Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 11 December - 3e dimanche de l'Avent - Dimanche du GAUDETE
Le cerf bondissant !
Par le père Ludovic Frère, recteurNous continuons aujourd’hui à composer notre "bestiaire de l’Avent" pour accompagner le bœuf, l’âne et les moutons qui ornent sans doute déjà nos crèches.
- Après la tentation de la marmotte, soulignée au 1er dimanche de l’Avent quand saint Paul nous disait : « l’heure est déjà venue de sortir de votre sommeil » ;
- Après la promesse d’une Création intégralement restaurée, lorsqu’Isaïe annonçait dimanche dernier que « le loup habitera avec l’agneau » ;
- Voici aujourd’hui la prophétie du cervidé, toujours chez Isaïe : « Le boiteux bondira comme un cerf ». Nous avons donc un nouvel animal à ajouter dans nos crèches : le cerf, et plus précisément : un cerf bondissant !
Vous connaissez d’ailleurs certainement ce panneau de signalisation, qui avertit l’automobiliste de la possible traversée d’animaux sauvages. On y voit, dans un triangle bordé de rouge, un magnifique cerf en train de bondir… et l’on espère que ça ne sera pas pour atterrir sur notre véhicule ! Mais il serait peut-être nécessaire que de tels panneaux soient également installés devant chaque église : tous seraient alors prévenus qu’en sortant de la messe, nous sommes des cerfs bondissants !
Oui, bondissants, parce que s’accomplit en nous la promesse d’Isaïe : « le boiteux bondira comme un cerf ». Cette promesse est même déployée par le Christ, qui en fait la preuve à apporter à son cousin Jean-Baptiste, dans la prison où on l’a enfermé : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. »
À chaque rencontre avec le Sauveur, à chaque écoute de sa Parole, à chaque communion à sa Présence, à chaque fois qu’il est là parce que nous sommes réunis en son nom, le Christ réalise vraiment toutes ces merveilles ! Alors, allons-y : installons le fameux panneau devant chacune de nos églises, mais aussi devant chaque maison de chrétiens, pour prévenir tout passant : attention, il y a ici des cerfs bondissants ! Si jamais vous en croisez, ça peut vous bousculer !
Nos amis de la communauté de l’Emmanuel, présents parmi nous ce matin, expriment souvent par leurs chants joyeux et leurs gestes évocateurs cette vocation que nous portons tous depuis notre baptême : nous avons la mission de bondir de joie pour le monde ! Peu importe que ça se manifeste par des gestes extérieurs ou dans le secret d’un cœur aimant : l’essentiel, c’est de répondre à notre vocation à bondir de joie !
Nous le faisons non seulement dans le monde, mais aussi pour le monde : pour que toute la Création ne perde jamais cet élan vital qui l’habite et que chantent souvent les psaumes : « Les collines débordent d'allégresse... Tout exulte et chante ! », dit le psaume 64. « Les arbres des forêts dansent de joie devant la face du Seigneur, car il vient pour juger la terre », chante le psaume 95. « Que les fleuves battent des mains, que les montagnes poussent des cris de joie », renchérit le psaume 98.
Ces chants de joie de toute la Création pour son Seigneur n’ont pas encore rejoint l’ensemble de l’humanité. Nous nous en désolons, et il est pour nous souvent difficile de sentir que la joie du Christ n’est pas désirée. Nous en subissons les conséquences, vous le savez très bien, en souffrant d’être si peu compris et si peu aimés parce que nous sommes « cathos ». Mais « la joie du Seigneur est notre rempart » dit le prophète Néhémie (Ne 8,10) ! Il n’y a pas de quoi rougir à bondir comme un cerf dans un monde qui propose des joies bien ternes et éphémères ! Le panneau triangulaire invite d’ailleurs à faire attention… de fait, ils sont nombreux à se méfier de la joie chrétienne, parce qu’ils perçoivent peut-être qu’elle est plus forte que tout, et qu’elle vient tout bousculer !
*****
La joie chrétienne n’attend donc pas toutes les circonstances de paix intérieure, de bonne santé ou de relations humaines paisibles pour se vivre et se dire. Je sais bien qu’il est délicat de parler de joie devant une assemblée dans laquelle certains s’inquiètent légitimement de soucis de santé, d’emploi ou de famille, tandis que d’autres portent un deuil douloureux. La joie chrétienne n’est pas un palliatif aux souffrances, pour les oublier un moment, pas plus qu’elle n’est le fruit des circonstances favorables d’une existence.
Pour nous le faire comprendre, le Seigneur nous donne une indication importante par la bouche de son prophète. Il précise que le cerf bondissant de joie, ce n’est pas l’athlète entraîné, c’est le boiteux. Bondir de joie ne dépend donc pas de nos forces physiques ou des circonstances de nos vies ; c’est un don de Dieu, un fruit de sa présence parmi nous.
Alors, pour bondir de joie comme un cerf, peut-être faut-il d’abord se reconnaître boiteux. Oui, boiteux, nous le sommes ; qui pourrait prétendre le contraire ? Nous formons une procession de boiteux… Mais voici notre Sauveur qui vient : pas seulement pour mettre en lumière nos contradictions, qui nous font si lamentablement boiter dans la vie ; il vient nous en sauver ! Alors, levons nos yeux de boiteux pour voir le Sauveur qui vient : sa lumière pointe à l’horizon, le jour va bientôt se lever ; regardez, le ciel est déjà rose, promesse d’un soleil radieux ! Bondissez de joie ! C’est le commandement qui nous est donné aujourd’hui : bondissez maintenant et votre vie trouvera un sens nouveau, une profondeur nouvelle, un goût nouveau : le vrai goût de la joie divine !
Le chrétien vit de ces bondissements, qui prennent de l’énergie, c’est certain, et qui placent dans une forme de déséquilibre : on est plus solide sur ses jambes quand on reste campé au sol, immobile, sans risque de chute. Mais Jésus nous appelle à bondir de joie ; il en fait même la condition paradoxale pour ne pas chuter, puisqu’il termine son message adressé à Jean-Baptiste par cette béatitude : « Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » La chute n’est pas risquée par nos bondissements de joie, mais au contraire par nos retenues à oser bondir dans le Seigneur !
C’est donc bien clair : notre première mission de chrétiens, c’est de bondir de joie. Mais nous voici alors profondément interrogés : frères et sœurs, qu’est-ce qui vous fait le plus bondir de joie dans la vie ? Une victoire de votre équipe sportive favorite ? Une augmentation de salaire, peut-être ? Une nouvelle voiture flambant neuve ? L’ouverture des soldes ?... Qu’est-ce qui vous fait exulter d’allégresse ? La naissance d’un enfant, des résultats d’examens médicaux rassurants, ou ces simples mots « je t’aime » susurrés à votre oreille ? Ou un temps d’adoration, un chant de louange, un servir à offrir ? Qu’est-ce qui fait vraiment votre joie ?
Je doute que le temps de cette homélie soit suffisant pour que vous puissiez répondre à cette question… vous seriez surtout un peu trop distrait pour la suite… Je me permets alors de vous encourager à prendre au moins une demi-heure au cours de ce dimanche pour vous arrêter - pourquoi pas devant la crèche ? ; une demi-heure pour discerner ce qui a été pour vous source de joie au cours de cette semaine, ou du mois dernier, ou de l’année qui s’achève. Sans cette méditation essentielle, vous risquez bien de passer en grande partie à côté de la vraie joie de Noël.
*****
Car c’est peut-être d’abord devant nos crèches qu’il faut installer notre panneau de signalisation : attention, cerf bondissant ! Ainsi, les bergers et les mages seront prévenus quand ils approcheront, guidés par les chants joyeux des anges : prévenus qu’ils arrivent ici devant Jésus, le grand "cerf bondissant" qui a pris chair. Oui, le cœur de Jésus bondira d’allégresse devant son Père : « Je te rends grâce, car ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits ». Mais Jésus bondira avec autant de force pour sauver la femme adultère déjà condamnée par ses juges ou l’aveugle perdu dans sa solitude désespérante.
Puisque nous sommes les membres du Corps du Christ, quand il bondit, nous bondissons aussi : le Corps entier bondit d’un même élan, à la fois dans l’action de grâce pour louer le Père mais aussi dans le souci de faire miséricorde. Sans ce deuxième élan, notre joie sera toujours liée à une forme d’aveuglement sur les réalités du monde : comment se réjouir quand tant d’hommes et de femmes sont dans d’innombrables souffrances ? Mais la joie chrétienne est lucide et active ; alors bondissons au secours de toute détresse, dès qu’elle paraît sous nos yeux ! Au terme de l’année de la miséricorde, le pape François nous a d’ailleurs demandé - je le cite - de participer à une « véritable révolution culturelle, précisément à partir de la simplicité des gestes qui savent rejoindre le corps et l’esprit ». Une révolution culturelle, et sans doute d’abord intérieure, pour bondir au secours de toute détresse humaine. Ainsi, le boiteux rejoint par notre geste de charité retrouvera des forces. Il pourra bondir en voyant poindre à l’horizon la lumière du Christ qui vient le sauver ! Jésus deviendra sa joie comme il est la nôtre !
Maranatha, viens Seigneur Jésus !