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Sunday 12 March - 2ème dimanche de Carême
Le 2 versants d'une même montagne
Par le père Ludovic FrèreUne montagne a deux versants : l’adret et l’ubac. L’adret est le plus ensoleillé ; on l’appelle le versant Sud. L’ubac est davantage dans l’ombre. Mais tous deux ne forment qu’une seule montagne, dont la beauté et la vie tiennent à la complémentarité de ses versants.
Pareillement, les tentations au désert et la transfiguration du Christ sont les deux versants d’une même révélation. L’Église nous les offre chaque année aux 1er et 2e dimanche de Carême : un versant dans l’ombre, les tentations démoniaques ; un versant dans la lumière, la transfiguration.
Tentations au désert et transfiguration : ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! L’Église nous présente ces deux évangiles comme une seule annonce à deux versants, nous préparant ainsi à ce qui viendra conclure le temps du Carême : l’obscurité du tombeau et lumière de Pâques.
Le Carême nous est ainsi révélé comme une ascension, qui fait nécessairement passer par ces deux versants. Dans l’ombre : notre combat contre les tentations, notre désir de conversion, nos pénitences et nos larmes de repentir. Dans la lumière : la préparation aux joies pascales, le désir de faire triompher la vie et d’être en communion les uns avec les autres. Ces deux versants sont nécessaires à un Carême en vérité.
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Dans nos existences, comme souvent dans une marche en montagne, on passe également d’un versant à l’autre : des moments obscurs, où l’on ne voit plus très loin ; et des passages lumineux, qui éclairent notre chemin. Dans la foi aussi, on peut avoir des moments de clarté, où tout est évident ; comme on peut traverser des temps plus sombres, où l’on n’y voit plus vraiment clair.
Mais tenons bon dans les moments d’obscurité, car nous savons que nous sommes faits pour la lumière ! Et quand nous sommes sur un versant lumineux de l’existence, n’espérons pas, comme le voudrait Simon Pierre, dresser des tentes pour figer les beaux moments : nous savons qu’il faut continuer à marcher sur la montagne, avec ses versants Sud et Nord, ses chaleurs et ses ombres, jusqu’au sommet éternel qui nous est promis.
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Mais dans cette existence de chaque jour, où nous sommes tantôt côté adret, tantôt côté ubac, sans cesse, un moment de nos vies nous ramène à la lumière. C’est l’Eucharistie.
Oui, à chaque fois, nous sommes comme Pierre, Jacques et Jean : invités par le Christ – quel privilège ! –, nous Le voyons nous emmener « à l’écart, sur une haute montagne ». Qu’on célèbre la messe au fond d’une vallée, sur un plateau ou sur un sommet, c’est toujours une élévation formidable. Le terme a d’ailleurs été choisi pour ce moment particulier après la consécration de chacune des espèces : « l’élévation » du Corps du Christ puis de la coupe contenant son Sang.
Ainsi, au sommet de l’existence humaine, le Christ se manifeste à nous dans toute sa lumière. Si, regardez bien : ne voyez-vous pas d’abord Elie et Moïse, qui viennent entourer Jésus ? Là, sur l’Autel, deux cierges allumés, qui semblent nous dire : « Ne regardez pas vers nous, mais regardez celui que nous entourons ». Ces deux cierges, Elie et Moïse, concentrent notre attention sur Celui qui vient se manifester, dans toute sa lumière, au centre de l’Autel.
Dans quelques instants, nous Le verrons, lumineux dans la blanche hostie. « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ». Le Père nous parlera alors au cœur, comme il le fit auprès des trois témoins de la Transfiguration : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie ; écoutez-le ! »
Ah, si nous percevions à chaque Eucharistie combien nous recevons autant – et même davantage - que Pierre, Jacques et Jean, nous ne serions pas aussi distraits, ni aussi soucieux des choses secondaires ! Comme les trois disciples, devant la révélation d’un tel mystère, nous devrions tomber « face contre terre » et être « saisis de crainte », car le Dieu Saint rejoint nos vies de pauvres pécheurs.
Mais Le voilà qui vient vers nous : « Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : "relevez-vous et soyez sans crainte" ». Parce qu’Il nous touche et nous relève, nous pouvons Le recevoir, Présence réelle qui vient visiter nos corps et transfigurer nos cœurs. Sans crainte et sans cette satané culpabilité qui nous renferme souvent sur nous-mêmes, nous présentons alors nos mains, ou nous ouvrons la bouche ; Et le voilà qui se donne, lumière au plus intime. « Le Corps du Christ ! Amen ! »
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Il se passe vraiment tout cela dans le mystère de la messe ! Et à chaque fois aussi, Jésus nous raccompagne, pour redescendre de la montagne. On reprend alors la vie quotidienne, pour une nouvelle semaine, qui sera sans doute encore faite d’ombres et de lumières, d’adrets et d’ubacs.
Mais en fait, si l’on peut dire, à chaque fois, plus rien n’est pareil : le Ressuscité envahit nos corps et nos âmes ! Sa Présence nous unit en un seul corps : « devenez ce que vous recevez ! » Comme Pierre, Jacques et Jean, même si nous n’en avons pas totalement bien conscience, nos vies sont transfigurées par la lumineuse présence du Christ ressuscité !
Cette révélation n’empêchera pas Simon Pierre de renier son ami, ni Jacques de se cacher comme les autres au jour de la Passion. Seul Jean restera au pied de la croix, avec Marie et les autres femmes, sans doute parce que la veille, il avait penché son oreille sur le cœur de Jésus. Mais tous les trois, Pierre, Jacques et Jean, une fois remplis de l’Esprit Saint, deviendront d’infatigables missionnaires. Ils écriront des lettres de feu aux Eglises naissantes et donneront leur vie pour Celui qui ne cesse de leur donner la Sienne.
L’Eucharistie nous transforme tous pareillement, non pas en héros - car nous restons capables de renier et de nous cacher - ; mais par le don de l’Esprit Saint, l’Eucharistie nous transforme pourtant bien tous en missionnaires qui, une fois redescendus de la montagne eucharistique, vont répandre la lumière du Sauveur dans le monde.
Repartez donc de cette messe avec le désir d’offrir la lumière du Christ ! Vous pourrez ainsi, par l’oeuvre de la grâce, vraiment transfigurer la vie des autres au cours de cette semaine. Vous pourrez illuminer le cœur d’un proche malade ou désespéré. Vous pourrez éclairer la conscience de notre monde sur les grands enjeux de la vie. Vous pourrez continuer cette marche de Carême, avec entrain, sans vous fatiguer en route.
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Tout cela, nous le vivons à travers ombres et lumières, avec l’aide d’une Mère, la Vierge Marie. Elle n’était pas là au jour de la Transfiguration. Mais sans doute n’avait-elle pas besoin d’une telle manifestation, car elle savait que son enfant chéri était bien le Verbe fait chair. Pas nécessaire pour elle qu’une manifestation lumineuse atteste de l’identité de son Fils.
Mais pour nous, désormais, elle reflète cette lumière divine, au point qu’on compare parfois Marie à la lune : elle ne produit pas le soleil, mais elle en reçoit la lumière pour éclairer la nuit. En ce béni sanctuaire, Benoîte Rencurel en eut une vive perception. Elle disait qu’elle voyait toujours la Belle Dame : « de la même façon : de ses habits et de son visage sortent tant de lumière qu’elle n’en a jamais pu bien remarquer les traits » (CA P. p. 385 [431]).
Comme la Vierge Marie, laissons passer à travers nous la lumière d’En-Haut, dans notre monde où l’ubac semble si souvent l’emporter sur l’adret. Reflétons par toute notre vie la lumière de la résurrection, qui vient tout transfigurer. Et surtout, refusons de baisser les bras, de croire que l’obscurité est plus forte que la lumière, que tout va mal et qu’on n’y peut rien. Sur la montagne du Golgotha, l’obscurité a gagné les deux versants ; on a pu croire alors qu’il n’y avait plus que l’ubac d’une vie plongée dans le deuil. Mais la lumière d’une aurore nouvelle jaillit au troisième jour. Elle illumine à jamais tous les versants de notre existence et du monde. Victoire de la lumière, victoire de la vie ! « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Amen.