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Sunday 24 June - Pèlerinage des motards
Le port du casque est-il vraiment obligatoire ?
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Le port du casque est-il vraiment obligatoire ? En voilà, une drôle de question ! Selon le code de la route, aucune hésitation n’est possible : le casque est indispensable, même pour de courts trajets. « Les têtes bien faites se protègent », disait un slogan de la sécurité routière.
Tout à l’heure, vous, motards présents aujourd’hui en pèlerinage, vous viendrez d’ailleurs déposer vos casques au pied de l’autel, pendant l’offertoire. Ce sera un signe d’offrande de votre passion de la moto au Seigneur; ce sera une action de grâce pour tout ce que ce loisir vous permet de découvrir, dans la nature et dans les relations aux autres. Mais ce sera aussi un témoignage du respect que vous avez pour vous-mêmes, en vous protégeant par des casques qui peuvent vous sauver la vie.
Mais le casque est-il également obligatoire dans les domaines spirituel et relationnel ? Eh bien, permettez-moi de croire qu’il n’est, au contraire, absolument pas recommandé. Car un casque est nécessairement dur à l’extérieur et rembourré à l’intérieur, un peu comme ces crustacés qui habitent les milieux marins : ils portent une carapace, mais leur chair est mole. Or, le Dieu créateur n’a pas fait l’être humain crustacé ; il l’a fait vertébré.
Il ne nous a pas créés comme des casques de moto, durs en surface, mous à l’intérieur. Au contraire, le Seigneur nous a voulus solides à l’intérieur, par une colonne vertébrale qui nous maintient et nous permet de nous tenir debout. Mais à l’extérieur, il nous a voulu tendres, par la sensibilité de notre peau.
En notre sanctuaire, où le geste des pèlerins consiste, de manière privilégiée, à prendre de l’huile de la lampe du tabernacle pour l’appliquer délicatement sur la peau, nous redécouvrons cette sensibilité que nous avons à l’extérieur, qui fait notre fragilité, mais aussi notre délicatesse ; une tendresse cutanée qui signifie et favorise une tendresse du cœur.
Le pèlerinage des motards de ce dimanche nous demande donc si nous préférons nous réfugier derrière des casques de moto, ou oser vivre de la tendresse pour laquelle Dieu nous a créés et sauvés, même si c’est en risquant de nous blesser par manque de protections.
Nous savons que bien des événements de la vie peuvent nous carapacer et nous encourager plus ou moins consciemment à porter des casques, parfois bien visés sur nos têtes : d’ailleurs, plus nous sommes fragilisés à l’intérieur, plus nous cherchons à nous créer une coque extérieure, que rien ne pourrait atteindre. Une coque d’insensibilité, qui protège peut-être en apparence, mais qui isole aussi, qui enferme.
Notre époque, avec ses difficultés, semble nous encourager à porter des casques et même à faire de tout notre être comme un casque protecteur, dur à l’extérieur - jusqu’à devenir insensible - mais aussi, malheureusement, mou à l’intérieur.
Sans vouloir dépeindre un tableau dramatique, il faut bien reconnaître que beaucoup de choses, de nos jours, nous éduquent à la mollesse. Il n’y pas à rester longtemps devant sa télévision pour se rendre compte à quel point on veut nous rendre mous, flasques, incapables de réfléchir, de discerner la vérité, de séparer le bien du mal. Sans doute pour nous faire consommer sans discernement, car celui qui est mou à l’intérieur est pris d’une frénésie de remplir sa vie d’objets et de distractions qui détournent, en fait, des vraies questions. En étant mous, nous sommes à la fois malléables et « remplissables » à volonté d’objets, de jeux, de sport, de plaisirs, de sensations.
Alors, comment éviter cela ? Comment fuir la tentation du casque de moto ? Comment rester des vertébrés, puisque Dieu nous a créés ainsi : solides à l’intérieur et sensibles à l’extérieur, c’est-à-dire capables de relations véritables ?
* * *
C’est là que la fête qui nous réunit aujourd’hui peut nous donner d’importantes clés de compréhension et d’agir. Car, à travers la naissance de Jean-Baptiste, nous fêtons ce qui doit être au cœur de toute vie chrétienne : laisser davantage de place au Christ.
« Il faut qu’il grandisse et que, moi, je diminue », dira le Baptiste. D’où la fête de sa naissance autour du solstice d’été, puisque désormais les jours vont commencer, petit à petit, à diminuer, jusqu’au solstice d’hiver, où nous fêterons la naissance du Sauveur.
Pour ne pas se laisser aller à l’attitude du casque de moto, il nous faut donc imiter Jean-Baptiste pour qu’en nous, le Christ grandisse, et que nous-mêmes, nous diminuions. Que notre petite personne, notre « moi-je », notre ego, diminue ; car la solidité intérieure et la sensibilité extérieure ne sont possibles qu’en laissant le Christ vivre en nous, lui qui est la véritable solidité et la profonde sensibilité.
Notre solidité ne sera jamais dans les carapaces, les murs, les casques, les barrières, que nous mettons entre nous et les autres. Comme disait le Bienheureux Jean-Paul II devant les murs érigés pour séparer la ville de Jérusalem : « notre humanité n’a pas besoin de murs, mais de ponts ».
* * *
Le sanctuaire du Laus est justement un lieu privilégié pour déposer nos casques et bâtir des ponts. A ce titre, le geste des motards pèlerins, aujourd’hui, au cours de l’offertoire, pourra devenir le symbole de ce que nous sommes tous appelés à faire, par Marie, en ce saint lieu : déposer nos casques, devant le Christ. Lâcher ce qui nous rend durs et insensibles, pour accepter toutes les formes de réconciliations dont le Seigneur, par la Vierge du Laus, veut ici nous combler.
Alors oui, j’ose vous encourager aujourd’hui à déposer vos casques, dans votre vie spirituelle et relationnelle. Il y a bien sûr des risques, et tout être qui se livre reçoit des écorchures. Le Christ nous l’a montré au plus haut point dans sa passion. Mais l’objectif de l’existence n’est pas de nous protéger pour rester bien clos sur nous-mêmes.
Au Ciel, ce n’est pas le casque qui nous coiffe, c’est l’auréole ; elle est le signe de la sainteté, acquise par ceux qui ont accepté de se présenter fragiles devant les autres, mais qui ont tenu bons car ils avaient en eux une véritable solidité, une vraie colonne vertébrale : le Christ lui-même.
Par l’intercession de Jean-Baptiste, demandons aujourd’hui au Seigneur d’être davantage notre colonne vertébrale. Demandons-lui de nous habiter en profondeur ; bien sûr qu’il le veut, mais il nous reste, nous, à le choisir, à nous ouvrir à sa présence, à oser lui faire confiance, à ne rien vouloir garder pour nous-mêmes.
Et alors, le Christ peut vraiment passer en nous et à travers nous ; il peut rejoindre les autres par notre intermédiaire ; il peut grandir en nous pour étouffer les orgueils et les suffisances qui nous envahissent trop souvent. Il peut grandir, il doit grandir, encore et encore.
Le vrai bonheur est là, sans casque et sans armure, dépouillé comme le Christ sur la croix, comme le Christ au matin de Pâques. Dépouillé comme les témoins de l’Evangile qui n’ont rien d’autre à offrir que leurs mains tendues. Un bonheur sans autre sécurité que l’amour que Dieu nous porte ; mais c’est finalement la seule véritable sécurité. Alors : bas les casques !
Amen.