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Wednesday 25 December - Messe du jour de Noël
Le Verbe éternel a pris corps !
Par le père Ludovic Frère, recteur« Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jn 1,14) Sans même parler de la crèche, sans évoquer ni les anges ni les bergers, sans âne et sans bœuf, saint Jean parvient à résumer en une seule phrase le grand mystère de Noël : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous ». L’essentiel est dit : le Fils éternel du Père, la Parole incréée,, la deuxième Personne de la Très Sainte Trinité a pris un corps comme le nôtre.
Il nous faut bien l’entendre ! Le Verbe s’est fait chair, avec tout ce que ça signifie concrètement : il a pris des cellules et des nerfs, des organes et des os, des liquides et du sang, et même une psychologie humaine. Il a tout pris, tout imprégné de sa Présence divine.
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Mais quelle idée a bien pu Lui passer par l’Esprit ? Pourquoi cette folie de venir prendre et rejoindre notre chair, alors que, pour notre part, nous aimerions fréquemment en être libérés ?
Car ce corps de chair nous fait souvent bien mal. Il attrape la grippe ou développe un cancer. Il donne de l’acnée ou des boutons de fièvre. Au cours du temps, il se ride et développe de l’arthrose.
Corps qui a toujours trop chaud ou trop froid, qui ne cesse d’avoir faim et soif, qui a besoin d’uriner et de dormir. Corps vulnérable, corps périssable, corps qui prend feu en des désirs parfois si forts qu’on en est déconcerté. Corps fatigable, et peut-être ce matin bien fatigué après les festivités de cette nuit, et qui se bat à cet instant même pour ne pas s’assoupir… Courage à toi, corps qui peine à tenir debout et même assis !
Sans parler du corps qui complexe, parce qu’on le voudrait autrement : moins gros ou plus grand, moins poilu ou plus chevelu, avec un nez différent, ou des abdos plus développés ou des hanches moins larges. Corps de misère, corps qui fait souffrir…
Seigneur, tu étais vraiment certain de vouloir prendre un corps comme nous ? Un corps si misérable, un corps si peu enviable qu’on en vient peut-être à jalouser les anges… en tous cas, à leur dire comme Benoîte le fit ici-même : « Bel ange, si vous aviez un corps comme nous, nous verrions ce que vous pourriez faire ! »
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Oh, bien sûr, c’est beau, un corps humain. Grâce à notre corps, nous nous sentons vivants. Avec un corps, on peut caresser un être intime et embrasser ceux que l’on aime. On peut entendre de belles mélodies et sentir de bonnes odeurs, voir de sublimes montagnes et goûter de bons chocolats de Noël.
Nos corps tressaillent par les beaux plaisirs dont Dieu a voulu les gratifier dans son acte créateur. Avec nos corps, aussi, nous travaillons, nous fabriquons, nous bricolons, nous aidons et nous soignons. Par nos corps, nous parlons peut-être plus en vérité que par de seules paroles. Nous échangeons des regards, et tout est dit. Nous offrons des accolades, et nous voilà consolés.
C’est beau d’avoir un corps… Pour vivre tout cela avec nous, on comprend que le Verbe ait choisi de prendre chair !
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Mais entre les joies qu’il procure et les souffrances qu’il impose, pas évident que la balance penche du côté des bienfaits du corps ! Si l’on nous proposait de nous en libérer, ce serait sans doute bien volontiers. Certains courants spirituels promettent d’ailleurs ce soi-disant idéal d’un corps totalement maîtrisé, corps qu’on parviendrait à oublier pour se fondre dans le grand Tout dont on ne sait rien…
Mais voilà Dieu qui fait le contraire : il prend ce corps, il s’en saisit, dans une union éternelle : car il ne sera désormais plus possible de séparer la 2e Personne de la Trinité du corps qu’elle a pris. Même ressuscité, le Fils de Dieu le sera avec son corps dont les disciples pourront toucher les plaies. Et à l’Ascension, c’est avec ce corps glorieux qu’il rejoindra le Père. Ainsi, Dieu a pris un corps pour l’éternité. Il a pris nos corps pour les éterniser ; et voilà ce mystère de la résurrection de la chair, comme la conséquence la plus sublime du Verbe qui a pris chair.
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Pour que ce mystère de Noël nous rejoigne vraiment, il faut alors assumer le fait d’avoir un corps. Comme pour soulever un véhicule afin d’en changer une roue : le cric doit reposer sur un sol ferme, sans quoi rien ne lève. De même pour que la grâce nous élève : il faut le sol ferme de nos corps, même fragiles ou malades.
Ce jour de Noël devrait donc faire exulter nos corps, car ils sont rejoints par Dieu Lui-même ! Ils en acquièrent une dignité nouvelle, un mystère nouveau qu’ils doivent célébrer sans crainte. Nos corps ne sont d’ailleurs pas oubliés de cette fête de Noël… on les réjouit par des repas festifs, et c’est très bien ! Avec la modération nécessaire pour ne pas en perdre le sens, on nourrit et abreuve nos corps de bonnes choses pour célébrer le mystère qui les rejoint aujourd’hui : le Verbe s’est fait chair !
Oui, toute chair doit exulter, même les corps fatigués et malades… car ce grand mystère les traverse : c’est l’Emmanuel, Dieu avec nous ! Dieu habitant un corps pour ensuite, par l’Eucharistie, habiter tous les corps, et plus tard au Ciel, transfigurer nos corps.
Laissez donc aujourd’hui le Verbe fait chair rejoindre vraiment toutes les cellules de votre corps. Même vos cellules malades, vos membres souffrants, vos organes qui dysfonctionnent. Laissez l’amour divin couler dans vos veines. Laissez le Dieu fort saisir tout ce qui est faible en vous ! Car aujourd’hui, c’est Noël !
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Voilà la première grande réponse que nous pouvons oser en contemplant dans la crèche le « Verbe fait chair ». Permettez que j’y ajoute une deuxième grande réponse, tout aussi essentielle : laissez la lumière de Noël convertir encore, si besoin, votre regard sur le corps des autres.
Car nos regards sur les corps ne sont pas toujours chastes. Mais en prenant chair, Dieu nous libère de l’idolâtrie du corps. Le corps-idole, c’est lorsqu’il fait perdre le sens du don. Il suscite alors la convoitise quand il attire, ou le mépris quand il déplaît. Il devient séducteur. Se-ducere, ça veut dire : « conduire à soi ». La séduction instrumentalise le corps pour tout ramener à soi. On n’aime plus, on dévore. On ne contemple plus, on déshabille.
Mais en prenant chair de notre chair, le Verbe éternel fait éclater l’idole pour sublimer l’icône. L’idole rapporte à soi, l’icône ouvre à un autre. L’icône capte la lumière, mais c’est pour nous parler d’une réalité plus grande qu’elle. Ainsi nos corps : ils nous parlent désormais de quelque chose de plus grand que la somme des cellules qui les composent ou l’ensemble des besoins qu’ils revendiquent. La beauté du corps ouvre au mystère de la personne humaine, avec ce qu’elle a d’unique et d’inviolable : icône de la présence de Dieu qui a pris chair !
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Alors, aujourd’hui, en contemplant dans la crèche Dieu qui a pris un corps comme nous, décidons-nous à regarder chaque corps comme une icône de la présence divine, jamais comme une idole à capturer. Icône qui renvoie au mystère de Noël : mystère de nos pauvres corps rejoints dans leur vulnérabilité pour devenir porteurs de Dieu : des corps devenus crèches de la présence divine, tabernacles du Très-Haut, temples de l’Esprit-Saint. Corps habité par Dieu, en prélude à la vie éternelle, où c’est nous qui habiterons en Dieu. Joyeux Noël ! Amen.