réponse énigmatique : « c’est toi qui dis que je suis roi ».
Auparavant, quand Jésus avait multiplié les pains et fait de nombreuses guérisons, on avait cherché à le porter en triomphe – et même, à « l’enlever pour le faire roi », nous dit saint Jean (Jn 6,15). Mais le Christ s’était alors enfui, pour partir à l’écart ; Il ne peut pas être enlevé, Il peut seulement se donner : telle est sa royauté.
Après un événement exaltant comme celui de la Transfiguration, on voit le Christ faire redescendre les disciples de la montagne et leur révéler ses souffrances et sa mort prochaines : il ne veut pas les laisser sur une seule image de gloire. Tout aussi paradoxalement, c’est à la veille de la passion, alors que les prétentions royales du Christ semblent démenties par les faits, qu’il annonce : « quand le Fils de l’homme viendra, il siègera sur son trône de gloire ».
Sans cesse, ce paradoxe entre gloire et humiliation, renommée et rejet, force et faiblesse, royaume présent et à venir, marque la royauté du Christ, jusqu’à ce qu’elle ait recouvert toute la réalité, à la fin des temps. On comprend donc que cette royauté suscite autant d’interrogations : « es-tu roi ? » « Quand est-ce que nous t’avons-vu ? » « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre » ? « Quand t’avons-nous servi ?... » Nous n’avons pas vu, pas compris, pas regardé au bon endroit.
* * *
Alors, qui mieux que le Christ Lui-même peut nous dire où regarder pour le trouver ? « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont les miens, c’est à moi que vous l’avez fait ; ce que vous n’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait ». Dans les temps où nous sommes, voilà où trouver particulièrement le Christ, voilà comment il a choisi de régner.
Au 5e siècle, Saint Césaire d’Arles osait dire que les pauvres, les nus, les prisonniers sont « le médicament des riches ». Le Christ s’était présenté comme le médecin ; les pauvres sont nos médicaments. Ils nous guérissent de nos plus grands maux, à commencer par cette maladie chronique qu’est l’attachement aux biens matériels et ce cancer qu’est l’orgueil.
Un médicament ne peut être regardé de loin ; il doit être pris, avec régularité, en respectant la prescription du médecin, afin de pouvoir guérir. Le traitement n’est pas toujours agréable à prendre ; il a même quelques effets secondaires, mais voulons-nous guérir ? Le Christ-médecin nous donne, dans l’Evangile d’aujourd’hui, la prescription médicale, avec une posologie très claire : nous devons nourrir, abreuver, visiter, soigner, accueillir les plus petits.
Dire que les pauvres sont « le médicament des riches » ne signifie évidemment pas qu’il faudrait considérer les plus indigents comme de seuls « moyens » nous permettant de guérir de nos propres péchés - ou pire, de nous donner bonne conscience.
Avec le Christ, la réalité est totalement bouleversée, et c’est là que se trouve sa royauté : les pauvres ne sont pas nos faire-valoir, mais ils sont particulièrement images du Christ en son abaissement, au point qu’en les servant nous Le servons. Nous leur révélons ainsi leur profonde dignité, malgré leur vie souvent brisée. Et nous les respectons, comme nous le faisons du Christ au Saint-Sacrement.
Bien sûr, les pauvres ne sont certainement pas toujours meilleurs que les autres ; reconnaître en eux le Christ, ce n’est pas faire d’angélisme à la pauvreté, mais c’est découvrir la royauté cachée du Sauveur du monde.
« Lui, qui de condition divine, n’a pas revendiqué son droit d’être traité à l’égal de Dieu », s’est fait serviteur et pauvre. Par l’incarnation, il s’est abaissé jusqu’à devenir petit enfant, nécessitant d’être nourri, soigné, abreuvé par sa Sainte Mère et son père adoptif. Dans les béatitudes, il a révélé qu’il était un pauvre de cœur, un affamé de justice, un assoiffé d’amour. Dès son prologue, saint Jean Le présente comme un étranger, qui n’est même pas reçu chez les siens (cf. Jean 1,11) ; et, au soir du jeudi Saint, il est arrêté tel un malfaiteur, et mis en prison pour y subir le châtiment du fouet et de l’humiliation. Enfin, sur la croix, il est totalement dépouillé de ses vêtements et de sa dignité.
Notre Seigneur est donc bien le pauvre, l’affamé, l’humilié, le prisonnier, l’étranger. Et puisqu’il est allé jusqu’au plus bas de nos souffrances, il peut à juste titre être proclamé Roi de l’univers, car sa royauté rejoint absolument toute notre réalité, depuis les confins de l’univers qu’il a créé jusqu’aux plus pauvres qu’il a rejoints. Rien ni personne ne peut se croire exclu d’un tel Royaume.
Nous n’avons donc pas le choix : si nous ignorons les plus pauvres, nous ignorons le Christ. Que la vigilance et l’ouverture du cœur nous préservent d’être, au jugement dernier, de ces serviteurs étonnés d’être renvoyés pour avoir manqué de servir le Roi dans les plus petits. Nous ne pourrons pas partager cet étonnement, car désormais nous, nous savons. Le Seigneur nous l’a révélé ; nous n’aurons donc pas l’excuse de l’ignorance.
Alors, prenons davantage de temps pour visiter les malades, les personnes âgées, les prisonniers. Osons faire des dons plus généreux en faveur des pauvres, d’ici ou d’ailleurs. Servons les plus petits, à commencer par l’attention à préserver la vie à naître, par notre refus de l’avortement, et l’attention à entourer la vie finissante, par notre refus de l’euthanasie. Soyons davantage accueillants aux étrangers, en prenant soin de passer nos idées politiques au crible de l’Evangile des béatitudes. Soyons attentifs aux plus nécessiteux, qui peuvent être des pauvres, mais aussi un conjoint qui a besoin de plus d’attention, ou un enfant qui espère patience et douceur de la part de ses parents.
Sans oublier ce que disait Mère Teresa : « les plus pauvres des pauvres, ce sont les âmes mortes ». L’exemple de Benoîte, en ce sanctuaire, montre qu’il est possible de répondre à l’appel au service des plus petits, en veillant aussi à leur salut : prier pour les plus grands pécheurs et leur annoncer l’Evangile.
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Frères et sœurs, au jour du jugement, le Seigneur séparera les bons et les méchants. Ce sera le deuxième acte de séparation de l’histoire du monde. Le premier avait eu lieu à la création, quand Dieu sépara la lumière et les ténèbres, et Il vit que cela était bon. La deuxième aura lieu lors du jugement dernier, quand Dieu séparera les enfants de lumière des enfants des ténèbres, séparés sur le seul critère des actes accomplis ou de ceux qui auront été omis.
Alors, pour que notre célébration du Christ Roi de l’univers prenne aujourd’hui tout son sens, je vous propose que chacun d’entre nous, au cours de cette dernière semaine de l’année liturgique, fasse un geste, une attention, un don supplémentaire, pour ceux qui sont vraiment dans le besoin. Et ainsi, le Christ sera servi, de manière complémentaire – indispensablement complémentaire – au service que nous lui offrons par l’honneur de cette liturgie.
Amen.