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Sunday 2 February - Fête de la Présentation du Seigneur au Temple
Lumières pour le monde
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireMarie et Joseph viennent aujourd’hui offrir leur fils premier né. C’est donc dans une perspective de retour à Dieu que se vit la présentation au temple : les parents reconnaissent ainsi que la vie déposée dans leurs mains ne leur appartient pas.
Cette fête de la présentation au temple nous apparaît alors d’abord comme une fête de la vie ; elle devrait à elle seule nous convaincre de défendre la vie, qui ne nous appartient jamais en propre. Et si elle ne nous appartient pas, nous n’avons aucun droit sur elle, ni quand elle est embryonnaire dans le corps d’une femme, ni quand elle est souffrante chez un vieillard ou un handicapé.
Ce n’est sans doute pas pour rien que les jeunes parents et leur petit enfant Jésus, entrant dans le temple, y rencontrent deux personnes âgées, Anne et Syméon : la vie, de la naissance à la vieillesse, se retrouve ainsi dans le temple, lieu de la présence divine. Car, de sa conception à sa fin naturelle, la vie appartient à Dieu.
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Joseph et Marie consentent donc aujourd’hui à ce rituel de prise de conscience et d’offrande : toute vie vient de Dieu, toute vie doit retourner à Dieu. Alors, le lien entre cette fête de la présentation et la journée mondiale de la vie consacrée nous apparaît comme une évidence : qu’est-ce, en effet, qu’une vie consacrée, sinon une vie qui prend conscience qu’elle vient de Dieu et qu’elle doit sans cesse retourner à Dieu ?
En Orient, la fête de ce jour porte le beau nom de « fête de la Rencontre », une expression qui est particulièrement signifiante en notre sanctuaire, où la chapelle ici présente avait été nommée, avant même les apparitions, « chapelle de Bon Rencontre ». L’existence humaine est une grande rencontre : rencontre avec les autres, sans lesquels nous ne pouvons pas vivre ; rencontre avec le Seigneur, dans lequel notre vie prend tout son sens et se trouve libérée du mal et de la mort.
L’évangile de ce jour nous montre le Christ, lumière du monde, rencontrant l’humanité dans ses obscurités. Si chacun d’entre nous est donc invité à la rencontre, les consacrés manifestent particulièrement, dans toute leur vie obéissante, chaste et pauvre leur disponibilité pour accueillir cette lumière sans se l’accaparer, mais au contraire en s’effaçant devant elle pour en transmettre la clarté.
Mes sœurs, vos habits blancs témoignent du charisme propre de votre congrégation, avec la blancheur de Jésus-hostie, lui qui est perpétuellement adoré à Montmartre ; mais vos habits blancs peuvent aussi être perçus comme des signes de votre vocation à laisser passer la lumière de Celui que vous avez choisi comme époux. Si cette lumière s’arrêtait à vous, on pourrait éventuellement vous admirer pour votre courage à tenir fidèlement vos vœux dans le contexte du monde d’aujourd’hui ; mais passée cette admiration, qu’auriez-vous donc à nous dire ? Si vos vêtements sont de lumière, c’est parce que votre vocation est de laisser passer la lumière.
Les consacrés gardent ainsi vivante dans l’Eglise la forme de vie que Jésus a pleinement choisie en se donnant totalement au Père, sous l’action de l’Esprit-Saint. Les vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté sont une imitation de la vie du Christ obéissant, pauvre et chaste ; ou plus exactement, une actualisation, pour que celui qui s’est révélé comme « la lumière du monde » puisse encore l’éclairer de sa clarté bouleversante. Les consacrés sont des signes de ce bouleversement, renversant les priorités du monde, perturbant la logique de réussite et interrogeant nos désirs de posséder ou dominer les choses et les personnes.
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Vivre cette journée de la vie consacrée au sanctuaire du Laus porte encore une dimension supplémentaire. Certes, Benoîte n’était pas religieuse ; si elle a appartenu à un tiers-ordre, par lequel elle a vécu une forme de consécration, elle avait reçu du Ciel l’assurance que sa vocation n’était pas dans la vie religieuse.
Mais, entre autres points d’attention, la vocation de Benoîte était particulièrement de soutenir la vie religieuse. On en voit un signe éclatant dans l’histoire du Laus, quand notre bergère doit quitter le sanctuaire en raison des invasions huguenotes. Elle part se réfugier à Marseille, où elle visite les communautés religieuses de la ville. Il est impressionnant de lire combien la servante du Laus a alors marqué ces communautés.
La Supérieure d’une maison de Marseille assure que « cette sainte fille avait plus de fruit par sa visite qu’on en avait fait en vingt ans »[1]. Il faut dire que ces visites étaient loin d’être de courtoisie. Un autre passage des Manuscrits précise, au sujet d’un des couvents de Marseille : « Benoîte dit à chacune [des religieuses…] ce qu’elle devait faire. Elle dit au consul de la ville de leur changer de confesseur, car elles faisaient des sacrilèges, n’osant pas dire tous leurs péchés à leur confesseur »[2]. Et elle fait sortir deux religieuses de leur convent. Bref : Benoîte ne flatte pas les consacrées ; elle leur rappelle l’exigence de leur choix de vie, car elles sont appelées à refléter Celui qui est la lumière du monde.
Bien sûr, aucune personne consacrée ne reflètera jamais assez la splendeur de cette lumière. Mais justement, les religieux, religieuses et laïcs consacrés expriment la tension, qui devrait être permanente, d’un croyant vers son Dieu, qui est son Tout. Les consacrés nous rappellent que Dieu est notre bien suprême, le seul que nous devons vraiment désirer.
Par tout leur être, par leur caractère qui reste souvent bien entier et par leur propension au péché qui est le même que pour chacun de nous, les consacrés nous montrent que cette tension vers Dieu n’est jamais un acquis, mais un choix de vie, donc nécessairement une marche, parfois rapide et facile, parfois lente ou à reculons.
Saint Paul parlera quant à lui de sa vie donnée comme d’une course, les yeux fixés sur Jésus-Christ. C’est bien cela que les consacrés peuvent mettre en lumière : nous courons, frères et sœurs, vers le but qu’est la vie éternelle. Nous courons, les yeux fixés sur Jésus-Christ, obéissant, pauvre et chaste. Nous cherchons à le suivre par l’offrande de notre vie ; nous consentons, par la grâce, à refléter sa lumière.
* * *
Alors, on comprend que notre Saint Père ait décidé de faire de l’année prochaine une année de la vie consacrée. Il appelle avec force à « un réveil du monde grâce à la vie consacrée ». Rien de moins que cela : un réveil du monde grâce à la vie consacrée !
2015 marquera donc un moment essentiel pour l’Eglise ; une année de la vie consacrée qui arrivera en même temps que les conclusions du tout prochain synode sur la famille. C’est dire, selon moi, le lien entre les deux : à la fois pour que les consacrés rappellent aux familles que leur vocation est fondamentalement la même que la leur (appartenir toujours plus au Christ et conduire davantage au Père en se laissant guider par l’Esprit) ; mais aussi pour que les familles acceptent et facilitent l’éveil des vocations consacrées en leur sein.
Ainsi, par le témoignage de la fête de ce jour, nous pouvons tous, dans une vie consacrée ou toute autre vocation, entendre cette exhortation qu’Origène proclamait au début du IIIe siècle : « Prenons Jésus en nos mains, enserrons-le de nos bras ; portons-le sur notre cœur. Alors, emplis de joie, nous pourrons aller là où il nous désire ».
Oui, lui consacrant nos vies, nous pourrons aller là où il nous désire !
Amen.
[1] Manuscrits du Laus, CA G. p. 163 XI [209] – année 1692
[2] Ib. id., p. 303 [349] – année 1692