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Sunday 14 February - Messe d'ouverture de la 2ème session ski-spi
Le syndrome du tire-fesse
Par le père Ludovic FrèreAlors que Jésus vient de nous conduire avec lui au désert, permettez que nous fassions d’abord un détour, à l’opposé de telles conditions climatiques. Vous êtes d’ailleurs venus ici pour cela : la montagne et ses pistes de ski. C’est promis, nous reviendrons tout à l’heure dans la chaleur du désert.
Mais montons d’abord dans une station de ski. On y voit les pistes, serpentant au milieu des mélèzes, alors que, montant droit dans montagne, on repère les télésièges et les tire-fesses.
Faisons la queue à l’un de ces tire-fesses. Il y a un peu de monde, et visiblement devant nous, une personne assez peu assurée. Ça doit être l’une des premières fois qu’elle s’essaye à ce genre d’engin. La voilà qui attrape la perche et qui commence à monter, les skis approximativement parallèles… aïe, non : les voilà qui s’entrecroisent ! La personne titube, les bâtons se transforment en d’inutiles freins à main, les skis choisissent chacun une direction différente… et c’est la chute ! Mais alors que la tête mange la neige, la personne s’agrippe à la perche jusqu’à ce qu’enfin, quelqu’un arrête le tire-fesses. Ouf !
Vous ne pensez pas que le comportement le plus logique aurait été simplement de lâcher la perche ? Tant pis pour l’amour propre et pour les quelques minutes perdues à redescendre ; mais au moins, ça évite le spectacle de se traîner au sol sous les yeux des autres…
Mais malgré cette évidence, un étrange comportement habite la plupart des personnes à ce moment-là : continuer à s’agripper ! Comme si le fait de ne pas lâcher la perche allait pouvoir aider ! On sait très bien qu’on ne pourra pas se relever de soi-même. Mais on s’agrippe et on se traîne au sol jusqu’à ce qu’enfin, quelqu’un arrête le tire-fesses.
La pauvre personne croise alors le regard de ceux qui, à cause d’elle, se trouvent bloqués dans leur montée. D’ailleurs, souvent, vous avez remarqué que cet arrêt conduit tout le tire-fesses à redescendre un peu. Ça me fait penser au péché, qui ne fait pas seulement chuter la personne qui l’a commis, mais qui fait un peu redescendre toute la chaîne de notre communion. Oui, nous sommes bien plus unis que nous ne savons le reconnaître : unis dans le bien et unis dans le mal.
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Au seuil de notre session ski-spi, essayons alors de comprendre le syndrome du tire-fesse : il me semble illustrer un réflexe fréquent, dans la vie spirituelle également. Même à terre, on s’agrippe, on s’accroche à quelque chose qui peut nous rassurer, alors qu’on sait très bien que ça ne va pas nous remettre debout !
En ce 1er dimanche du Carême, je vous propose d’oser regarder les perches de tire-fesses auxquelles vous restez trop accrochés, même quand vous êtes tombés. Et découvrir alors que l’expérience du Carême, c’est d’abord cela : lâcher ce qui ne peut pas nous aider à montrer. Lâcher ce qui nous laisse au sol et qui freine toute la chaîne de notre communion avec les autres.
Pour nous aider à déterminer ce que chacun de nous devons lâcher, quittons maintenant la neige pour le désert. Ecoutez alors comment saint Luc introduit l’événement des tentations : « Jésus, rempli d’Esprit-Saint, quitta les bords du Jourdain ». Souvenez-vous, la scène est d’ailleurs sans doute encore fraîche à nos mémoires : c’était voici à peine plus d’un mois. Nous avions alors contemplé le Christ au bord du Jourdain. L’Esprit-Saint était descendu sur lui comme une colombe, et l’eau avait baigné tout son corps.
Ce beau moment, Jésus doit maintenant le quitter, il choisit de le quitter. Sa perche de tire-fesses, ça aurait pu être le confort des bords du Jourdain, où il y avait de l’eau fraiche, un vent doux, et tout près de là, des petits villages de pêcheurs, aux nombreuses échoppes de poissons bien sûr, mais aussi de vin, de pain, de miel.
Ah, quand il y pense, maintenant qu’il est dans ce désert, il en salive et sa bouche devient pâteuse. C’était si bien, les bords du Jourdain ! Mais le Christ ne s’est pas agrippé, parce qu’il se savait appelé ailleurs par le Père, dans l’Esprit. Oui, c’est « rempli d’Esprit-Saint » que Jésus part au désert, comme pour nous faire comprendre ce qui doit nous remplir vraiment au cours de notre Carême.
Partir au désert, pour oser un combat difficile contre l’Esprit du mal ; mais un combat qui le fera vraiment choisir sa mission pour le monde.
Lâchons donc cette semaine les perches de tire-fesses auxquelles nous nous agrippons par peur de ce combat, par peur de recommencer à chuter, par peur du regard des autres, par peur de ce que nous risquons de perdre. Osons prendre ce chemin d’un combat spirituel et relationnel qui nous fera, en fait, grandir !
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La première étape de ce lâcher-prise, nous la vivons maintenant : nous participons à la messe comme une porte d’entrée dans cette semaine dont nous ignorons pas mal de ce qui nous attend. Lâchez vos inquiétudes, voire peut-être votre doute sur l’opportunité d’être venus ici. Et ceux qui connaissent déjà ski-spi, lâchez vos souvenirs de ce que vous y avez vécu les autres années, pour vous ouvrir à la nouveauté de ce que le Seigneur veut vous donner cette semaine. Lâchez peut-être aussi l’impression de ne pas être concerné par ce besoin de lâcher… vous verrez bien ce qui se passe en vous !
Car sur ce chemin d’un lâcher tellement libérateur, mais souvent bien difficile, nous allons être soutenus, en ce lieu béni, par deux grandes amies : la Vierge Marie, championne du monde du lâcher-prise ; et la vénérable Benoîte, avec laquelle le Ciel a pris bien du temps pour qu’elle consente à lâcher, au fur et à mesure, ce qui l’empêchait d’avancer dans la liberté d’une vie donnée : elle a mis du temps à lâcher sa chèvre, ses projets, ses désirs de résultats et ce que les autres pouvaient penser d’elle.
Que la Vierge du Laus et Benoîte soient donc vraiment cette semaine nos compagnes de tire-fesses, pour que, les uns avec les autres, les uns par les autres, nous puissions tous avancer plus haut, jusqu’au sommet des pistes, là où des paysages splendides nous attendent !
Amen.