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Sunday 7 January - Solennité de l'Epiphanie du Seigneur
Les mages du Laus
Par le père Ludovic Frère, recteurVous me croirez ou vous ne me croirez pas, mais je vous l’assure : il m’arrive souvent de croiser des rois mages ! Oui, depuis que je suis au service du sanctuaire du Laus, je peux dire qu’il n’y a pas une semaine - voire même pas un seul jour - sans que nous voyions arriver ici des caravanes de rois mages. Ils viennent d’Orient, mais aussi de l’Ouest, du Nord et du Sud.
Ils sont de toutes conditions, mais ils ont un point commun : d’une manière ou d’une autre, ils ont suivi une étoile ; quelque chose qui les a obligés à lever la tête, à ne plus se regarder le nombril, à envisager la réalité de manière plus large.
Quand on sait que certaines étoiles au firmament sont déjà éteintes depuis des millions d’années mais qu’on les voit encore rayonner jusqu’à nous, ça aide à retrouver un juste regard sur les quelques décennies de notre vie sur Terre ! Benoîte le dira à un pèlerin enfermé dans ses vices : « cette vie est passagère ; il faut penser à l’éternité qui ne finira jamais[1]. »
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Au sanctuaire du Laus, nous voyons ainsi arriver des mages chargés du poids de la vie, de questionnements divers ; mais aussi en quête d’espérance, de besoins de réconciliations familiales ou d’apaisement profond.
Bien qu’ils aient levé les yeux vers le Ciel, beaucoup de ces mages se sont d’abord arrêtés chez Hérode. Les puissances du monde, la séduction des richesses, la fascination du pouvoir sur les autres… tout cela les a souvent attirés, autant sinon plus, que la clarté de l’étoile. Alors, ils se sont arrêtés auprès d’Hérode, ils l’ont écouté, ils ont mangé avec lui peut-être, ils ont été séduits par son éclat. Mais parce que la force d’En-Haut est bien plus puissante que les séductions humaines, Hérode les a, malgré lui, orientés vers le Sauveur.
Si l’esprit du monde est un piège redoutable, il peut être utilisé par la Providence pour nous guider jusqu’au Christ. De nombreux mages venus au Laus en ont fait l’expérience. Ils ont d’abord préféré mettre leur cœur dans les richesses périssables, les plaisirs passagers, les honneurs humains… mais le Seigneur s’est servi de cela pour les guider jusqu’ à Lui.
Soyez en donc bien assurés : par la puissance de transformation du mystère pascal, le Seigneur peut tout retourner, tout employer pour nous conduire à Lui. Alors, peut-être que, dans vos vies personnelles, au lieu de culpabiliser sans cesse d’avoir été séduits par des « Hérode » de toute sorte, pourriez-vous davantage rendre grâce au Seigneur : il s’est servi de ces détours-là pour vous conduire précisément jusqu’à Lui !
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Et voilà nos mages qui arrivent au sanctuaire du Laus. Les chameaux sont garés sur les parkings, les bagages rangés dans les chambres. Encore revêtus des vêtements du monde, ils s’approchent jusque dans le chœur du sanctuaire. Ils se prosternent et contemplent le mystère tenu caché aux yeux des superbes.
« Ils virent l’enfant avec Marie, sa mère », précise saint Matthieu. Un bébé dans les bras de sa maman, comme ici la statue de Notre-Dame du Laus ; une mère immaculée pour porter Celui qui est Saint. En regardant vers cette mère, les mages vont pouvoir découvrir l’enfant ; Marie le présente à ces voyageurs. C’est bien sa mission, jusqu’à la fin des temps : présenter son enfant pour que nous l’adorions, Lui, en la vénérant, elle.
Les pèlerins du Laus ne s’y trompent d’ailleurs pas ; en s’agenouillant dans la chapelle des apparitions, ils contemplent Marie pour aller à Jésus. En se marquant de l’huile comme le demande la Vierge, ils regardent le Tabernacle, la crèche du Sauveur.
Comme les mages, ne pensons donc pas pouvoir recevoir Jésus sans passer par Marie. C’est elle qui nous le montre et qui nous l’offre. Les chercheurs de Dieu, les suiveurs d’étoile, comprennent alors au plus profond d’eux-mêmes ce qu’un saint contemporain de Benoîte, Grignon de Montfort, dira comme une exhortation : « Il faut que vous fassiez un sacrifice de vous-mêmes entre les mains de Marie, et vous perdre heureusement en elle, pour y trouver Dieu seul[2]. »
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Au pied de Jésus, sur le manteau de Marie sans doute, les mages déposent alors leur or, leur encens, leur myrrhe. Est-ce vraiment un cadeau pour le vrai Roi ou une manière de se déposséder de ce qui encombre encore leurs mains, et qui devient tellement dérisoire devant l’Enfant-Dieu ?
N’allons pas trop leur triturer l’esprit ; ce qui compte, c’est que les mages se dépossèdent. Quand leur regard s’est posé sur Marie avant de descendre sur Jésus, ils ont vu en elle la beauté d’un être humain dépossédé de tout. Ils ont alors voulu faire pareil que Marie : renoncer à tout pour avoir les mains vides, et pouvoir ainsi prendre dans les bras ce Dieu tout petit ; et sentir battre son cœur en l’approchant du leur.
Quand on vient au Laus, on est forcément saisi par cette douceur du Ciel qui nous rejoint et qu’on peut prendre dans les mains, pour ainsi dire, comme on le fait de l’Hostie consacrée au moment de communier. Un Dieu si proche qu’on peut l’embrasser ; un Dieu si bon qu’on en mangerait !
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Les mages sont là, à genoux devant le Roi des Rois. Tellement bien auprès de Lui qu’ils y resteraient pour toujours. Mais ces marcheurs savent ce qu’est la condition de pèlerins. Oh, ça leur est bien passé par la tête : dresser ici trois tentes, une pour chaque mage, afin de figer ce moment béni, comme plus tard Pierre, Jacques et Jean sur la montagne de la Transfiguration !
Mais ces chercheurs savent qu’on ne peut chercher en restant immobile. La crèche n’est d’ailleurs faite que de quelques toiles et de la paille, pour bien nous dire qu’une vie avec le Christ n’est pas une vie statique, où l’on se construit un refuge en dur, afin de figer la grâce dans une recherche de paix perpétuelle.
Non, la vie chrétienne est une marche à la suite du Christ ; et si l’apaisement redonne des forces, c’est pour reprendre la route. Aucun mage ne fait de la crèche sa demeure. Aucun pèlerin au Laus ne vient pour s’y fixer.
Alors, ils repartent. « Par un autre chemin », nous dit l’évangile. Bien sûr, les mages vont se garder de repasser voir Hérode. Pour eux, la rencontre avec le Sauveur a été tellement bouleversante que c’est une évidence : quand on a eu le cœur ainsi renversé par la rencontre avec le Sauveur, comment redeviendrait-on complice des puissants et des violents ?
Repartir par un autre chemin, c’est le désir de conversion. C’est l’engagement ferme à ne plus se laisser séduire par ce qui brille dans le palais d’Hérode. Et c’est regagner son pays, par cet autre chemin, le seul qui vaille la peine de nous fatiguer sur cette Terre : le chemin de la sainteté.
Amen.
[1] Manuscrits du Laus, CA G. p. 108 II [154] – année 1680
[2] Grignion de Montfort, Le secret de Marie, n°70.