Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 13 September - L’homme qui valait 3 milliards
Messe du dimanche 13 septembre 2020 – 24e dimanche du temps ordinaire
ParMesse du dimanche 13 septembre 2020 – 24e dimanche du temps ordinaire
Homélie du père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
L’homme qui valait 3 milliards
« Steve Austin : l’homme qui valait trois milliards »… vous connaissez ? Tout jeune, j’étais fasciné par cette série télévisée. Après un grave accident, le personnage principal était devenu une sorte « d’homme augmenté » avant l’heure. Il avait des capacités physiques et intellectuelles qui m’impressionnaient à l’époque.
Mais je me rends compte aujourd’hui que le véritable homme qui valait trois milliards et même davantage, c’est chacune et chacun d’entre nous. Ainsi, dans l’évangile, Jésus présente un homme qui a accumulé une dette énorme : 10 000 talents. « Soixante millions de pièces d’argent », précise l’évangéliste : une somme considérable ! Si ce nombre ne vous dit pas grand-chose, sachez qu’en euros, ça fait quand même une dette de 3 milliards !
Quelle dépense cet homme a-t-il donc bien pu faire pour contracter une dette si importante ? On est loin d’un simple crédit à la consommation ! Clairement, Jésus exagère ; aucun être humain normalement constitué ne peut contracter une dette de 3 milliards d’euros.
* * *
Oui, Jésus exagère… mais c’est pour nous faire entrer dans la comptabilité divine. Car ce Roi qui pourrait exiger le remboursement d’une telle dette, c’est Dieu Lui-même bien entendu. Le serviteur ou la servante qui ne peut rembourser cette dette, c’est chacun d’entre nous bien évidemment.
Par le péché, par son refus de Dieu, l’humanité a contracté une dette abyssale, mais nous sommes les débiteurs d’un Dieu qui veut remettre intégralement notre dette. Bien sûr qu’il exagère, car nous ne le méritons pas. La miséricorde divine abuse, d’une exagération qui parvient à son comble dans le mystère de la croix.
Le confesseur bienveillant que je suis est alors touché par cette parole de saint Léopold Mandic : « S’il arrivait que le Seigneur me reproche trop de largesse, je lui dirais : Maître béni, c’est vous qui m’avez donné le mauvais exemple en mourant sur la croix. »
Oui, le Seigneur a remis notre dette en payant de son sang versé pour la multitude. Dans l’épitre aux Colossiens, saint Paul révèle que le Fils de Dieu « a effacé le billet de la dette qui nous accablait » (Col 2, 14).
* * *
Cette parabole est donc d’abord un appel à l’émerveillement. Merveille d’un Dieu qui ne compte pas, qui ne garde pas rancune, qui ne nous dit pas : « tu vas payer pour ce que tu as fait ! » Merveille de prendre chaque jour davantage conscience que nous sommes tous des graciés, incapables de rembourser leur dette, mais qui reçoivent son effacement complet du sang versé par le Christ en sa Passion.
Permettez-moi alors de vous y inviter, frères et sœurs : confessez vraiment aujourd’hui cette générosité divine ! Une dette nous accablait, si lourde qu’elle aurait dû nous mener à une mort éternelle. Mais le Seigneur a pris notre dette sur la croix, et nous voici libérés ! Nous sommes tous des insolvables dont la dette a pourtant été intégralement supprimée. Alléluia !
En ce sanctuaire de vérité, nous voici dans un lieu privilégié pour prendre de nouveau conscience que nous sommes tous des débiteurs : personne ne mérite, personne n’a de solde créditeur du fait de ses bonnes œuvres ou de ses heures de prières. Non, nous sommes tous des endettés qui ont été graciés.
Il nous suffit alors juste de présenter au Seigneur notre dette pour qu’il puisse l’effacer. C’est ce qui s’est passé au jour de notre baptême ; c’est ce que nous vivons à chaque confession ; c’est ce que l’Eucharistie vient nourrir en nous ; c’est ce que la Vierge Marie et Benoîte nous aident à vivre sans cesse par un regard nouveau sur les autres et sur le monde.
* * *
C’est là qu’arrive la deuxième partie de la parabole. Nous sommes tous en dette envers Dieu, mais nous avons aussi des dettes entre nous. Chacun pourrait faire la liste de ces dettes qu’il a envers les autres ou que les autres ont envers lui.
Elles peuvent être parfois grandes, ces dettes, quand on a été gravement offensé ou qu’on a fait du mal. Remarquez d’ailleurs que, dans sa parabole, le Christ ne nie pas les offenses qu’on reçoit ou qu’on fait subir aux autres. Le serviteur avait un ami qui lui devait 100 pièces d’argent ; ce n’est pas négligeable, de l’ordre de 5000 €. Mais c’est 600 000 fois moins que la dette pesant sur ses propres épaules. Il devait 3 milliards d’euros, on lui en devait 5000 €… C’est déjà une bonne dette, mais la disproportion est grande, vous ne trouvez pas ?
Bien sûr, le Seigneur ne nous appelle certainement pas à nier les dettes et les blessures que nous avons pu subir ou infliger. Nier une blessure, c’est toujours risquer de la voir s’infecter et s’aggraver encore. Le seul moyen d’avancer, ce n’est pas de nier, c’est de trouver comment guérir. Notre foi est alors un grand mouvement situant les offenses dans toute la dynamique du salut qui guérit intégralement. Selon la prophétie d’Isaïe annonçant la Passion du Sauveur, « c’est par ses blessures que nous sommes guéris » (Is 53,5).
Le processus de guérison qu’est la démarche de pardon, c’est donc un processus qui naît de l’offrande inestimable du Christ. Ainsi, en priant dans le Notre Père « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés », nous ne soumettons pas le pardon divin à nos propres capacités à pardonner, mais nous faisons remonter nos pardons à leur source qu’est la miséricorde divine.
* * *
Ce dimanche est alors sans doute le moment favorable pour identifier un pardon que nous avons du mal à donner ou peut-être à recevoir. Non pour attendre que l’offenseur paye jusqu’à son dernier sous, ni pour vouloir oublier le mal subi ou le mal commis. Mais pour faire entrer cette relation blessée dans la dynamique de la dette inestimable dont le Christ nous a libérés par sa croix.
Ainsi, nous pouvons prier : « Ô, Seigneur, cette personne qui m’a offensé, je te demande de la bénir, de lui faire du bien et de l’aider à avancer sur son chemin de sainteté. Cela s’accompagnera peut-être d’une nécessaire réparation, mais en prenant conscience de la dette incommensurable dont Ta miséricorde m’a libéré, Seigneur, je ne veux plus faire payer mon offenseur jusqu’à son dernier sou. Aujourd’hui, je le libère de sa dette à mon égard. Aujourd’hui, je déchire la reconnaissance de dette et je la dépose dans le calice de ton inestimable offrande.
* * *
À Notre-Dame du Laus, nous avons pour cela un bel exemple avec Benoîte. On lit dans les Manuscrits que, lorsque la bergère était absente, plusieurs fois – je cite - « un étranger était venu lui voler tout ce qu’elle pouvait. Il est détenu au purgatoire pour bien des années. Le sachant, Benoîte prie Jésus et Marie de lui pardonner ; qu’elle lui donne tout de bon cœur. » Ainsi, le voleur n’en est plus un, puisque Benoîte lui a tout donné !
Allez, frères et sœurs ! Qu’ils soient vivants ou qu’ils soient morts, il est temps de faire les soldes de nos contentieux à l’égard des autres. Nous pouvons y perdre quelque chose, certainement : de l’ordre de 5000 euros… mais n’oublions pas que nous avons été graciés d’une dette de plus de 3 milliards ! Avec le Christ, plus de règlement de comptes, puisque désormais, notre référence, c’est l’éternité !