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Sunday 9 July - 14ème dimanche du Temps Ordinaire
Le joug contre le fardeau de nos vies
Par le père Ludovic Frère, recteur« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau…
prenez sur vous mon joug ».
Le fardeau de nos vies contre le joug du Christ : c’est l’échange auquel le Seigneur nous appelle aujourd’hui. Un échange surprenant, dérangeant peut-être ; car sans doute nos prières visent-elles le plus souvent à demander au Seigneur d’alléger nos fardeaux, mais pas de les échanger contre son joug. Si l’on se libère d’un poids, ce n’est pas pour en prendre un autre ! Laisser notre fardeau au Christ pour prendre son joug... sommes-nous vraiment gagnants à un tel échange ? C’est une question importante, car elle nous interroge sur l’utilité de suivre le Christ : est-ce que ça en vaut vraiment la peine, est-ce que ce n’est pas trop cher payé ?
Mais comprenons bien ce dont il s’agit : notre fardeau contre son joug. Or, à l’origine, le fardeau et le joug sont deux objets dont on charge les animaux : le fardeau est un coffre porté par l’animal sur chacun de ses flancs ; la charge doit être parfaitement équilibrée pour ne pas basculer d’un côté ou de l’autre. Quant au joug, c’est une pièce de bois placée autour de la tête, qui sert à atteler une paire d’animaux de trait.
Et voilà Jésus qui nous appelle à Lui laisser nos fardeaux pour prendre son joug : laisser ce qui charge nos épaules pour prendre avec Lui le joug qui permet de travailler la terre.
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Il s’agit donc, dans un premier temps, de Lui abandonner nos fardeaux ; ces poids qui pèsent terriblement sur nos épaules et qui nous déséquilibrent souvent dans la vie. Si Jésus nous encourage à Lui abandonner nos fardeaux, c’est que nous ne le faisons sans doute pas assez spontanément.
Oh oui, dans nos prières, nous Lui présentons nos fardeaux, nous L’informons de ce qui nous pèse, nous nous plaignons parfois de ce qui est trop lourd, et c’est bien compréhensible. Mais est-ce que nous abandonnons vraiment nos fardeaux au Seigneur ?
Quand on abandonne quelque chose, on n’en est plus propriétaire, on ne le maîtrise plus. Or, si Jésus doit nous appeler à Lui abandonner nos fardeaux, c’est qu’il y a sans doute en nous une forme de résistance à le faire : fardeaux des soucis du présent et des peurs de l’avenir ; fardeaux d’une situation familiale difficile ou d’une santé défaillante… tout cela nous pèse, bien entendu. Mais à l’idée de l’abandonner à Dieu, on craint sans doute de ne plus assez maîtriser les choses… Ou de ne plus pouvoir en faire les raisons de nos complaintes permanentes, peut-être.
« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau », dit Jésus.
D’une certaine manière, en montant jusqu’au Laus pour un séjour, un pèlerinage ou une messe, vous avez déjà répondu à l’appel du Seigneur : « Venez à moi ». Vous avez bougé, vous vous êtes déplacés dans l’espoir, certainement, de vous approcher du Christ et de Lui confier quelque chose, par la Vierge du Laus.
Et vous voilà en ce sanctuaire, où même la géographie des lieux invite à déposer nos fardeaux. Une falaise entoure le hameau du Laus et embrasse le sanctuaire. On se sent protégé dans ce lieu ; et il n’est pas étonnant qu’on y invoque la Vierge Marie comme « refuge des pécheurs ». Nous nous réfugions au Laus, comme on le fait dans un refuge de montagne lors d’une grande randonnée, ou quand survient un violent orage. « Venez à moi, vous tous qui peinez… et vous trouverez (ici) le repos ».
La chapelle des apparitions, au chœur de la basilique, est alors un lieu privilégié pour déposer nos fardeaux. Benoîte nous y aide ; la Vierge Marie prend ce qui nous pèse et le dépose dans le cœur de son divin Fils. Mais quand on l’a déposé, on ne doit pas le reprendre. « Donner, c’est donner ; reprendre c’est volé », disait-on à mon époque dans les cours de récréation. Quand on a donné au Seigneur notre fardeau, on ne doit pas le reprendre.
Facile à dire, pensez-vous peut-être ! Mais essayez vraiment de déposer ici votre fardeau, aux pieds du Seigneur, en lui disant : « je Te le laisse, parce que c’est Toi qui le me demande et que Tu peux m’en libérer, et que Tu VEUX m’en libérer ». Et repartez ensuite, sans votre fardeau, car il sera resté dans les mains du Seigneur, mystérieusement transformé par Lui en puissance de vie.
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Oui, car le mouvement ne s’arrête pas quand notre fardeau est déposé. Jésus ne nous propose pas uniquement de nous décharger sur Lui, mais d’échanger notre fardeau contre son joug.
Alors, un pèlerinage, un séjour, un passage dans un sanctuaire comme le Laus n’est pas seulement l’occasion d’y déposer un fardeau ; c’est aussi le lieu et le moment favorables pour entrer davantage dans cet échange mystérieux : nos fardeaux contre le joug du Christ.
« Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples ».
Le joug, cette pièce de bois que le Christ a Lui-même portée… on aura bien sûr reconnu sa croix ! Oui, le joug que Jésus nous appelle à porter en échange de nos fardeaux, c’est sa croix. Porter le joug du Christ, c’est donc nous unir à sa croix, comme mystère d’offrande, mystère de traversée des ténèbres à la lumière, mystère de la victoire de la vie sous l’apparence d’un échec, mystère incompris par le monde et qui pourtant sauve le monde.
On ne peut donc venir dans un sanctuaire marial sans laisser la Vierge Marie nous conduire plus profondément au mystère de la croix. C’est d’autant plus évident au sanctuaire du Laus, que Benoîte a fait l’expérience, déstabilisante mais très utile, de la contemplation du Christ en sa passion. À l’entrée du hameau se dressait une croix de bois ; à l’automne 1669, Benoîte se sent poussée à aller y prier. Elle y rencontre Jésus, se présentant à elle tel qu’il était au jour de sa crucifixion. Benoîte en est bouleversée.
Mais c’est à la 3e apparition du crucifié, en 1674, que la vie de la servante du Laus va pour ainsi dire basculer. Oui, 10 ans après les premières apparitions, la vie de Benoîte prend un tournant décisif. Voici l’événement que rapportent les Manuscrits :
« Benoîte, sentant une bonne odeur dans sa chambre, est inspirée d’aller à la croix. Elle y voit Jésus, attaché et tout sanglant comme il était au calvaire. Un ange était au pied de la croix, qui lui dit : "Voilà ce qu’a souffert votre Seigneur et le mien ! Ne voudriez-vous pas souffrir pour l’amour de Lui ?" » (CA G. p. 86 VI [132] – année 1674).
Benoîte va accepter ce joug, cette union au don inestimable et inégalable que le Christ a fait en sa Passion. Elle consent à y confier tout ce qu’elle est. Elle le fait après 10 ans d’apparitions mariales, car seule la Vierge Marie, restée debout au pied de la croix, avait perçu le mystère de la dimension positive de la croix. Alors, pour nous aussi : si l’on est seulement guidé par l’esprit du monde, la croix ne peut que rebuter. Mais si l’on se laisse guider par l’Esprit Saint, l’Esprit même qui est venu reposer en Marie, alors on est capable de consentir au mystère de la mort à soi-même. C’est pourquoi Jésus ose appeler « léger » ce joug qu’il nous demande de porter, le joug de sa croix qui permet de labourer la terre pour porter un fruit nouveau et éternel.
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Au final, on peut dire que le projet du Christ sur chacune de nos vies, de nos familles, de notre Église, consiste essentiellement en ceci :
- il nous demande de Lui abandonner nos fardeaux : pas seulement de les Lui présenter ni de nous en plaindre devant Lui, mais de vraiment les Lui a-ban-don-ner !
- Et, en échange, prendre son joug ; nous charger avec Lui de la croix qui laboure le monde pour permettre une moisson abondante et éternelle.
Son joug contre nos fardeaux : Êtes-vous donc preneurs d’un tel échange ? Un échange merveilleux où nous n’avons rien à perdre, puisque c’est le Seigneur qui a tout perdu pour nous gagner à Lui. Un échange tel que saint Paul l’exprime dans la 2e lettre aux Corinthiens : « Vous connaissez le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8,9). N’ayons donc pas peur, frères et sœurs, et croyons-le vraiment : son joug, sa croix, c’est notre vraie richesse ! Amen.