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Sunday 2 November - Commémoraison de tous les fidèles défunts
Mort, où est ta victoire ?
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireElle ne fait pas de distinction entre les riches et les pauvres ; pas même entre les bons et les mauvais. Elle s’en fiche que l’on soit mère de famille, grand père attentif, prêtre zélé ou tout jeune enfant. On comprend alors qu’elle soit souvent représentée comme une faucheuse, elle qui coupe l’élan de la vie sans ménagement. Et quand nos proches en sont victimes, nous voici abasourdis : non, ce n’est pas possible ! On veille le corps inanimé, tristement, tendrement, espérant peut-être un signe. Et l’on s’incline devant le cercueil, sans parvenir toujours à se convaincre que la personne tant aimée se trouve bien "là-dedans". La mort devant laquelle Jésus va pleurer, quand son ami Lazare y aura été piégé, ce dimanche nous offre de la regarder bien en face.
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Car la révélation chrétienne ne nie pas la mort, elle n’en néglige pas la réalité dramatique ; mais elle la fait rejoindre et traverser par le Dieu de la vie. Une mort clouée sur la croix, rendue impuissante à faire désespérer. Une mort mise au tombeau, rendue silencieuse par le chant de l’Alléluia pascal.
Et l’on entendra saint Paul braver la mort en l’interpelant : « où est ta victoire ? » (1 Co 15,55). N’a-t-il donc jamais vécu le drame d’un deuil, cet apôtre enthousiaste ? Oh, que si ! Mais sa rencontre avec le Ressuscité lui fait confesser hardiment : « pour moi, vivre c’est le Christ ; et la mort m’est un avantage » (Phil 1,21). Il n’y a aucune fuite, aucun dégoût de la vie dans cette confession, mais une rencontre décisive avec Celui qui a vaincu la mort ; une rencontre personnelle avec le Sauveur du monde !
Nous sommes tous touchés et désarmés devant les larmes de parents qui ont perdu un enfant, de conjoints qui disent adieu à leur amoureux, d’enfants qui voient partir ceux qui leur ont donné la vie. Désarmés et meurtris, mais pas anéantis.
C’est encore saint Paul, qui dira aux Thessaloniciens : « il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance » (1 Th 4,13). Bien entendu, la foi ne nous interdit pas de pleurer ; c’est un droit, une nécessité peut-être. C’est un cri, aussi, quand la mort est tellement injuste, frappant un enfant ou un jeune, une mère ou un père de famille. Certains parmi nous vivent peut-être actuellement un deuil trop lourd à porter ; qu’ils reçoivent toute l’affection de notre assemblée, mais aussi tout le soutien de notre foi, car la foi nous empêche de désespérer, nous qui portons l’espérance invincible que "ce n’est pas fini".
Par le Christ, la mort reste un passage douloureux, mais comme l’est un enfantement, oui telle est notre foi : comme l’est un enfantement ! Un passage indispensable au déploiement de la vie ! Mourir, ce n’est pas tout perdre, c’est accéder à notre véritable existence, notre seule vraie demeure. Car « nous sommes citoyens des cieux », dit la lettre aux Philippiens (Phil 3,20). Elle est là-haut, notre vraie patrie, notre seule maison… ne serait-il pas fou de manquer d’y habiter, en nous attachant avec excès aux demeures de la terre ?
Nous sommes faits pour aller à la maison : « je pars vous préparer une place » (Jn 14,10), promet le Christ…Et nous, nous voudrions nous contenter d’un siège instable et forcément provisoire sur cette terre ! Qu’il est lumineux, n’est-ce pas, de participer parfois à des funérailles vraiment chrétiennes ; non pas seulement des obsèques à l’Eglise, mais une messe ou une célébration d’Adieu qui confie à Dieu, dans une foi pleine d’espérance.
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Ainsi, le passage de la mort à la vie ne concerne pas seulement « l’après » de notre existence, car il serait tentant de se contenter alors d’un « on verra bien ce qui se passe ! » Non, c’est déjà maintenant que nous sommes appelés à un regard par En-haut, un regard par la vie.
A celui qui écoute la Parole de Dieu et qui la garde, Jésus promet ainsi dans l’évangile de ce jour : « il échappe au Jugement, car il est déjà passé de la mort à la vie ». Il échappe au jugement, celui qui se laisse prendre par la victoire du Christ sur le mal et sur la mort. Il s’unit à celui qui est « la Vie » (Jn 14,6) ; et cette union devient même une mission : la mission de prier pour les défunts.
Cette prière est demandée par le Seigneur lui-même : dans le 2e livre des martyrs d’Israël, il nous révèle que c’est là « un geste tout à fait noble et beau, inspiré par la pensée de la résurrection » (2 Mar 12,44). Car dans sa miséricorde, le Seigneur a déposé dans les mains de l’Eglise, dans les mains de chacun de nous, une force de prière qui peut aider nos défunts à hâter leur rencontre avec le Dieu d’amour. Nous pouvons ainsi contribuer à ce que les âmes du purgatoire entrent au plus vite dans la béatitude éternelle.
Ah, nous savons bien que ce mot de « purgatoire » en dérange beaucoup. Si c’est le mot qui ne vous plaît pas, trouvez-en un autre, sans doute plus positif, ce serait bien. Et si jamais c’est la notion de jours et d’années du purgatoire qui vous rebute, accueillez l’enseignement des évêques de France, qui disaient dans le catéchisme de 1991 : « Pour parvenir à [la] contemplation de Dieu, une ‘étape’ de purification, appelée purgatoire, peut être nécessaire. Il ne s’agit ni d’un lieu, ni d’un temps ; on peut parler plutôt d’un état »[1].
Oui, un « état d’âme ». Et vous voici, frères et sœurs, dans un sanctuaire qui ouvre sublimement à cette réalité, de manière positive. On lit ainsi dans les Manuscrits du Laus, deux ans après les premières apparitions : « Benoîte vit une grande procession qui sortait du purgatoire et que la Mère de Dieu, avec deux de ses anges, conduisait au Laus. C’étaient tous des pécheurs comme nous autres, ayant bien profité des grâces que Dieu et sa sainte Mère leur avaient faites en ce saint lieu »[2]. Ou encore, un jour de la Toussaint de l’année 1702, Benoîte voit une autre procession. « Ces âmes bienheureuses lui disent : "Nous allons adorer Dieu, remercier ici notre bonne Mère, notre avocate et protectrice. Après, nous allons au Ciel, jouir de la gloire éternelle" »[3].
Entendez-vous comme ce sanctuaire a un rôle important pour aider les âmes à monter vers Dieu ? Entendez-vous comme la Vierge Marie, « avocate est protectrice », intervient pour nous unir au plus vite à son Fils ? Entendez-vous comme ces âmes sont heureuses d’enfin rejoindre leur époux éternel ?
Reprenant une image bien connue, on pourrait dire qu’il en est de la vie au purgatoire comme d’une jeune fille, rencontrant un homme et tombant amoureux de lui. Elle voudrait l’approcher et l’étreindre, d’autant qu’elle perçoit qu’il a pour elle un amour bien plus grand encore.
Mais au moment de courir dans ses bras, elle remarque à quel point elle ne sent pas bon, elle a les cheveux sales et des habits puants. Elle retourne donc se changer rapidement ; l’amoureux a promis qu’il l’attendrait.
Mais ce temps pendant lequel elle se prépare est à la fois de joie et de tristesse : son âme est torturée d’un « si j’avais su », qui ne la conduit pourtant pas au désespoir, mais à une prise de conscience de l’écart malheureux entre l’amour qu’elle a contemplé et son manque de vigilance à se soigner. La rencontre est pour bientôt, l’amoureux attend.
Mais les amis de cette fille, vont-ils seulement rester les bras croisés pendant ce temps-là ? Ne vont-ils pas l’aider à se peigner, à se soigner, à s’habiller ? C’est leur amour pour elle - et pour lui - qui va les conduire à offrir du temps pour que la rencontre ne tarde plus.
Ainsi en est-il de notre prière pour les défunts ; ainsi en est-il de la célébration de la messe, dont la grâce incommensurable se déverse sur eux comme un parfum qui, les rendant plus dignes de la rencontre, va hâter l’étreinte éternelle.
Mettons donc du poids d’amour à prier pour nos défunts ! « Car amour obtient amour », disait saint Thérèse d’Avila. Ni appréhension de la mort, ni crainte de jugement, ni peur de vivre : mais seulement amour, car amour obtient amour. Amen.
[1] Catéchisme des évêques de France, 1991, § sur le purgatoire.
[2] CA A. p. 469 [515] – année 1666
[3] CA G. p. 205 X [251] – année 1702