Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 1 November - Tous morts pour être tous saints !
Messe du dimanche 1er novembre 2020 – Solennité de la Toussaint
Par le père Ludovic Frère, recteurTous-saints ! Tous les saints qui ont éclairé l’histoire du monde sont si nombreux, qu’il n’y a pas assez de jours dans l’année pour tous les célébrer. D’où cette fête pour les honorer tous ensemble en une seule fois et reconnaître leur profonde communion tout en contemplant leur formidable diversité.
Saints pères et mères de familles ; saints époux qui se sont aidés mutuellement à le devenir ; saints martyrs d’hier et d’aujourd’hui ; saints enfants qu’on pas laissé naître ; saints papes et évêques au service de la vérité et de l’unité ; saints hommes et femmes ayant vécu honnêtement leur quotidien ordinaire ; saints grands penseurs spirituels et saints mystiques ; saints prêtres zélés dans leur ministère ; saints évangélisateurs jusqu’au bout du monde ou dans leur quartier ; saints jeunes ayant mis tout leur cœur dans l’amour de Jésus ; saints malades ayant offert leurs croix avec le Christ ; saints veufs et veuves ayant tenu fermes dans l’espérance ; saints consacrés désireux de suivre Jésus au plus près ; saints célibataires au cœur ouvert… tous les saints que l’Église nous fait honorer aujourd’hui dans une même fête sont d’une diversité sublime !
Mais ils ont un grand point commun : ils sont tous morts ! Eh oui, pour être saint, il faut être mort. Nul ne peut voir Dieu sans mourir d’abord.
Pour avancer en sainteté et entrer un jour dans la béatitude éternelle, il faut mourir. Plus exactement, il faut concilier 3 aspects du « mourir » : accepter d’être déjà mort, souhaiter mourir encore et se préparer à mourir un jour. Ça vous dit comme programme de vie ? Oh, bien sûr, présenté ainsi, ce n’est pas si évident à entendre, pas très désirable sans doute. Dans le contexte actuel, on souhaite plutôt des paroles d’espérance et de vie… mais justement, la Vie se trouve là, frères et sœurs ! La vraie Vie se trouve là ! Alors, permettez-moi de préciser chacun de ces grands appels, qui sont loin d’être morbides : accepter d’être déjà mort, souhaiter mourir encore, et se préparer à mourir un jour.
* * *
D’abord, accepter d’être déjà mort. En fait, ce n’est pas tant l’accepter que le confesser. C’est prendre conscience de ce qui est advenu au jour de notre baptême. Nous avons été plongés dans l’eau baptismale, qui nous a faits mourir au péché : péché originel et péchés personnels, ils ont été étouffés par l’eau qui donne la vie éternelle. Plongés dans le mystère pascal, nous sommes alors morts avec le Christ et nous sommes sortis vivants du tombeau. C’est fait ! Ce n’est pas pour plus tard : la mort à la vie mortelle, c’est déjà pour nous du passé !
La mort n’est donc plus à craindre comme une échéance fatidique de fin de vie ; elle est à reconnaître comme une réalité déjà traversée. Écoutez alors saint Paul, qui a l’audace de s’adresser à la mort pour la narguer : « Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? » (1 Co 15,55). La mort n’est plus le drame d’une fin de vie conduisant au néant. Bien sûr, elle fait mal, elle touche, elle blesse, elle est inadmissible… comme l’attentat de jeudi à Nice nous l’a dramatiquement rappelé, et comme tant de décès chez nos proches et dans le monde ne cessent de l’éveiller en nous : oui, la mort fait mal, la mort attriste, mais elle a déjà été vaincue et transfigurée : transformée en passage vers la Vie !
La vie éternelle est donc déjà commencée ; bien sûr, selon une modalité différente de ce qu’elle sera au paradis. Mais elle est commencée, car la mort a déjà été engloutie. Ne mimons donc pas la vie des morts, nous qui sommes des vivants ! Et confessons, confessons sans cesse, avec tous les saints, que la mort n’a plus, sur nous, aucun pouvoir !
* * *
Mais pour que la réalité de cette mort déjà traversée puisse rejoindre notre vie quotidienne, il nous faut consentir à un grand et beau combat : mourir chaque jour à nous-mêmes. C’est le deuxième aspect de notre rapport à la mort : souhaiter mourir encore. « Si nous mourons avec le Christ, avec lui nous vivrons », proclame la deuxième épitre à Timothée (2 Tim 2,11) : cette réalité de grâce, reçue dans le sacrement du baptême, doit rester vivante dans notre vie de tous les jours. Nous voilà donc appelés à saisir chaque occasion de mourir à nous-mêmes.
Mourir à son égo, mourir à ce satané orgueil. Mourir aux désirs tyranniques qui font la guerre à l’âme. Mourir à la rancune entretenue envers certains. Mourir à ce qu’on aurait pu faire s’il n’y avait pas eu de confinement. Mourir à cette perfection qu’on n’arrive jamais à atteindre. Mourir à ce qu’on aurait pu être dans la vie. Mourir à ce qui n’est plus. Mourir au dégoût ou au découragement que l’on peut entretenir envers soi-même. Mourir pour servir, mourir pour donner, mourir pour aimer.
À bien regarder notre existence jusqu’ici, les moments où nous sommes morts à nous-mêmes n’ont-ils pas été les moments les plus forts, les plus vrais de nos vies ? Quand on meurt à soi, on est vraiment vivant ! La mort à soi-même rend disponible aux autres. Elle les fait passer avant nous. Elle fait chercher la moindre occasion de les réjouir, en même temps qu’elle permet de ne rien préférer à Dieu.
Voilà donc cet évangile des béatitudes, qui éclaire notre fête de ce jour : « Heureux les pauvres de cœur… Heureux ceux qui ont faim…Heureux les miséricordieux… Heureux les cœurs purs ! » Oui, dans la mort à soi-même, il y a un bonheur qui n’est pas seulement à attendre pour après, mais à vivre maintenant.
Mourir à soi donne son vrai goût à la vie ! C’est même la seule sagesse de vie, comme Benoîte, avec son bon sens, sut le comprendre ici-même. En 1679, de la bergère qui n’était pas une intellectuelle, le premier recteur du Laus dit ceci : « Toute ignorante qu’elle est, elle voit bien que mourir à soi-même est plus agréable à Dieu que tout ce qu’on peut faire de sa propre volonté, qui est toujours assaisonnée d’amour-propre. » Il faut dire que, 9 ans auparavant, Benoîte avait été visitée par un ange lui disant – je cite « d’avertir beaucoup de personnes de bien se corriger de leurs défauts et de mourir à leur amour-propre si elles veulent aller au paradis. » Oui, si nous voulons demain le paradis avec les saints, il faut choisir aujourd’hui la mort à nous-mêmes.
* * *
Et finalement, toutes ces occasions quotidiennes de mourir à soi-même préparent et habituent à mourir un jour. C’est le 3e aspect de notre regard sur la mort : se préparer à la mort quand elle viendra. Non pas serrer les dents jusqu’à ce qu’elle nous fauche. Non, une préparation paisible, qui vient nourrir l’espérance d’un « tellement plus grand » qui nous attend.
Devant le tombeau de son ami Lazare, Jésus dit à Marthe : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jean 11,25). Avant de poursuivre : « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » (Jean 11,26). Nous préparer à mourir un jour, c’est donc nous préparer à ne mourir jamais.
Mais pour cela, il faut bien nous préparer à mourir. Rien de plus fou que de vivre sur terre comme si nous y étions pour toujours. Rien de plus absurde que souhaiter prolonger indéfiniment l’existence terrestre. Nous ne sommes ici que de passage, un passage très rapide, même si l’on vit presque 100 ans ; c’est toujours si peu de choses, nos quelques années sur terre ! Le Christ propose alors non pas un prolongement de forfait terrestre, mais la vraie Vie. La vraie Vie : celle à laquelle nous aspirons tant, et qui nous attend derrière la porte de la mort.
Alors bien sûr, Jésus qui a pleuré devant la tombe de son ami Lazare ne néglige pas la tristesse de la mort ; elle est une œuvre obscure, conséquence blessante du mal qui infecte le monde. Mais avec le Christ, par le Christ, nous ne voyons pas le seul versant triste de la mort. Nous voyons aussi son versant lumineux : l’entrée dans la Vie ! C’est pourquoi l’attention quotidienne à mourir à soi dans la charité s’accompagne d’un paisible consentement à mourir un jour dans l’espérance.
* * *
Nous fêtons alors tous les saints du Ciel pour appeler leur intercession et recevoir leurs motivations : « n’ayez pas peur », nous disent-ils d’un seul cœur. « Acceptez que vous êtes déjà morts, désirez mourir chaque jour, et préparez-vous à mourir un jour. »
Oui, ils en sont témoins, tous les saints du Ciel : la vie est un don de Dieu à vivre pleinement aujourd’hui et à attendre après la mort, là où nous serons vraiment vivants, dans tout ce que ça signifie d’ouverture à la vitalité divine, à l’amour fraternel, à la communion universelle.
C’est pourquoi, dès aujourd’hui, en contemplant tous ces visages si divers et si beau de sainteté, choisissons nous aussi de vivre vraiment ! Choisissons la Vie ! Alléluia !