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Sunday 24 February - 7ème dimanche du temps ordinaire
Le nouveau David
Par le père Ludovic Frère, RecteurN’est-ce pas un peu dommage ? En préparant l’homélie de ce dimanche, c’est d’abord ce que je me suis dit : c’est quand même dommage que la liturgie nous offre aujourd’hui une première lecture qu’on peut qualifier de « saucissonnée ». Nous sommes au chapitre 26 du premier livre de Samuel, dont nous avons seulement entendu les versets 2, 7 à 9, 12-13 et 22-23. Je doute que l’auteur biblique ait pensé son récit avec de telles coupures, même si je ne doute pas que l’Esprit Saint guide toujours l’Église, et donc que ce découpage liturgique présente quelque signification spirituelle qu’il peut être bon de repérer.
Alors pardonnez-moi, car certains parmi nous portent des soucis bien plus importants que ces détails de découpage de texte ! Mais je pense justement que la Providence est d’une telle surabondance et d’une telle délicatesse qu’elle peut passer par des détails apparemment anecdotiques pour nous révéler des choses qui peuvent nous porter, nous éclairer et nous consoler dans toutes les situations de nos vies personnelles, de la vie de l’Église si tourmentée ces derniers temps et de la vie du monde.
Je ne résiste donc pas à la tentation de vous rapporter ce qui n’a pas été dit dans cette première lecture, comme une invitation à aller lire après cette messe l’ensemble de ce chapitre 26 du premier livre de Samuel. Et pourquoi pas l’ensemble de ce livre de Samuel. Et pourquoi pas les deux livres de Samuel. Et pourquoi pas la Bible tout entière !...
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… Mais pour en rester ici à ce 26e chapitre, les experts liturgiques ont choisi de passer sous silence tous les préparatifs de cette embuscade de David contre le roi Saül. Des préparatifs qui replongent pourtant utilement dans le contexte de cet épisode guerrier que tout le monde ne connaît peut-être pas.
Ce contexte, c’est que les deux hommes vivaient auparavant en toute confiance. Mais David était un si valeureux guerrier qu’une chanson vint à circuler parmi les Hébreux : « Saül a tué des milliers, et David, des dizaines de milliers. » On lit au chapitre 18 ce commentaire : « Saül le prit très mal et fut très irrité. Il disait : "À David on attribue les dizaines de milliers, et à moi les milliers ; il ne lui manque plus que la royauté !" » (1 Sam 18,8).
Ce comportement ridicule met bien en évidence l’absurdité de toutes les jalousies ! Leur futilité autant que leur puérilité ! Tout le premier livre de Samuel est ainsi articulé autour de cette folie d’une jalousie qui va jusqu’à vouloir la mort de celui qui était un ami.
Mais bien que futiles et puériles, nous savons trop que de telles jalousies peuvent habiter nos cœurs. Elles ont donc bien besoin de la grâce de Dieu pour être évacuées sans compromission. Profitez donc de votre présence en ce sanctuaire de réconciliation pour déposer ici, dans la chapelle des apparitions, toutes vos possibles jalousies : celles que vous pouvez clairement identifier et celles qui ne le sont peut-être pas. Prenons ensemble l’engagement de ne pas nous laisser séduire par ce sentiment mortifère qui pousse à la guerre.
Je vous propose alors dès maintenant de prendre quelques instants de silence pour identifier une jalousie dont vous voulez vous désolidariser en l’abandonnant dans les bras de la Vierge du Laus.
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Ainsi allégés, nous pouvons revenir au conflit entre Saül et David. La guerre était déclarée, David était traqué par le roi qui craignait pour son trône. Quelle douleur pour David ! Une douleur exprimée de façon très touchante dans la section que nous n’avons pas entendue, des versets 14 à 21. Après quelques reproches bien vus sur les failles de la défense du roi Saül, David exprime son incompréhension devant l’acharnement dont il est victime.
Toute violence, toute haine devrait susciter en nous la même incompréhension, nous gardant bien de jamais légitimer la moindre violence par des justifications, quelles qu’elles soient. Aucune raison ne sera jamais assez bonne, sauf en cas de légitime défense, pour justifier l’emploi de la violence.
On trouve ici tout le sens de cette parole bouleversante du Christ dans l’évangile d’aujourd’hui : « À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue ». Ce n’est pas de la faiblesse, ce n’est pas une invitation à se faire battre sans broncher. C’est un appel à refuser la logique de la violence.
Car une réponse violente à de la violence ne peut que susciter une violence plus grande encore. Quand Jésus nous demande de présenter l’autre joue, n’est-ce pas pour nous dire : présentez donc une autre face de l’humanité ? La face qui vous habite encore bien plus profondément que les désirs de violence et de vengeance : présentez la face de la non-violence, du pardon, du désir de relever l’autre comme pour une résurrection ! Il y a là un fruit de vie exceptionnel !
Dans toutes les situations que nous rencontrons, dans les querelles de voisinage ou de paroisse, comme dans les conflits avec un conjoint séparé ou un ami qui nous a déçu, présentons une autre face que celle de la violence. Nous le faisons non pas comme des héros qui serrent les dents pour ne pas se venger, mais comme des croyants, disciples d’un Dieu qui ne se venge pas, mais qui offre toujours un chemin de vie.
Ainsi pour David : la vie du roi était entre ses mains, il aurait pu en finir ; et avec la mort de Saül c’était aussi la mort de ses difficultés. Tout aurait été réglé par ce coup de lance bien mérité. Mais David préfigurait le Christ, qui n’est pas venu pour venger le Père éternel en nous tuant d’un coup de lance, mais qui nous veut vivants avec Lui pour l’éternité.
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On commence alors à mieux comprendre le choix liturgique de ne pas nous avoir proposé l’ensemble du passage. Car un élément essentiel est alors passé volontairement sous silence, c’est lorsque Saül prend conscience de sa folie et qu’il confesse : « J’ai péché. Reviens, mon fils David ! Je ne te ferai plus de mal, puisque ma vie a été aujourd’hui si précieuse à tes yeux. Oui, j’ai agi comme un fou et je me suis lourdement trompé » (1 Sam 26,21).
En un sens, c’est bien dommage qu’on n’ait pas entendu ce sublime acte de contrition et de repentance, mais cette mise sous silence a permis de nous focaliser sur l’essentiel… et nous a finalement préparé à bien entendre l’Evangile. Car ce qui est premier, ce n’est pas la sincère contrition de Saül. Ce qui est premier, c’est la miséricorde de David. C’est elle qui est mise en évidence par ce découpage de la première lecture : le roi est grâcié par miséricorde !
Une miséricorde qui préfigurait celle du Christ, « fils de David » comme on l’appelle souvent dans les évangiles, et plus exactement : nouveau David ! Un nouveau David qui ne fait pas que reproduire le comportement miséricordieux du premier, mais qui le porte à un niveau d’accomplissement inégalable : non seulement le Christ a refusé de nous anéantir d’un coup de lance, mais plus encore, sur la croix, il a lui-même pris ce coup de lance dans son côté pour faire jaillir l’eau et le sang qui donnent la vie éternelle !
Sur la croix, l’amour du Christ pour nous a été tel, qu’il a pris sur lui la blessure de la lance que nous méritions pourtant bien. De son côté ouvert ont jailli l’eau qui nous purifie de nos péchés et le sang qui nous redonne vie, sa vie à Lui : le sang de l’alliance éternelle, « versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés ». Et le Christ de conclure : « vous ferez cela en mémoire de moi. »
Son enseignement sur l’amour des ennemis et sur la bénédiction de ceux qui nous maudissent peut donc être vu comme une application concrète de cette grande demande : « vous ferez cela en mémoire de moi ». Quand nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé, quand nous bénissons ceux qui nous veulent du mal, nous agissons en mémoire du Christ qui fut transpercé de la lance qui nous était destinée.
Tout est alors dit de ce que doivent vivre les disciples d’un tel Maître. Peut-on se reconnaître pécheur grâcié tout en refusant la même grâce à l’égard de ceux qui ont fait du mal ? Peut-on s’abreuver au côté ouvert du Christ miséricordieux tout en entretenant des désirs de division à l’égard de quiconque ?
Le découpage de la première lecture prend alors tout son sens : l’important n’est pas de nous centrer sur la réaction de l’autre, qui pourrait comme Saül confesser combien il nous a fait mal, ou qui pourrait bien ne pas le reconnaître. L’important n’est pas de nous centrer sur le coupable, mais sur le comportement du nouveau David, qui ne rend pas le mal pour le mal, mais redonne vie, sans cesse, et qui nous prend dans son grand mouvement de vie à répandre dans le monde !
Nous sommes alors autant des Saüls qui bénéficient d’une telle miséricorde que des Davids appelés à agir en communion avec le grand David mort et ressuscité pour nous. Par lui, avec lui et en lui, nous pouvons alors aimer nos ennemis, prêter sans rien espérer en retour et bénir ceux qui nous maudissent. « Votre récompense sera grande dans les cieux » ! Amen.