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dimanche 29 janvier - Homélie du 4e dimanche du temps ordinaire, année B
"Libres de tout souci"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Au cours de son deuxième voyage missionnaire, l’apôtre Paul reste dix-huit mois dans la ville de Corinthe. Il y fonde et organise la communauté chrétienne ; et, après l’avoir quittée, il lui écrit deux lettres magnifiques, la première en l’an 54, la deuxième l’année suivante. Dans ses lettres, il témoignage de sa grande affection pour les Corinthiens, mais il ose aussi dénoncer leurs dérives, les consoler dans la peine et les encourager à une vie chrétienne plus authentique.
C’est ainsi qu’il leur confie, dans le passage de la première épitre que nous entendions tout à l’heure : « J’aimerais vous voir libres de tout souci » (1 Co 7,32). L’amour nous porte effectivement à souhaiter que ceux que nous aimons ne soient pas envahis par les soucis. Or, les tracas ne manquent à aucune vie : entretenus par nos psychologies ou imposés par les événements de l’existence, ils nous empêchent d’être véritablement heureux. Et au cœur d’une campagne présidentielle, l’un des accents principaux consiste pour un candidat à montrer qu’il a compris les soucis de ses compatriotes et qu’il a bien sûr les solutions pour les en libérer.
Saint Paul semble proposer, pour sa part, une solution simple et radicale : ne pas se marier. A écouter un peu trop rapidement ses propos, on pourrait croire effectivement qu’il conseille de rester célibataire pour éviter les soucis… eh bien, j’ai essayé ; ça ne marche pas vraiment ! La consécration d’une vie au Seigneur est formidable, mais elle ne libère pas, comme par enchantement, des soucis de l’existence. D’ailleurs, l’apôtre Paul ne dit pas que les consacrés sont privés de soucis ; il dit qu’ils ont « le souci des affaires du Seigneur » (1 Co 7,34). C’est dire que pour tout chrétien, et non seulement pour les religieux, le rapport aux soucis nécessite d’être évangélisé, c’est-à-dire traversé par le mystère de la mort et de la résurrection du Christ.
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La première catégorie de soucis que nous sommes appelés à évangéliser, c’est ceux que nous nous créons nous-mêmes, par des attachements qui n’en valent pas la peine. Saint Paul disait ainsi, dans la deuxième lecture de dimanche dernier : « que ceux qui font des achats soient comme s’ils ne possédaient rien ; ceux qui tirent profit de ce monde comme s’ils n’en profitaient pas, car ce monde tel que nous le voyons est en train de passer » (1 Co 7,30-31). Frères et sœurs, le monde tel que nous le voyons est en train de passer : il est donc vain et futile de s’y attacher. C’est le mauvais calcul : ne vous cramponnez pas à un rocher qui est en train de tomber !
Clairement, nous avons à décider une prise de distance à l’égard des soucis que nous nous créons par nos attachements terrestres, en discernant ce qui ne fait que passer et ce qui va durer éternellement. Si nous restons trop liés aux choses matérielles, nous ne pouvons pas trouver la paix.
Le psaume 38 prie alors le Seigneur avec grande lucidité, en disant : « Vois le peu de jours que tu m'accordes : ma durée n'est rien devant toi. L'homme ici-bas n'est qu'un souffle ; il va, il vient, il n'est qu'une image. Rien qu'un souffle, tous ses tracas ; il amasse, mais qui recueillera ? » Voilà bien une prière que nous pouvons faire nôtre : rien qu’un souffle, tous nos tracas. Le psalmiste ne nie pas la légitimité de certains soucis, mais il dit qu’ils ne sont qu’ « un souffle » au regard des réalités divines, éternelles.
Entendons-nous : à une personne qui vit un drame, il serait scandaleux de lui dire que ce n’est qu’un souffle par rapport aux réalités célestes. Le regard chrétien sur la vie n’est pas un regard d’indifférence, c’est un regard qui sait aller plus en profondeur pour découvrir un fondement stable à tout ce qui, dans l’existence, est trop fragile.
Le Christ nous enseigne ainsi : « Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : 'Qu'allons-nous manger ?' ou bien : 'Qu'allons-nous boire ?' ou encore : 'Avec quoi nous habiller ?' Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d'abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché » (Mt 6,31-33). Ce que les païens, les non-croyants, cherchent parce qu’ils n’ont pas d’autre fondement à l’existence, nous, nous ne pouvons pas le chercher de la même manière : c’est le Royaume de Dieu qui doit être notre préoccupation première et le principe à partir duquel nous regardons toute l’histoire humaine.
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Cette primauté de la recherche du Royaume de Dieu n’est possible qu’en restant dans une attitude de prière, car la prière porte une formidable faculté de nous décharger de nos soucis. Comme des piles survoltées par les tracas et les épreuves de l’existence, nous avons besoin de nous laisser décharger afin de trouver la paix et de rétablir les justes priorités de nos vies.
Saint Pierre exhorte ainsi les chrétiens : « déchargez-vous sur Dieu de tous vos soucis puisqu’il s’occupe de vous » (1 Pierre 5,7). Il est profondément réjouissant de savoir qu’il existe un lieu où nos soucis peuvent se décharger de leur puissance d’oppression, c’est la prière. N’est-ce pas d’ailleurs ce que le Seigneur reconnaît dans l’attitude de Marie, la sœur de Marthe qui, dit-il, a choisi « la meilleure part » (Luc 10, 42) en restant aux pieds du Christ quand Marthe « s’agite et s’inquiète pour bien des choses » (Luc 10, 41) ?
De nombreux pèlerins, au cours de l’année, viennent en notre sanctuaire s’asseoir aux pieds du Christ. Conduits par Marie et Benoîte, ils viennent en ce lieu se décharger de leurs soucis ; il y a d’ailleurs des endroits particuliers, au Laus, où ce déchargement devient quasiment palpable. Dans la chapelle du Précieux-Sang ou sur la tombe de Benoîte, nous percevons que le Seigneur agit pour retirer le fardeau de nos épaules et nous permettre de nous redresser et d’avancer.
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Le psaume 93 chantait déjà, avant l’Incarnation du Verbe : « quand je dis : ‘mon pied trébuche !’, ton amour, Seigneur, me soutient. Quand d’innombrables soucis m’envahissent, tu me réconfortes et me consoles » (Ps 93,18-19). Les soucis peuvent être nombreux, le Seigneur est encore plus fort.
C’est bien l’acte de foi que nous sommes invités à poser : le Seigneur est le plus fort. Cet acte de foi, l’Evangile de ce dimanche nous y conduit en nous montrant le Christ dominer un esprit mauvais, au point de susciter une grande interrogation : « qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité. Il commande même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent » (Marc 1,27). Cette puissance incontestable du Christ sur les esprits mauvais nous conduit à reconnaître sa même puissance sur les éléments du monde, sur l’histoire de l’humanité et sur chaque instant de nos vies, donc particulièrement sur nos soucis.
Nous savons bien que, rester dans l’angoisse de nos soucis ne peut jamais nous conduire au-delà de nos limites humaines. Seul le Christ dépasse nos limites : « il commande, même aux esprits mauvais, et ils lui obéissent ».
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Notre foi en Jésus-Christ peut donc nous conduire à quatre grandes attitudes déterminantes à l’égard des soucis.
La première, c’est d’avoir confiance en l’agir bienveillant et tout-puissant de notre Seigneur. « Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire, dit le Christ. Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jean 10,10). Comment pouvons-nous, à l’écoute de telles paroles, rester isolés dans nos soucis, quand le Sauveur vient nous en libérer ?
La deuxième attitude consiste à mesurer notre responsabilité personnelle à l’égard des soucis, comme Jésus l’enseigne dans la parabole des grains de blé semés sur différents terrains. « Celui qui a reçu la semence dans les ronces, dit le Christ, c’est l’homme qui entend la Parole ; mais les soucis du monde et les séductions de la richesse étouffent la Parole, et elle ne donne pas de fruit » (Mt 13,22). A nous de ne pas laisser la Parole puissante du Christ - sa Parole qui commande aux esprits mauvais - être étouffée par nos soucis.
La troisième attitude, conséquence de la précédente, est une forme de prise de distance. Quand le Seigneur nous appelle à ne pas nous soucier de ce qui fait la préoccupation des païens, il conclut : « ne vous faites pas tant de souci pour demain ; demain se souciera de lui-même » (Mt 6,34). En notre sanctuaire où la réconciliation passe notamment par un apaisement à l’égard du temps, sachons mettre en pratique ce conseil du Christ : « demain se souciera de lui-même ». Occupons-nous de vivre le moment présent ; laissons le reste dans la main de Dieu.
La dernière attitude est plus difficile encore, et bien délicate à exprimer : il s’agit de notre union au mystère de Pâques, mystère de salut pour le monde. Quand le Christ est en agonie au jardin des Oliviers, il prie ainsi : « Père, s’il est possible que cette coupe s’éloigne de moi ; cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26,39). Notre vie chrétienne consiste-t-elle à supplier le Seigneur d’évacuer tous nos soucis, ou vise-t-elle à nous faire vivre le mystère de Pâque dans nos épreuves ? Ce mystère de passage, de lumière qui resplendit dans les ténèbres, ne peut nous rejoindre si notre objectif de vie est la seule tranquillité. Quelle est donc notre manière de nous unir au mystère de Pâques, jusque dans nos soucis et nos souffrances ? Vous voyez qu’il est fort délicat de répondre à une telle question, mais elle est essentielle pour qui se veut véritablement chrétien : « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, dit le Ressuscité, mais ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne » (Jean 14,27).
Au cours de cette Eucharistie qui nous rassemble, je vous invite à prendre le temps d’offrir au Seigneur tous vos soucis. Ceux qui doivent être purement et simplement abandonnés parce qu’ils ne portent que notre vanité, acceptons de ne pas nous y accrocher ; ceux qui doivent être confiés au Seigneur parce que nous ne parvenons pas à nous en libérer ou à les porter par nous-mêmes, offrons-les lui vraiment ; ceux que nous devons accepter, comme notre participation aux douleurs de l’enfantement d’un monde qui va vers son achèvement, portons-les courageusement dans le Christ.
Le Seigneur qui a chassé les esprits mauvais et qui continue à le faire pourra bien agir avec sa Parole d’autorité pour chasser vos soucis, les laisser à leur juste place ou vous faire percevoir la lumière pascale qui les traverse déjà. Amen.
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