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Sunday 17 March - 2ème dimanche de Carême
Le miracle des roses
Par le père Ludovic Frère, recteurLe miracle des roses ! C’est donc l’événement dont nous fêtons aujourd’hui le 350e anniversaire. À la mi-mars de l’année 1669, Benoîte est gratifiée de ce miracle floral. Je ne résiste pas à vous en rapporter l’intégralité du récit, tel que l’offre l’Abbé Gaillard, premier recteur du sanctuaire :
« Des hommes proposent à Benoîte d’aller couper la vigne de sa mère. Elle les y accompagne. Après qu’elle leur a donné à boire, elle leur dit qu’elle allait prier Dieu à l’église de Notre-Dame de Valserres et qu’elle reviendrait bientôt pour leur donner à goûter. Sitôt qu’elle fut à l’église, la Mère de Dieu lui apparaît. Benoîte demeure ravie, en extase, toute la nuit. Le lendemain, revenue de son extase, la Sainte Vierge lui apparaît encore et lui remplit son tablier de roses fraîches venant du rosier. Elle lui dit d’en donner à ceux qui lui en demanderont. Elle en donne à ceux qui taillaient la vigne, qui furent grandement surpris de voir des roses dans un temps où les rosiers n’avaient pas encore poussé. Elles avaient un odeur très suave, délicieuse et extraordinaire, plus encore que les nôtres (…). Benoîte va au Laus, en donne aux prêtres et à ceux qui lui en demandent, en garde quinze dans son coffre : ce qui est évident et constamment vrai, puisque tout le monde en a eu et en a vu : les plus incrédules ne sauraient en douter[1]. »
Voilà pour ce récit. Nous percevons bien qu’il n’est pas au cœur des événements du Laus ; il y en a eu tant d’autres, souvent plus importants pour la vie de Benoîte et l’expérience spirituelle des pèlerins. Mais ce 350e anniversaire est justement une bonne occasion pour nous intéresser à ce petit événement et voir ce qu’il peut nous faire goûter dans notre marche de Carême. Je vous propose alors 2 grands chemins de méditation sur ce miracle ; des chemins qui ne vont pas nous éloigner de l’évangile de la Transfiguration, bien au contraire…
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Premier chemin de méditation : contempler la fantaisie de Dieu. Oui, il y a de la fantaisie dans le Seigneur ! Regardez la nature, la diversité des insectes et des plantes, des fleurs et des poissons… Dieu n’avait pas besoin de créer tant d’espèces. Mais dans sa fantaisie, le Seigneur a voulu l’hippocampe, l’ornithorynque et l’axolotl, la carambole et l’oiseau de paradis. Animaux, fruits, fleurs, et êtres humains… en tout ce qu’il crée, Dieu montre sa fantaisie artistique ! Respecter la Création, prendre soin de la diversité des espèces, c’est donc aussi respecter l’art de Dieu et glorifier l’Artiste éternel.
Mais cette fantaisie, le Seigneur l’exprime surtout dans son agir pour nous. Des roses en plein mois de mars ! Les ouvriers autour de Benoîte s’en étonnent. Mais la bergère sait certainement y reconnaître un témoignage d’amour du Seigneur et de la Vierge Marie. Car la fantaisie de cet amour qui fait fleurir des roses et les rend persistantes nous rappelle qu’il n’y a pas d’amour véritable sans folie fantaisiste !
Les couples mariés savent bien qu’un bouquet de fleurs fait toujours plaisir à l’épouse au jour de son anniversaire. Mais si chaque année, de manière systématique et exclusive, elle ne reçoit de fleurs qu’au jour de son anniversaire, le témoignage d’amour se transforme en mécanisme ; il perd son âme, sa beauté, sa fraîcheur. C’est vrai aussi dans notre relation à Dieu, dans nos prières et nos liturgies : tout ce qui se transforme en mécanisme perd sa beauté, même avec un esthétisme soigné.
Aimer, c’est offrir des fleurs ou un cadeau aussi à d’autres moments que ceux qui sont fixés. Par surprise, pour rien d’autre que pour dire « je t’aime » ! Ça, c’est vraiment de l’amour ! S’il n’y a pas de fantaisie dans l’amour ou l’amitié, les relations sont asphyxiées ; elles meurent à petit feu dans la routine de ne plus jamais surprendre.
Alors, peut-être ce Carême pourrait-il raviver en vous comme en moi une « âme fantaisiste », sortant des conventions et habitudes pour témoigner plus d’amour aux autres, avec inventivité et originalité ! Nous avons pour cela une grande éducatrice : la Vierge Marie. Elle s’y connaît en inventivité d’amour et en surprise pour réjouir ceux qu’elle aime. Il n’y a qu’à voir les nombreux sanctuaires que la Vierge a voulus, un peu partout dans le monde, au sommet des montagnes comme au pied des sources, au fond d’une forêt ou dans un vallon lumineux… Par ces lieux de grâce surprenants comme par quantité d’autres moyens souvent connus seulement du fond des cœurs de ceux qui se tournent vers Marie, la Mère de Dieu offre d’innombrables témoignages d’affection, avec toute sa fantaisie maternelle !
Peut-être ce Carême peut-il ainsi ouvrir davantage nos yeux à toutes les roses d’amour que le Seigneur et Marie nous offrent à tout moment. Ces grâces inattendues et parfois tellement surprenantes qu’on sait à peine les accueillir… comme Simon-Pierre sur la montagne de la Transfiguration, qui s’invente une vocation de campeur parce qu’il lui est difficile d’accepter la gratuité de ce moment d’amour lumineux. Il faut donc que des nuées, la voix du Père se fasse entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi : écoutez-le ! » Oui, contemplez et écoutez l’imprévisible amour divin, au lieu de vouloir le contrôler par des constructions humaines. Être disponible à l’inattendu de Dieu, c’est sans doute cela, vivre un bon Carême.
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Mais il y a peut-être autre chose à savoir découvrir dans le miracle des roses ; un deuxième chemin de méditation. Ceux qui accompagnent Benoîte sont surpris que des roses puissent fleurir à une époque où ça n’est pas la saison… voilà qui peut faire penser à un passage d’évangile qui nous parle aussi de fruits hors-saisons. C’est au chapitre 11 de saint Matthieu, qui rapporte, je cite : « Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, (Jésus) alla voir s’il y trouverait quelque chose ; mais, en s’approchant, il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas la saison des figues. Alors il dit au figuier : ‘Que jamais plus personne ne mange de tes fruits !’ » (Mt 11,13-14).
Ce comportement de Jésus surprend. Étonnante révélation : Dieu attend des fruits même quand ce n’est pas la saison ! Pourquoi, sinon parce que c’est Lui qui féconde nos vies et leur fait porter du fruit même quand nous nous pensons « hors saison ». À l’âge de la retraite, ou quand on traverse un désert spirituel, ou à l’heure d’une maladie… croyons que nos vies portent toujours une fécondité dans le Christ.
Pensez à ces magnifiques paroles chez le prophète Jérémie : « Béni soit l’homme qui met sa foi dans le Seigneur, dont le Seigneur est la confiance (…). Il ne craint pas une année de sècheresse, car elle ne l’empêche pas de porter du fruit » (Jer 17,7…8). Les fruits ou les fleurs ne viennent pas des bonnes dispositions de l’arbre ou du rosier ; ils viennent de la puissance de la grâce divine ! Puissance qui agit en nous, même quand nous sommes fatigués ou accablés.
Cette puissance, nous la laissons nous rejoindre quand nous acceptons d’arrêter de vouloir tout maîtriser. Il existe un moment privilégié pour en faire l’expérience, c’est la prière. L’événement de la Transfiguration commence d’ailleurs ainsi : « Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il gravit la montagne pour prier. » L’objectif est clairement annoncé : c’est « pour prier ». De même Benoîte à l’église de Valserres. Elle y prie toute la nuit, et c’est ensuite qu’elle reçoit les magnifiques roses.
Ainsi pour toutes nos prières, pour tous ces moments que nous rendons au Seigneur : c’est alors que la lumière d’En-Haut peut nous rejoindre et la bonne odeur du Ciel nous embaumer. L’objectif de la prière n’est pas de ressentir quelque chose, mais de vouloir s’abandonner dans les mains de Dieu. Alors, notre esprit et notre âme perçoivent sa présence comme des roses qui sentent bon. Peut-être pourriez-vous donc, au cours de ce Carême, consacrer davantage de temps à la prière afin que le Seigneur vous imprègne de ses parfums.
Mais jamais la prière comme un en-soi, car jamais elle ne se suffit à elle-même. Regardez le contexte du miracle des roses : il y a d’abord la générosité de ces hommes qui veulent rendre service à Benoîte en taillant la vigne de sa mère. Puis il y a les petites attentions de la bergère, qui donne à boire à ces hommes et qui projette de leur offrir à goûter. On est bien dans un contexte de soin apporté aux autres. C’est ce contexte, porté par la prière, qui conduit au miracle des roses. Oui, des roses fleurissent quand on renonce à soi pour se préoccuper des autres. A vivre tourné vers soi, notre vie sent le renfermé ; à s’ouvrir aux autres, elle sent bon, d’un parfum qui réjouit et console tout autour de nous !
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Mais en notre sanctuaire, qui dit « parfums », dit « grâce des bonnes odeurs du Laus » : depuis plus de 350 ans, certains pèlerins reçoivent de grandes consolations et de forts encouragements par ces bonnes odeurs. Des grâces incontestables et insaisissables à la fois, qui résument un peu tout ce que ce miracle des roses nous invite à découvrir : la fantaisie de Dieu et la délicatesse de Marie, l’agir divin à tout instant, la fécondité de la prière et la bonne odeur des bonnes actions.
Les roses de Benoîte, qui garderont une persistance inégalée, sont alors comme un rappel de la présence du Ciel à nos côtés, qui nous rejoint sans cesse pour nous réjouir, nous imprégner de ses parfums et nous changer en sa bonne odeur. Nous percevons alors, à travers les ombres et les lumières de l’existence, et même à travers l’obscurité de la croix, la vie nouvelle qui sent bon le paradis et qui transfigure déjà notre vie quotidienne. Amen.
[1] Manuscrits du Laus, CA G. p. 49 I [95] – année 1669