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Sunday 9 August - 19e dimanche du temps ordinaire
Le goût de la vie
Par le père Ludovic FrèrePerdre goût à la vie, c’est sans doute le plus grand drame de l’existence. Même des croyants n’en sont certainement pas dispensés. Voyez aujourd’hui le prophète Elie : il a cherché à défendre la vérité, s’attirant les foudres de la reine Jézabel. Il est maintenant lassé de sa vie de combat. Le voilà alors qui se met à prier en ces termes : « Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie ».
Il y a des gens qui ont spontanément, plus que d’autres, goût à la vie. Il y en a pour lesquels la vie a surtout le goût de l’angoisse, des difficultés, avec le désir parfois d’en finir, quand l’avancée en âge rend chaque mouvement pénible, ou quand le poids des épreuves rend chaque pensée douloureuse. Un deuil trop lourd, des difficultés matérielles, des problèmes relationnels, et voilà la vie qui devient comme un ennemi dont on voudrait se séparer. « Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie ».
L’expérience d’Elie rejoint tous ceux qui n’ont plus goût à la vie et qui se nourrissent parfois d’antidépresseurs, faute de pouvoir trouver un sens profond à l’existence et une joie réelle à embrasser le quotidien. Nous pourrions d’ailleurs porter davantage dans nos prières tous ceux qui ont perdu le goût de la vie et qui, comme le prophète Elie, aspirent juste à s’endormir pour que l’existence passe au plus vite et que la mort ne tarde plus.
Le dégoût de la vie peut aussi être un dégoût de soi-même ; et là, l’esprit démoniaque n’est peut-être parfois pas loin, comme Benoîte l’a réellement perçu en ce sanctuaire. Un jour de l’année 1670, elle voit un homme, qui s’était bien confessé ; mais voilà, nous disent les Manuscrits du Laus : « le démon lui donna des pensées de désespoir, lui disant qu’il ne verrait jamais Dieu parce qu’il avait commis des crimes trop abominables » (CA G. p. 60 VIII [106]). Subtile manigance de l’Esprit mauvais, qui cherche à cultiver une culpabilité morbide et peut faire douter de la puissance infinie de la miséricorde du Seigneur ! Près de 20 fois, dans l’histoire des apparitions au Laus, il est question de cet esprit démoniaque, qui cherche à faire désespérer Benoîte ou les pèlerins, afin qu’ils n’aient plus goût ni à la vie, ni à la miséricorde divine.
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Mais voilà que du sommeil de nos refus de vivre, le Seigneur vient nous réveiller. Voyez le prophète Elie, symbole ici de tous les désespérés du monde : il est dérangé par un ange, qui le réveille et lui dit : « lève-toi et mange ! » Un ventre vide a rarement le moral, l’ange le sait bien…. quoiqu’il n’ait lui-même pas de ventre ! Mais plus encore : le messager du Seigneur appelle Elie à remédier à son dégoût de la vie en recevant la nourriture que Dieu lui donne : « lève-toi et mange ! »
Cet épisode du premier livre des Rois se présente alors comme une belle annonce du mystère de l’Eucharistie : quand nous nous laissons aller à écouter les voix du découragement ou du désespoir, qui veulent étouffer en nous l’élan de vie, le Seigneur nous rejoint et nous dit : « lève-toi et mange ! »
L’Eucharistie est le grand remède à tous nos coups de blues et à nos graves désespoirs. Non pas qu’il faille manquer de traiter thérapeuthiquement un trouble psychologique de perte de goût à la vie ; mais pour trouver la plénitude du goût de l’existence, il faut répondre à l’appel du Seigneur : « lève-toi et mange ! »
« Lève-toi », le Christ nous l’a dit ce matin. Il nous a fait nous bouger – avec, de notre part, plus ou moins d’enthousiasme - pour venir participer à cette Eucharistie. Mais nous nous sommes levés et nous voilà ! Maintenant, le Seigneur nous dit : « mange ». Je te donne la nourriture qui est remède à tous les découragements et à tous les désespoirs, parce que cette nourriture n’est pas qu’un aliment redonnant des forces pour un temps : « le pain que je donnerai, dit Jésus, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde » (Jn 6,51).
Nous communions au corps et au sang de Jésus ; nous communions à sa victoire pascale sur toutes les forces de ténèbres. Nous ne mangeons pas le corps d’un mort, comme on le fait souvent d’aliments de la création ; nous mangeons le corps du Ressuscité, qui balaye d’un seul coup de Présence toutes les tentations de désespérer de la vie. Nous communions au bonheur éternel, comme un avant-goût de ce qui nous attend au Ciel. Nous communions à Jésus qui nous veut vivants, ici et maintenant !
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Mais l’Eucharistie ne s’arrête pas encore là : habités de Celui qui est le goût de la vie en personne, nous recevons alors la mission de donner goût à la vie des autres. Et l’on entendra Jésus nous dire clairement : « vous êtes le sel de la terre ! »
Un chrétien doit donner du goût à la vie des autres. Est-ce que nous y veillons vraiment en couple, en famille, dans nos communautés chrétiennes, dans nos villages et nos quartiers ? Est-ce qu’il apparaît clairement que les chrétiens donnent goût à la vie des autres ? Est-ce bien notre marque de fabrique, notre « AOC » évidente pour tous, même pour ceux qui n’adhèrent pas à la foi au Christ ?
Saint Paul connaît certainement ces interrogations, et le voilà qui pointe, dans la deuxième lecture de ce dimanche, tout ce qui peut être contre-témoignage à la vie et faire perdre du goût à la vie des autres : « amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insultes ». L’apôtre conclut alors sans détour : « tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté ».
Recevant le corps du Christ, qui retire l’amertume à toute l’existence, nous ne pouvons tout simplement plus distiller d’amertume ou de colère autour de nous. Ça devrait nous être impossible, tellement c’est incohérent avec l’Eucharistie à laquelle nous nous unissons, soit en communiant, soit en désirant pour ceux qui sont empêchés de communier, soit en adorant.
Car nous nous unissons alors à Celui qui est la Vie pour donner la vie aux autres. Nous recevons Celui est visage de la miséricorde du Père pour relever ceux qui sont blessés au bord des chemins. Nous adorons Celui qui est la grande espérance, pour apporter au monde sens et désir de vivre. Nous accueillons Celui qui est la paix, pour consoler les affligés et rassurer les inquiets. Voilà pourquoi nous communions et adorons : pour donner le Christ, puissance de vie, et non pour participer au concert de l’amertume permanente de la vie du monde.
« Le pain qui descend du Ciel, dit Jésus de lui-même, est tel que celui qui en mange ne mourra pas ». Cette promesse d’immortalité n’est pas qu’à attendre pour « après » ; elle est à recevoir maintenant comme une nouvelle qualité de vie, un nouveau goût de vivre. Alors, désirons plus encore aujourd’hui la présence eucharistique du Seigneur, pour renverser les paroles du prophète Elie. Non plus : « Seigneur, reprends ma vie ». Mais : « Seigneur, j’aime la vie, la vie qui vient de Toi, la vie dont tu me nourris sans fin ». Amen.