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Sunday 8 March - 2ème dimanche de Carême
Les deux versants de la montagne
Par le père Ludovic Frère, recteurAttention, dans l’évangile, les détails n’en sont pas : au début de cet événement de la transfiguration, nos intelligences et nos sens spirituels ont ainsi été mis en éveil : « Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne ». Trois indices plus que trois détails :
- Les personnes concernées : « Pierre, Jacques et Jean »
- Les modalités : « à l’écart »
- Le lieu : sur une « montagne ».
Ces trois éléments ne se retrouvent qu’à un seul autre endroit des évangiles : au soir du Jeudi Saint. « Pierre, Jacques et Jean » seront conduits « à l’écart » par Jésus ; conduits sur une hauteur, le mont des Oliviers, pour être témoins de l’agonie du Sauveur.
Ce sera au terme du Carême ; mais nous comprenons dès maintenant qu’il est impossible de séparer ces deux événements : deux épisodes qui s’appellent et se répondent mutuellement. Transfiguration et agonie, sublime et tragique, manifestation de gloire et manifestation de douleur.
Les deux versants d’une même montagne, les deux côtés d’un même mystère ; en fait : le mystère de la vie, tout simplement !
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Or, il nous arrive peut-être de rêver pouvoir vivre dès maintenant ce qui nous attend au Ciel : une vie sans maladie, sans deuil, sans vieillissement, sans peur du lendemain. Un véritable repos, la fin des soucis et des pleurs… Qui ne souhaiterait cela dès aujourd’hui ?
D’ailleurs, quand nous vivons des moments joyeux, nous voudrions sans doute les figer. Arrêter la marche inexorable du temps, cesser le combat de la vie, son déséquilibre permanent entre ce qui va bien et ce qui va mal, ou entre ce qui est là maintenant et qui ne durera pas.
Comme Pierre, qui veut dresser trois tentes : ce qu’il vit est tellement beau ! Il voudrait fixer au sol ce moment de gloire, comme on plante les piquets d’une tente bien solidement dans la terre. Et s’arrêter là. Fin de la marche ! Pas besoin de redescendre de la montagne. La fin des soucis et des peurs... Le vrai bonheur !
Mais l’espérance que nous mettons dans le Christ n’est pas celle d’un bonheur figé dans la terre du présent. Ce n’est d’ailleurs pas notre expérience de la vie. L’espérance promise par le Christ est celle d’une marche, un pèlerinage vers le sanctuaire céleste, une ascension vers le déploiement éternel de ce que nous sommes.
Voilà ce que le Carême nous fait revivre chaque année. Voilà ce qu’un pèlerinage dans un sanctuaire nous fait expérimenter : notre vie entière est un pèlerinage. Ne cherchons donc pas à dresser des tentes sur la route. Mais accueillons tout ce qui nous permet de tenir pour avancer, et avancer encore.
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Cette marche se fait nécessairement sur les deux versants de la montagne du salut. Avec des moments de joie, de vrais bonheurs, comme des avant-goûts du Ciel. Ces moments, nous sommes appelés à les savourer vraiment !
À les savourer en accueillant le mystère d’une réalité lumineuse qui est déjà bien là, dans nos vies de tous les jours. Comme la lumière du Christ était déjà bien là, avant qu’elle se manifeste aux 3 apôtres ; car cette lumière, c’est un signe de sa divinité.
Aujourd’hui, pour la première fois, les trois témoins voient cette lumière dans toute sa puissance : « son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière ». Cet éclat de la sainteté divine, cette présence de Dieu sur terre était déjà là. Les disciples l’avaient d’ailleurs sans doute un peu perçue dans les yeux du Seigneur, dans ses paroles et dans ses actes.
Mais aujourd’hui, ils comprennent combien elle est puissante ! Bien plus puissance qu’aucune réalité humaine ! Et cette prise de conscience intellectuelle et sensible à la fois va pouvoir se graver dans leurs mémoires, dans leurs cœurs. Pour qu’ils s’en rappellent ensuite : ce qu’ils ont goûté reste bien présent, même quand c’est moins visible. Même quand ils passeront sur l’autre versant de la montagne, le versant obscur, le versant de l’agonie.
Vous me direz que ça n’a pas tellement marché : 33% de réussite, ce n’est pas très performant ! En effet, des 3 témoins de la transfiguration, deux vont s’enfuir à toutes jambes devant le drame de la croix. Le plus costaud va même renier le Christ. Seul le plus jeune, saint Jean, restera, jusqu’à vivre un autre moment de transfiguration, quand il recevra Marie pour mère au pied de la croix.
Pour nous aussi, dans les moments d’obscurité de nos vies, la tentation est grande de vouloir fuir ailleurs, comme Pierre et Jacques. Tentation de ne plus croire à la beauté du paradis. Tentation de chercher dans les promesses du monde une lumière qui ne passe pas par la croix. Et d’oublier tout ce qu’on a vécu de beau dans les moments de transfiguration.
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Remarquez que, des trois disciples, seul saint Jean va rester au moment de la plus grande obscurité. Certainement parce qu’il s’était penché sur le cœur de Jésus avant d’aller au jardin d’agonie. Ainsi, pour nous : dans les moments de douleur, il ne suffit pas de faire mémoire d’instants de transfigurationvécus auparavant ; il faut aussi prendre le temps de nous pencher sur le cœur de Jésus. Nous pencher tout contre son cœur, comme nous le faisons justement à chaque messe.
En écoutant battre le cœur du Seigneur dans l’Eucharistie, nous ne risquons pas d’oublier la gloire quand vient l’agonie. Nous vivons alors autrement les moments de douleur, non pas comme des temps de désespoir, sans plus rien sur quoi s’accrocher ; mais comme des temps que la gloire parvient à traverser.
Nous y goûtons la présence de Jésus, plus intime que jamais, qui traverse tout de sa lumière divine ! Toujours là, toujours vainqueur ! Traversant la mort pour faire jaillir la vie !
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Forts de tout cela, je vous invite aujourd’hui à 3 grands défis de Carême. Ils sont exigeants, je vous préviens. Mais tellement beaux et tellement nécessaires.
1er défi : vivre autrement peut-être, votre participation à la messe : la vivre comme une écoute attentive des battement du cœur de Jésus. C’est une attention à avoir à chaque instant de l’Eucharistie,dans chaque partie de la messe : entendre le cœur du Christ qui bat dans sa Parole, dans les chants et les prières, dans la consécration et à la communion. Une écoute plus attentive, en veillant à nous pencher tout contre la poitrine du Seigneur ; c’est le premier défi de Carême que je vous propose de relever ensemble.
Le 2e défi consiste à présenter aujourd’hui, dans l’offrande de cette messe, une douleur, une agonie, une obscurité que vous vivez actuellement ; Ou une douleur que vit l’un de vos proches ; Ou une douleur du monde qui vous marque particulièrement. Laissez alors le Seigneur venir et traverser cette douleur de sa lumière éclatante. Laissez la divinité du Christ venir habiter cette obscurité pour y faire resplendir sa présence.
3e défi : Offrir dès maintenant au Sauveur le moment d’agonie que sera celui de votre mort. C’est ce que nous fait prier la grande invocation mariale : « maintenant et à l’heure de notre mort ». C’est encore ce que Benoîte a dit à plusieurs pèlerins, surtout, disent les manuscrits, à « ceux qui ne veulent pas qu’on leur en parle[1] ».
Que cette agonie soit douce ou douloureuse, lente ou brutale, quoi qu’il en soit, nous pouvons déjà la déposer dans le cœur du Christ, pour recevoir la grâce de la vivre comme une Pâque, comme un passage, comme une naissance à la transfiguration éternelle. N’attendons pas que la mort nous surprenne : en la surprenant nous-mêmes, nous laissons la victoire du Christ la traverser déjà.
Voilà donc ces 3 défis que je nous invite à relever,
en écho aux 3 apôtres témoins de la transfiguration :
- écouter le Christ dans l’Eucharistie,
- présenter au Seigneur une agonie,
- et offrir déjà le moment qui sera celui de notre mort.
Prenons, s’il vous plaît, quelques instants, pour que ces 3 défis puissent nous rejoindre ; qu’ils rejoignent en profondeur tout ce qui vous habite aujourd’hui, peut-être surtout vos peurs de souffrir et de mourir. Ou les peurs de voir souffrir vos proches et de les voir partir. Que tout cela soit traversé par la lumière de la Transfiguration, pour y entendre les battements du cœur du Christ qui nous dit :
Je suis là, je suis vainqueur, je vous attend au Ciel.
[1] CA G. p. 74 II [120] – année 1672
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