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Sunday 30 October - Homélie du 31e dimanche du TO
"Ne donnez à personne sur terre le nom de père!"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire« Ne donnez à personne sur terre le nom de Père ». Combien de fois, dans m’a-t-on interpellé sur cette parole du Christ, en me demandant pourquoi les prêtres, qui ont pour mission première de nous renvoyer au Père, ont pris ce titre pour eux-mêmes…terrible usurpation, a-t-on envie de dire !
Mais, par honnêteté intellectuelle et par vraie fidélité au Seigneur, évitons tout fondamentalisme. S’arrêter à une question de terminologie est d’ailleurs bien confortable : parce qu’on se préoccupe alors d’un mot, en passant sous silence tout ce qu’il y a autour.
S’il vous plaît, évitons aujourd’hui cette étroitesse d’esprit, pour ouvrir les yeux sur le redoutable enseignement du Christ :
- ne pas agir pour être remarqué des autres,
- ne pas chercher les premières places ni les salutations,
- ne pas « dire » sans « faire »
- et ne pas s’élever soi-même.
Tout cela n’est-il pas plus important que de savoir s’il faut appeler notre papa ou notre prêtre d’un autre terme que celui de « père » ? Car c’est ici toute une disposition à l’humilité que le Christ nous appelle à vivre, et nous savons que c’est loin d’être facile.
Il n’est pas évident d’être humble, mais puisque le Seigneur nous le demande instamment, c’est que c’est possible, et même indispensable. Il va d’ailleurs jusqu’à nous donner les moyens d’y parvenir, notamment en nous enseignant trois attitudes qui permettent la véritable humilité.
* * *
La première attitude, c’est celle d’un mot à la mode, facilement employé sans nécessairement entrer dans la réalité de ce qu’il implique : l’abandon.
L’abandon, car il ne s’agit pas d’abord d’accomplir des choses pour être humbles, mais au contraire de cesser d’en faire certaines. Dans l’Evangile d’aujourd’hui, le Christ emploie essentiellement des négations pour nous inviter à l’humilité : « ne pas agir pour se faire remarquer, ne pas chercher les premières places, ne pas s’élever soi-même ». L’humilité se joue essentiellement dans le fait d’être capable de réfréner nos tendances à nous mettre en avant.
Il s’agit de nous retirer, mais pas de n’importe quelle manière : retirer notre ego pour laisser davantage de place au Christ. Lui qui s’est fait serviteur jusqu’à laver de ses disciples et, de manière ultime, jusqu’à vivre le terrible abaissement de la croix, comment sa présence en nous ne bouleverserait-elle pas notre égocentrisme ?
Mais sans doute une deuxième disposition est-elle indispensable encore, pour que nous comprenions que nous n’avons rien à perdre avec l’humilité, ou que ce que nous aurons lâché est de toute façon ce qui ne nous était absolument pas utile, voire même périlleux pour notre salut.
Cette deuxième disposition, c’est l’estime de soi. Si nous en manquons, nous risquons de rechercher avidement de la reconnaissance, pour nous convaincre que nous vallons la peine d’exister, que nous avons de la valeur, que nous ne sommes pas un échec vivant.
Ce n’est pas d’amour propre dont il s’agit ici, mais d’une estime de soi, qui est d’abord une prise de distance par rapport à nos limites et à nos échecs. Une telle prise de distance est salutaire, mais nous nous l’accordons rarement.
Votre pèlerinage au sanctuaire du Laus peut être un moment favorable pour redécouvrir une véritable estime de vous-mêmes, en laissant la Vierge Marie vous éclairer sur vos qualités, sur ce que vous faites de bien, sur ce que vous avez construit, malgré toutes les apparences contraires. Ici, la Vierge Marie nous le montre, comme elle l’a montré à Benoîte, en nous offrant d’abord tout son amour maternel, qui nous convainc que nous avons de la valeur et que nous sommes infiniment aimés du Seigneur.
* * *
Mais pour que jamais aucune grâce ne soit gardée captive en nous, une troisième disposition est indispensable. Elle n’est plus affaire d’abandon ou d’estime de soi ; elle se joue dans l’action, comme un combat, une guerre terrible : la guerre contre notre orgueil !
Pour mener cette guerre, il faut d’abord vouloir la gagner, ce qui oblige à un regard lucide sur nous-mêmes et sur la vanité de nos petites élévations, quand le Christ nous promet une Ascension éternelle.
Il faut ensuite trouver les armes du combat. Si dans le combat contre notre orgueil, nous savons que nous nous attaquons à un géant, pensons au récit de David et Goliath, dans le 1er livre de Samuel. Certains parmi vous m’ont déjà entendu prendre cette comparaison, pardon de la répéter, mais elle est si précieuse : le frêle David est envoyé par Dieu pour attaquer le solide Goliath. Comme arme, il n’emporte qu’une fronde et cinq cailloux, que j’aime à interpréter comme la préfiguration du chapelet, cette fronde de cinq dizaines.
Rien ne pouvait humainement conduire à croire que David allait l’emporter sur Goliath. Mais son arme dérisoire va se révéler puissante pour terrasser le géant. Ainsi en est-il pour nous de la prière du chapelet : dérisoire à nos yeux, au point d’être négligée, voire dépréciée par certains, le rosaire se révèle une arme redoutable pour faire tomber les géants ; et le premier géant qu’il peut terrasser, c’est notre orgueil.
Prenez donc en mains un chapelet. Dans une chapelle, à la maison ou en marchant, peu importent les modalités ; mais priez le chapelet. Marie, la toute-humble, nous ouvre alors à une compréhension de la réalité de notre être et de notre juste place dans le monde, en nous faisant entrer davantage dans les mystères de la vie de son Fils.
Si le chapelet est une arme de choix pour terrasser le géant orgueil, une autre arme permet d’inscrire la disposition à l’humilité dans la durée : c’est l’Eucharistie. Car c’est seulement en accueillant le Christ, le grand Vainqueur de l’orgueil, que nous pouvons prendre, comme Lui, la place des serviteurs, jusqu’à mourir à nous-mêmes.
Comment pourrions-nous garder une miette d’orgueil quand nous approchons pour communier – ou quand nous vivons la communion de désir ? Car alors, le Christ nous rejoint dans un acte de fabuleuse humilité, puisqu’il va jusqu’à s’offrir en nourriture ! Qui pourrait approcher, ouvrir la bouche ou tendre les mains avec orgueil devant ce Dieu qui se donne à manger ?
* * *
Et c’est seulement maintenant, après ce regard fondamental sur l’orgueil et l’humilité, que nous pouvons revenir à cette parole du Christ : « ne donnez à personne le nom de père ». Car nous pouvons à présent comprendre que ce n’est pas un problème de terminologie, c’est une question de source de vie !
A travers le mot « père », Jésus nous appelle à remonter la « généalogie spirituelle », si l’on peut dire, qui nous replace devant notre seule origine : Dieu, qui nous a donné la vie par la création et qui nous a redonné vie par la rédemption.
Tout ce que nous faisons et tout ce que nous sommes prend sa source en Lui. « Ne donnez à personne le nom de Père » signifie donc : ne prenez personne pour votre source, et surtout pas vous-mêmes. Ne manquez jamais de remonter jusqu’à Dieu, car tout vient de Lui, et tout va vers Lui.
Nous voyons que c’est beaucoup plus profond qu’un terme à proscrire pour appeler un prêtre ou un père de famille. A rester à des querelles périphériques, nous manquons l’essentiel de la vie et l’essentiel du salut.
Le Seigneur nous attend donc, cette semaine encore, pour que nous Le reconnaissions humblement comme la source de tout bien. Et qu’à cette source, nous ne manquions pas de venir puiser, pour devenir, par participation, source pour les autres, c’est-à-dire pères et mères physiques ou spirituels, qui transmettent la vie qu’ils n’ont pas crée, mais dont ils sont d’humbles gestionnaires. Amen.
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