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Sunday 9 August - La marche sur les eaux
Messe du dimanche 9 août 2020 - 19e dimanche du temps ordinaire A
Par le Père Ludovic Frère, recteurMesse du dimanche 9 août 2020 - 19e dimanche du temps ordinaire A
Homélie du Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
La marche sur les eaux
94 % pour un tout petit embryon. 60 % pour un adulte. 70,7 % pour notre planète. À votre avis, de quoi s’agit-il ? Du pourcentage d’eau. Le petit embryon est composé à 94% d’eau, l’adulte à 60%, tandis que l’eau couvre 70,7% de notre planète.
Ainsi, quand nous regardons couler un torrent de montagne, quand nous apaisons notre soif par un bon verre d’eau, quand nous plongeons dans une piscine ou dans le lac de Serre-Ponçon, nous sommes en contact avec l’élément le plus répandu sur Terre, comme en nous-mêmes.
L’eau, c’est la vie ! Mais la puissance de l’eau la rend capable aussi de tout dévaster, inonder et noyer, tandis que les fonds marins restent des lieux presqu’inquiétants d’une vie dont ne sait pas encore tout.
Et voilà qu’aujourd’hui, le Christ vient marcher sur les eaux. Il vient marcher sur cet élément qui couvre plus des deux tiers de la Terre et plus de la moitié d’un homme. Cet élément nécessaire à la vie et capable de donner la mort, Jésus-Christ, Sauveur du monde, marche dessus… Qu’est-ce que ça veut dire concrètement pour nous ? Je vous propose d’explorer 3 pistes d’interprétations possibles, comme une invitation à en trouver peut-être encore d’autres par vous-mêmes.
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La première interprétation s’appuie sur une réalité qui peut faire bien des vagues en nous : la recherche de gloire. « Aussitôt après avoir nourri les foules dans le désert », précise saint Matthieu, Jésus fait le vide autour de lui : il « oblige » les disciples à partir en barque – s’il les oblige, c’est certainement qu’ils n’en avaient pas envie. Jésus doit les obliger à partir, tandis que lui-même renvoie la foule.
Très clairement, Notre Seigneur prend des dispositions courageuses et prudentes pour fuir la vaine gloire dans laquelle il pourrait se complaire après la multiplication des pains. Devant ce grand succès, saint Jean précise même : « Sachant qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi, Jésus se retira de nouveau sur la montagne » (Jean 6,15).
Nous pouvons alors puiser dans cette attitude du Christ dominant les vagues du succès, la force de résister nous aussi à toute forme d’orgueil. Au chapitre 5 de saint Jean, le Christ interroge ses disciples, dont nous sommes, pour demander : « Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique ? » (Jean 5,44). Entretenir l’orgueil au lieu de glorifier Dieu seul, ça bloque l’élan de la foi : « comment pourriez-vous croire ? »
Joignant, comme toujours, le geste à la parole, Jésus renvoie ses disciples, disperse la foule et part à l’écart pour retremper son âme dans la communion avec le Père et le Saint Esprit. Voilà comment il peut résolument marcher sur les eaux sans saveur des futiles gloires humaines : c’est en plongeant dans l’union qu’il vit de toute éternité avec le Père et le Saint Esprit.
Face aux tentations mondaines, nous aussi, retrempons-nous sans cesse dans l’union trinitaire ! Comme Jésus, à l’écart sur la montagne, nous sommes ici en un lieu privilégié pour prendre de la hauteur sur la vanité de nos orgueils. Avec ce regard qui voit les choses par en-haut et qui fait plonger dans l’amour trinitaire, marchons sur nos prétentions orgueilleuses, comme Jésus marche sur l’eau d’un pas déterminé. Marchons sur notre orgueil, ne nous y arrêtons pas ; sinon, nous risquons bien de couler, et de couler peut-être même éternellement dans un orgueil égocentré.
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Deuxième interprétation possible de la marche de Jésus sur les eaux : elle peut être comprise comme une marche sur toutes nos peurs. Car c’est bien une ambiance de peur qui domine cet épisode évangélique. Oui, il faut bien le reconnaître : nous risquons parfois de nous noyer dans nos peurs. Laissés à nous-mêmes, nous parvenons difficilement à marcher sur les eaux tumultueuses de nos préoccupations et de nos angoisses.
Mais voilà Jésus qui marche dessus et qui nous dit : « confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! » Au cœur de nos tempêtes intérieures et quelle que soit la profondeur de nos abîmes, Lui seul est capable de renvoyer nos foules de soucis comme il a renvoyé les foules après la multiplication des pains. Et alors, nous pouvons continuer la traversée de la vie.
Pour saisir que Jésus est vraiment la seule solidité qui nous fait tenir dans l’existence, les disciples doivent faire cette expérience déstabilisante de la tempête sur le lac. Nous aussi, certainement, il peut être nécessaire que nous vivions des moments où il faut ramer dans la nuit et affronter des vagues ; des moments pour expérimenter notre pauvreté.
Sans cela, le Seigneur ne sera jamais qu’une bouée de sauvetage accrochée à notre embarcation, qu’on oublie quand la mer est calme et qu’on va seulement chercher en urgence quand vient la tempête. Mais le Christ n’est pas une bouée ; il est l’embarcation, la seule embarcation solide pour tenir dans la vie ! Tous les frêles radeaux que nous nous construisons ne tiennent pas dans la tempête. Recherche de bien-être, développement personnel, biens matériels et réussites sociales… tous ces radeaux ne supportent pas l’épreuve des vagues. Seul le Christ se tient debout quand le vent est fort et la mer déchaînée.
Alors, pour grandir dans la foi, nous avons sans doute parfois besoin d’expériences de nuits et de vagues, qui nous fassent choisir sur quelle embarcation nous voulons naviguer dans la vie.
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Ainsi, Jésus marche sur les vagues de nos peurs comme il marche sur les profondeurs de nos orgueils. À ces deux interprétations de la marche sur les eaux peut s’ajouter une troisième, eu égard à une réalité biblique qu’on peut constater : les Hébreux redoutaient les eaux, ils n’avaient pas le pied marin. Pour eux, la mer était un lieu obscur, grouillant de bêtes inquiétantes, et même plus : le lieu des forces du Mal.
Jésus qui marche sur les eaux, c’est donc Jésus qui marche sur le Mal. C’est une annonce de sa Passion, où le Sauveur ira d’un pas décidé offrir sa vie pour nous libérer des forces du Mal. Jésus marchant sur les eaux annonce donc sa victoire prochaine et définitive sur le Mal.
Les fonds marins, le Sauveur les remplace par les fonds baptismaux. L’eau n’est plus signe de domination du Mal, elle devient signe et moyen de la défaite de Satan. Le péché originel est effacé, l’être humain devient homme nouveau dans le Christ. Il meurt au péché, il laisse au monde ancien, il reçoit la vie surnaturelle, il est ressuscité. L’eau qui étouffait dans la mort devient eau qui donne la Vie !
Alors, dans le Christ, par Lui, avec Lui et en Lui, marchons sur les eaux du Mal. Elles ne peuvent plus nous étouffer, elles ne pourront plus nous noyer, car le Christ est vainqueur ! Cette victoire, il nous faut la confesser, pas seulement quand tout va bien, mais aussi, et surtout, dans les tempêtes de l’existence. Cette victoire, il faut nous y accrocher, sans quoi, comme Simon-Pierre, aux beaux élans pour avancer vont succéder les inquiétudes de ne rien maîtriser… et c’est à ce moment-là qu’on risque de couler.
Mais toujours, le Christ nous tend la main, comme il le fait avec Simon-Pierre. Il ne laisse pas son ami sombrer dans les eaux tumultueuses de ses inquiétudes ou de ses complicités avec le Mal. Tout de suite, il lui tend la main et le sort de l’eau. Non sans lui faire remarquer qu’il est un homme de peu de foi, mais c’est justement cette main tendue qui pourra affermir la foi du futur pape.
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Au final, avec ces trois interprétations de la marche sur les eaux comme domination sur l’orgueil, sur les peurs et sur le Mal, sont une annonce évidente des événements de Pâques. La succession des faits est là pour nous le suggérer : Après la multiplication des pains – préfigurant la Cène du Jeudi Saint – Jésus part seul sur la montagne pour prier – annonçant la nuit d’agonie au jardin des Oliviers. La tempête de la mort se déchaîne – c’est le vendredi Saint -, les disciples se croient abandonnés – c’est le samedi saint. Mais Jésus marche sur les eaux de la mort : il sort vivant du tombeau, il leur dit : « n’ayez pas peur, c’est bien moi ».
Portée par ce mystère pascal, notre existence est ainsi comme une grande traversée des eaux. Nous sommes nés dans les eaux, nous sommes composés d’une grande partie d’eau, nous sommes appelés à traverser les eaux du péché, des peurs et de la mort. Mais embarqués sur les flots de l’existence, nous ne pouvons parvenir seuls sur l’autre rive. Nous le confessons alors avec jubilation : parce qu’il a marché sur les eaux pascales, le Sauveur viendra vers nous dans la nuit de notre mort. Il nous tendra la main et nous dira : « confiance, c’est moi, n’aie pas peur ». Amen.