Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Thursday 25 December - Messe du saint Jour de Noël
Lendemain de fête ?
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Que s’est-il passé à Bethléem, quand le jour s’est levé sur la crèche, après une nuit bien agitée au ciel comme sur la terre ? Que s’est-il passé quand les bergers sont repartis à leur travail et que le nouveau-né s’est certainement assoupi pour se remettre de ses émotions nocturnes ?
On peut imaginer Marie et Joseph, contemplant le visage du petit homme à la lueur des premiers rayons du soleil ; mais surtout peut-être, méditant à la lumière du jour naissant ce qu’ils avaient déjà perçu plusieurs mois auparavant, mais seulement dans l’obscurité : l’une par la visite de l’ange, l’autre par un songe.
Désormais, ils touchent de leurs mains, ils portent dans leurs bras celui qu’ils avaient accueilli comme une promesse et une mission : le Messie, le Fils du Dieu vivant, qui leur était confié par le Père céleste dans la fragilité de cet enfant !
* * *
On comprend alors que la liturgie ait choisi de nous offrir aujourd’hui le prologue de saint Jean, comme une contribution décisive à cette méditation du mystère de Dieu fait homme. En soi inconcevable, sauf par quelques fables ou quelques mythes, penser Dieu qui prend chair, c’est entrer dans des profondeurs vertigineuses… trop peut-être pour un lendemain de fête !
Pour accueillir ce mystère de Dieu fait homme, sans doute faut-il d’abord comprendre ce qu’est un homme. Créature dotée d’un esprit et d’un corps, mû par une âme qui l’ouvre à l’infini, l’être humain vit en grande partie, pourrait-on dire, en-dehors de lui-même. Il n’y a qu’à nous regarder : nous nous savons porteurs de désirs jamais assouvis ; et quand ils le sont, d’autres désirs les remplacent aussitôt. Nous nous reconnaissons aussi habités par des aspirations magnifiques à la beauté, à la vérité, au bonheur ; mais rien sur terre ne vient jamais combler totalement ces grands élans. Voilà ce qui fait un homme ou une femme : un être bien souvent en-dehors de lui-même, un être dont les habits terrestres paraissent fréquemment si étriqués !
Alors, à bien regarder ce qu’est un être humain, on peut saisir que l’événement de Dieu qui prend chair n’est pas une absurdité, n’est pas incompatible avec ce que nous sommes ; c’est au contraire son accomplissement sublime. Nous portons en nous un appel à plus que nous ; et voilà qu’en Jésus-Christ Dieu nous rejoint : l’infini entre dans le fini, le Créateur prend chair de créature. Puisque nous cherchons du sens à la vie hors de nous-mêmes, Dieu devient nous-mêmes et tout prend du sens. L’incarnation nous met ainsi en contact avec le commencement absolu dans lequel toutes les créatures retrouvent leur identité véritable. Elle unit de manière totale et définitive celui qui aspire à l’infini et Celui qui est infini.
* * *
Si cette nuit, nos regards étaient surtout attirés vers la crèche pour contempler le Dieu fait homme, aujourd’hui nos yeux sont comme élevés vers le Ciel par ce prologue de saint Jean qui nous prend dans son grand mouvement de descente et de remontée. Cette nuit nous ouvrait au premier acte : Dieu vient habiter parmi nous. Ce jour nous ouvre au deuxième acte : nous sommes rendus capables d’accéder à Dieu. Saint Jean conclut ainsi ce grand mouvement en reconnaissant : « Tous nous avons eu part à sa plénitude ».
Avoir part à la plénitude : voilà ce que le Seigneur a ouvert pour nous comme possibilité, par son incarnation. Il n’est pas venu seulement manifester sa solidarité avec nous, même si c’est déjà formidable d’avoir un témoignage aussi tangible de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous. Il n’est pas venu seulement pour que nous puissions le toucher, même s’il est sublime de pouvoir caresser de nos mains Dieu qui s’est fait homme. Non, plus encore que tout cela, il est venu pour que nous ayons part à sa plénitude. Il s’est abaissé pour nous élever. Saint Paul dira aux Corinthiens : « Vous connaissez le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8,9).
Noël n’est pas qu’une venue ; Noël est un échange. Noël n’a de sens que dans l’élévation de notre humanité que permet l’abaissement de la divinité. Le Verbe n’est pas simplement venu faire un petit tour sur terre ! Nous ne fêtons pas aujourd’hui une simple visite, aussi magnifique et délicate soit-elle. Nous fêtons un mouvement, qui vient du cœur de la sainte Trinité pour nous rejoindre dans l’incarnation afin de nous élever jusqu’à la Trinité.
* * *
Sans ce mouvement de retour, Noël n’est qu’une fête sympathique, mais pas décisive pour nous. Sans ce mouvement de retour qui jaillit du mystère de Pâques, ces fêtes ne sont que l’anniversaire d’une naissance. Mais non : ce jour n’est pas fait pour souffler quelques bougies, il est fait pour tendre vers le Ciel. D’ailleurs, la prière d’ouverture de cette messe nous a fait demander au Père : « fais-nous participer à la divinité de ton Fils, puisqu’il a voulu prendre notre humanité ».
N’oublions donc pas que ces fêtes ont été précédées par le temps de l’Avent. Il nous a disposés à attendre le retour du Christ : veillez, préparez le chemin du Seigneur, aplanissez la route, ne sommeillez pas ! Tout le bénéfice de tels appels ne peut pas être oublié aujourd’hui. Comme le saint pape Léon le grand le confessait au 5e siècle : « notre Seigneur, chargé de détruire le péché et la mort, n’ayant trouvé personne qui en fût affranchi, est venu lui-même en affranchir tous les hommes ». Alors, aplanissons la route pour qu’il nous rejoigne aujourd’hui, ce divin libérateur !
L’Emmanuel, Dieu-avec-nous, porte le nom de "Jésus" : Dieu sauve. Le Verbe s’est fait chair dans le but de nous sauver. La fête de ce jour inaugure donc l’événement de Pâques, qui viendra porter à son accomplissement ce que le Christ réalise depuis qu’il a été conçu du Saint Esprit dans le corps de Marie : l’offrande totale de son être, dans une obéissance au Père qui restaure la filiation abîmée et qui l’élève, jusqu’à nous faire participer éternellement à l’amour trinitaire.
* * *
Frères et sœurs, aujourd’hui, dans la crèche, Jésus se montre tout offert : petit, sans voix, dépendant des soins de Marie et de Joseph. Il est tout donné ; couché dans une mangeoire, comme pour annoncer qu’il vient se laisser manger par l’humanité affamée. Toute sa vie, il se laissera manger par les autres ; et au soir du jeudi saint, il s’offrira en nourriture de vie éternelle : « prenez, mangez, ceci est mon corps, ceci est mon sang ».
Cette mangeoire est garnie de paille. Une paille coupée qui sert de lit pour l’enfant-Dieu ; une paille coupée à ses racines, coupée de sa terre qui lui avait donné la vie, comme l’humanité depuis le premier péché : coupée de la source de la vie.
Mais cette paille qui se desséchait d’avoir été coupé de la source de vie, la voici désormais touchée par le corps du nouveau-né ; touchée par le Fils de Dieu fait homme. Elle en reçoit, cette herbe morte, une vie nouvelle. Déjà, dans la naissance du petit Jésus, nous entendons alors l’appel à la naissance baptismale qu’il lancera 30 ans plus tard à Nicodème : « amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu » (Jn 3,3).
La naissance du Messie dans une demeure terrestre nous appelle et nous permet de naître d’en-haut. La préface de la prière eucharistique nous fera alors prier tout à l’heure par ces mots, en disant du Christ : « il devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels ». Vivons donc ce jour de fête, frères et sœurs, en méditant ce grand mystère : « il devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels » ! Amen.