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Saturday 26 December - Changement d’ambiance et continuité des promesses
Messe du 26 décembre 2020 – Fête de Saint Etienne
Par le père Ludovic Frère, recteurQuel changement d’ambiance ! Entre hier et aujourd’hui, l’évangile nous fait passer de la douceur de la crèche à la violence d’une lapidation ; de l’exclamation lumineuse « Gloire à Dieu et paix sur la terre », à l’annonce effrayante « Vous serez détestés de tous à cause de mon nom ». Nous sommes passés en 24 heures des joyeuses fêtes familiales à la révélation de divisions terribles au sein-même des familles : « le frère livrera son frère à la mort, et le père, son enfant ». Difficile lendemain de fête !
Pourquoi la liturgie nous oblige-t-elle à une transition aussi radicale, sinon pour nous éviter un grave contresens sur la fête de Noël. Ce contresens inonde les annonces télévisuelles et les affiches publicitaires : on y parle de la « magie de Noël ». On dit alors combien l’on espérait que la pandémie ne nous prive pas de cette magie de Noël. Eh bien la liturgie, elle, n’a pas peur de nous en priver. Car qui dit « magie » dit « illusion » : nous ne célébrons donc pas la « magie » de Noël, mais le « mystère » de Noël. Un mystère joyeux et grave à la fois, parce qu’il est profondément enraciné dans la vie, avec tout ce qu’elle peut avoir d’exaltant et de douloureux.
Voilà pourquoi, en honorant saint Etienne au lendemain de la Nativité, nous passons sans transition de la crèche au Gogotha ; du bois de la mangeoire à celui de la croix ; des langes de l’enfant au linceul du défunt.
Ainsi, la vie et la mort, le début et la fin, sont ramassés sur deux journées consécutives, non pas pour gâcher les fêtes de Noël, bien entendu, mais pour que nous sachions vraiment ce que nous y célébrons : non pas un magicien qui fait oublier le temps d’une fête ce que la vie peut avoir de difficile, mais la venue du Messie qui descend justement pour sauver nos vies du drame et du non-sens.
Ce Sauveur ne peut être regardé de loin. Nous ne pouvons l’accueillir en restant des spectateurs tranquillement assis dans les gradins. Non, il nous faut descendre avec lui dans l’arène : « celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » C’est ce qu’on appelle, selon des modalités propres à chacune de nos vocations, le martyre, ou le témoignage fidèle, jusqu’au bout !
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La Vierge Marie ayant choisi au Laus une femme habitant une commune portant le nom de Saint-Etienne, nous sommes ici particulièrement invités aujourd’hui à nous ouvrir à ce mystère du martyre. D’autant que la bergère du Laus mourra le jour de la célébration d’autres martyrs : ce sera après-demain, avec la fête des saints innocents. Ou encore, depuis les apparitions de saint Maurice, soldat martyr et de sainte Barbe, jeune femme martyre, jusqu’à l’apparition de Marie au lieu-dit Pindreau qui a lieu le jour de la fête du martyre de saint Jean-Baptiste, la vie de Benoîte est marquée par ces figures de sainteté qui sont allées jusqu’à donner toute leur vie par amour du Christ. Et au cœur de l’expérience mystique de la bergère, il y a encore 5 apparitions du martyr d’entre les martyrs, le Christ en croix.
Nous sommes donc bien ici au Laus, ou vous connectés à un sanctuaire, dont la réalité du martyre est comme l’arrière-fond, autant que le cadre des montagnes, pour saisir ce qu’est véritablement la conversion au Christ, Emmanuel, Dieu parmi nous pour nous sauver.
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Pour motiver une telle conversion et oser nous aussi prendre le chemin du martyre, quelles qu’en soient les formes, l’évangile d’aujourd’hui nous lance 3 interpellations.
La première, sous forme de conseil, pour ne pas dire de « commandement » : « méfiez-vous des hommes »... Ce n’est certainement pas un appel à la méfiance permanente. Se méfier, c’est prendre les moyens de discerner sur qui l’on peut vraiment compter.
Voilà une première attention qui doit nous rejoindre : la sélection de nos relations, et surtout d’abord de nos amitiés. Mais aussi, plus largement, la sélection de ce que l’on regarde à la télévision ou sur internet, et la sélection des sources où l’on va chercher l’information : se méfier de tout ce qui pourrait volontairement ou non nous détourner de la bonne nouvelle de Jésus-Christ. En ce temps de Noël, voilà un moment favorable pour un tel discernement : ce que je regarde, ce que je lis, ce que l’écoute, ce que je pense est-il dans le sens du salut apporté par l’enfant de Bethléem ?
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Deuxième interpellation : « Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz ». Là encore, Benoîte en a fait une expérience concrète. Un jour où elle devait être interrogée par des enquêteurs ecclésiastiques, Benoîte reçut de Marie l’appel à ne pas s’inquiéter : l’Esprit Saint lui inspirerait tout ce qu’elle aurait à dire.
En vivant tout dans l’Esprit Saint, nous n’avons rien à craindre. Le Christ nous en fait la promesse. Si nous vivons en nous inspirant uniquement de notre ressenti, de nos émotions, de nos colères, de nos désirs, alors oui, nous nous mettons en fragilité et nous avons de quoi nous inquiéter.
Mais si nous nous en remettons toujours à l’Esprit Saint, alors pas d’inquiétude : il est notre protecteur, notre avocat. Un avocat qui plaide toujours en faveur de ceux qui s’abandonnent à Lui, toujours ! Et qui plaide avec toute sa puissance d’amour divin. C’est donc évident, avec un tel avocat, pas besoin de s’inquiéter ! Si on choisit l’Esprit Saint pour prendre notre défense face aux attaques terrestres ou au diable accusateur, la protection est donnée et l’acquittement éternel assuré ! En ce temps de Noël, laissons donc plus de place à l’Esprit Saint. Demandons-lui son conseil avant chaque décision, avant chaque réaction.
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La troisième interpellation est une promesse dont on se passerait sans doute bien : « Vous serez détestés de tous ». Benoîte l’a bien vécu en ce lieu : si elle avait quelques amis, elle s’est fait beaucoup d’ennemis. Des personnes prétendument savantes, qui lui disaient qu’elle était trop idiote pour pouvoir susciter l’intérêt de la Vierge Marie ; Des personnes méchantes, qui la traitaient de sorcière, de fille de joie ou de folle.
Tout cela, Benoîte l’a vécu comme le Christ : insultée sans rendre l’insulte. Tout ce qu’elle a su offrir des attaques contre sa personne a certainement contribué à la conversion des pécheurs plus encore que tous les conseils qu’elle a pu leur dispenser. Il y a là un grand mystère : mystère de la douceur plus forte que la violence ; mystère du silence plus éloquent que les insultes ; mystère du consentement à l’humiliation qui est en fait le seul chemin pour expérimenter concrètement l’humilité.
Ce mystère n’est pas facile à percer, car nous ne voulons pas nous laisser marcher sur les pieds… mais il y a dans le renoncement à notre petite personne une fécondité qui dépasse tout calcul à vue humaine. Le Dieu tout-puissant couché dans la crèche ne cesse de nous le montrer concrètement. Fécondité du renoncement à toute prétention !
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Ces 3 interpellations de l’évangile résument bien la manière dont saint Etienne a donné sa vie. Au lendemain de Noël, nous pouvons alors recevoir de son intercession les forces nécessaires pour rester au plus près du Christ, de la crèche à la croix.
À quelques jours de la nouvelle année, ça pourrait être notre plus grande résolution - je souhaite en tous cas que ce soit la mienne, dont je vous fais part - : je veux être davantage encore fidèle au Christ, quoi qu’il puisse m’en coûter. En vous le disant, ça me fait un peu peur. Mais l’Esprit Saint est là, précieux avocat qui appelle à ne pas s’inquiéter et qui invite à poser les yeux sur la crèche : l’enfant impuissant, c’est le Sauveur du monde. En prenant le même chemin que Lui, impossible de s’égarer. C’est là, la route de la vraie vie, qui nous conduira à proclamer un jour, comme saint Etienne, en lieu et place d’un seul gémissement d’agonie :
« Voici que je contemple les cieux ouverts
et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. »
Amen.