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dimanche 20 mars - Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur
Le printemps est arrivé !
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireLa coïncidence de dates est assez rare pour être soulignée : nous célébrons cette année les Rameaux au jour même de l’entrée dans le printemps ; cette magnifique saison, qui voit germer les bourgeons, qui réveille les animaux de leur hibernation, qui fait revenir les oiseaux migrateurs jusqu’aux nids où de nouvelles vies viendront bientôt éclore. Oui, cette saison des amours naissantes coïncide cette année avec notre entrée dans la semaine sainte, et c’est là un bien joli signe.
C’est une belle coïncidence, car le printemps invite à la poésie, mais plus encore à l’espérance : une sève nouvelle vient réveiller des arbres, dont le triste aspect aurait pu nous faire croire qu’ils étaient morts. La puissance de la vie commence à jaillir de partout. Et nous, tout à l’heure, nous avons porté en main des rameaux, qui témoignent eux aussi de cette vie plus forte que tous les hivers du monde.
Le génie du christianisme a voulu placer les fêtes pascales au printemps. Non pas seulement pour correspondre au plus proche aux indications évangéliques sur la date de la Pâque du Christ, mais aussi pour que nous puissions lire cette victoire de la vie dans le grand livre de la nature autant peut-être que dans celui de la Bible. En tous cas, que cette victoire soit perceptible par tous, sans distinction de culture ni même de religion.
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A moins qu’il ne s’agisse d’un lien plus profond encore, nous invitant à voir dans la nature qui se réveille l’annonce d’une Création nouvelle. Le récit des rameaux et celui de la passion ne sont alors pas seulement les deux versants d’une même réalité désolante, voyant la foule humaine passer en quelques jours des chants d’acclamation aux cris de mise à mort ; mais ce double évangile invite à voir dans les rameaux agités sur le passage du Christ la reconnaissance qu’une sève nouvelle va circuler dans toute la Création, quand il va répandre sur notre terre son sang rédempteur.
Oui, il nous faut bien l’entendre : le sang de Jésus a coulé sur notre terre. Depuis lors, elle en est imprégnée, cette terre qui donne vie aux plantes, aux animaux et aux hommes. Notre terre garde forcément la mémoire de cet événement unique où le Sauveur du monde, Dieu fait homme, a versé son sang. Depuis la cour où il a été flagellé jusqu’au sommet du Golgotha, en passant par les rues de Jérusalem : des gouttes du sang du Fils de Dieu sont tombées un peu partout sur le sol.
Nous devrions sans doute y penser plus souvent quand nous touchons la terre, cette terre qui sera notre dernière demeure avant le grand passage. La noblesse de la terre ne vient plus seulement du courage des hommes qui la travaillent ; elle vient désormais du sang du Christ, ce sang reçu de la Vierge Marie, qui a coulé sur le sol avant de devenir offrande totale au dernier souffle du Fils injustement condamné.
Depuis les origines de l’humanité, le sang versé faisait porter à la terre tout le poids des violences humaines. Qui peut mesurer tout ce sang répandu dans les guerres, les crimes et les catastrophes de toutes sortes ? Les violences subies par le Christ ne font cependant pas qu’ajouter encore à cette liste interminable. Elles ne font même pas que résumer en un seul récit terrifiant tout le mal et les souffrances dont les hommes sont capables ou victimes, depuis Adam jusqu’à aujourd’hui.
Plus que tout cela encore, le sang versé du Christ Sauveur renverse le cours de l’histoire : la terre ne porte plus désormais les seuls stigmates des horreurs humaines, elle porte la trace de l’offrande totale du Fils de Dieu pour nous en sauver. Et toute la Création en est transfigurée, comme un nouveau printemps, mais un printemps définitif, celui-là.
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Notre terre a reçu du sang versé par le Fils de Dieu une incomparable noblesse. Cependant, cette noblesse est encore peu de choses à côté de ce que chacune de nos vies et l’humanité entière ont reçu de cette offrande. Car ce sang versé par le Christ au jour de sa Passion vient aussi remplir nos calices, dans toutes les messes célébrées à travers le monde entier. Le récit de la Passion a justement commencé par l’institution de l’Eucharistie, donnant la clé de lecture fondamentale des événements qui ont suivi : « ceci est mon corps, ceci est mon sang versé pour vous ».
Depuis-lors, le même sang sauveur qui a coulé sur la terre de Jérusalem se trouve réellement présent dans les calices de tous les autels du monde entier, dans la plus petites des paroisses comme à Saint-Pierre du Vatican. Partout, le même sang est donné à boire et circule désormais dans le corps entier de l’Eglise, même si de manière pratique, il est difficile de pouvoir communier au sang du Christ à chaque messe, surtout quand il y a du monde comme aujourd’hui. Il reste cependant bien évident qu’en communiant à son corps, on communie aussi à son sang puisqu’on reçoit pleinement le Christ vivant dans chacune des espèces consacrées.
Quoi qu’il en soit, ce que la terre de Palestine a reçu le vendredi saint, nos propres personnes le reçoivent pareillement et bien plus fortement parce que consciemment, en chaque Eucharistie. Et nous devenons alors, chaque fois davantage, ce que nous sommes par vocation : une terre sainte.
Sans doute cette année de la miséricorde devrait-elle nous faire davantage regarder les autres comme des terres saintes. Regardez votre conjoint, vos enfants, vos parents, vos amis, vos ennemis comme des terres saintes sur lesquelles le sang du Christ a été répandu !
Regardez-vous aussi vous-mêmes comme une terre sainte, au lieu de considérer sans cesse ce qui ne vous convient pas chez vous ou ce qui vous convient trop ! Et regardez toute l’Église comme une terre sainte plutôt que déplorer sans cesse les manquements de ses membres, qu’il est cependant nécessaire de dénoncer, dans le respect de tous.
Frères et sœurs, le sang du Christ circule désormais en nous et entre nous, comme il a coulé sur les pentes du Golgotha ! Nos terres intérieures en reçoivent alors une incomparable noblesse.
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Forts d’une telle grâce, les rameaux que nous avons tenus en main ne sont alors que des signes de ce que nous sommes devenus et encore appelés à être : des branches verdoyantes, des arbres abandonnant leur stérilité en laissant couler en eux la sève nouvelle du sang rédempteur.
Ce n’est pas là une considération spirituelle un peu trop vague ; mais c’est en fait la réalité la plus concrète de nos vies : en nous circule le sang du Christ ! Comment pourrions-nous vivre comme s’il n’en était rien ? En nous circule la vie du Christ ; comment pourrions-nous vaquer à nos occupations sans qu’elles ne soient totalement transfigurées par cette source divine ?
Alors oui, la coïncidence entre l’entrée en printemps et l’entrée en Semaine Sainte n’est pas qu’un détail anecdotique à relever. En cette année de la miséricorde particulièrement, elle est véritablement un appel à savoir entendre : l’offrande du Christ en sa Passion ne fait pas que remettre à zéro le compteur du contentieux qui maintenait l’humanité loin de son Dieu. Son sang versé est la sève nouvelle qui habite désormais tous ceux qui s’en approchent. Et la promesse qu’Isaïe nous apportait dimanche dernier devient alors la réalité la plus tangible de toute notre existence : « Ne vous souvenez plus du passé, ne songez plus aux choses d’autrefois ; voici que je fais toute chose nouvelle ». Amen.