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Thursday 13 April - Homélie du Jeudi Saint par le père Jean-Dominique DUBOIS, ofm, chapelain du Laus
L’amour jusqu’à l’extrême
Par père Jean-Dominique DUBOIS, ofm, chapelain du LausL’heure à laquelle aucun humain n’échappe c’est l’heure de la mort.
Créé pour la mort. Avant qu’elle ne se convertisse, Madeleine Delbrêl, laïque chrétienne, témoignera de sa révolte en face du mur qu’est la mort. Si nous ne sommes nés que pour être de la chair à canon, dira-t-elle, la vie est absurde. De fait nous serons tous un jour des défunts, c’est-à-dire des « sans fonction ». Alors pourquoi nous accrochons-nous si fort à toutes nos fonctions comme à nos personnes si c’est pour les perdre un jour définitivement ? Pourquoi tant de guerres pour nos territoires de vie, pourquoi tant de courses aux honneurs et aux médailles dans le monde civil autant que religieux, puisque nous finirons tous en poussière. Les suivants se partageront le butin, souvent avec force dispute, oubliant parfois jusqu’à notre nom ou notre action réalisée en ces admirables fonctions.
Madeleine Delbrêl a rencontré Jésus, la Vie véritable. Parmi les gens des rues, en plein monde communiste, elle va chanter le bal de l’obéissance, le bal de l’amour. A ce bal, ce sont les saints qui dansent, les seuls véritables vivants, qui, à travers leurs fonctions nommées talents ou charismes, jouent le bal de l’Amour et de la liberté reçue de Dieu en Jésus Christ.
Derrière notre cercueil il n’y aura nul coffre fort, nul camion de déménagement. Même les éloges funèbres s’en iront en fumée, d’autant plus qu’ils peuvent, hypocritement, ne pas oser dire en public nos misères, réelles ou prétendues, après les avoir fait courir sournoisement dans les couloirs de l’information. Perdus comme l’écume des vagues sur le sable de l’indifférence des foules anonymes, mêmes les plus beaux éloges ne font pas les saints. Le temps et l’oubli feront leur œuvre. Seul l’Amour véritable vécu selon les talents de chacun demeure. Des hommes et des femmes, ceux que nous aurons aimés pour eux-mêmes de toute la vérité de notre cœur, garderont seuls le souvenir de notre amour et vivront à leur tour de leur amour à eux selon leur propre génie.
Ici les ossements de Benoîte font plus de merveilles que tous les discours. Elle, la petite bergère du Laus, elle a aimé à l’école de Marie. Elle a aimé Jésus Eucharistie, Jésus qu’elle a vu souffrir pour nous par amour. Sa maison pauvre et sa misérable tombe sur laquelle nous marchons quotidiennement, nous pauvres prêtres et pauvres pèlerins, tous ces restes misérables parlent plus fort que les discours, plus fort que les œuvres les plus claironnantes, que les monuments les plus éclatants. Tout à l’école de Benoîte est à taille humaine pour dire que Dieu est communion d’amour, Dieu est famille qui nous veut UN dans la communion d’amour de son Fils. Le secret du Laus, manifesté par Benoîte et toute vie chrétienne authentique, est là dans le corps du Seigneur livré pour nous, consumé pour nous et consommé par nous.
Encore faut-il à la table d’un si grand roi, vouloir répondre en offrant la pareille, au risque de se tromper et de tromper, au risque ne faire que semblant en jouant notre partition. Il est plus facile de fonctionner, de paraître à travers des œuvres fussent les plus sociales ou les plus solidaires que d’aimer. On peut jouer au prêtre, on peut jouer au couple, on peut jouer à la religieuse, on peut jouer toutes les plus belles fonctions de la vie données par Jésus et n’être pas en vérité dans ce que l’on est, ou ce que l’on est appelé à être....
Jésus, ce soir, vient nous arracher à tous faux jeux, à toutes fausses prises en charge de nos responsabilités. Jésus en cette nuit unique et très sainte livre le secret de la vraie liberté et du véritable amour. Il est facile de flatter un Maître et de vouloir faire partie de sa cour. Il est facile de faire le Maître et de parvenir à tromper son monde pour prétendre servir. Lorsque le Seigneur et le Maître en personne se livre jusqu’à prendre la place de ce que l’on ne confiait même pas à un esclave juif, on peut comprendre Juda, Pierre et les autres apôtres. Trahisons, reniements ou lâchetés sont nôtres.
La tentation de l’argent est grande. Elle aveugle Juda l’apôtre choisi par amour et regardé jusqu’au bout avec amour. Il fait nuit dans son âme parce que le diable lui a suggéré une voie apparemment meilleure que celle de Jésus.... Plus royaliste que le roi et plus papiste que le pape nous trahissons le maître chaque fois que nous prenons prétexte d’un service à accomplir ou d’une récompense à obtenir, d’une vocation à vivre, pour imposer au Christ des voies qui ne sont pas les siennes. Juda voulait sans doute que Jésus fasse un signe grandiose pour que Jésus s’impose.... C’est le jeu de Satan... qui veut que nous nous fassions Dieu par nous-mêmes, à travers les fonctions ou les dons que Dieu lui-même nous a donnés.
Quand ce n’est pas l’argent, la tentation est grande aussi d’assumer toute fonction selon des critères de gloire et de pouvoir sans risquer de se livrer aussi radicalement que le Maître. Pierre est piégé par son incompréhension de la croix, son refus de la croix. Aujourd’hui encore beaucoup de savants en Eglise refusent une interprétation expiatrice de la mort de Jésus. C’est trop scandaleux... « Passe derrière moi Satan, tes pensées ne sont pas celles de Dieu. » Mc 8, 33
Cette correction du Maître au futur pape n’a pas suffit. Pour se faire comprendre, Jésus va poser au cours de son repas d’adieu un geste terriblement parlant. Il dépose son vêtement... Il lave les pieds de ses disciples... « Ma vie personne ne me l'enlève; mais je la donne de moi-même. J'ai pouvoir de la donner et j'ai pouvoir de la reprendre; Jn 10, 18 Le sommet de l’amour et de la liberté, c’est de ne rien subir et de tout choisir. C’est de consentir librement à ce qui est offert par amour.
« Sachant que le Père lui avait tout remis entre les mains et qu’il était venu de Dieu et qu’il s’en allait vers Dieu... » Au cœur de Dieu il n’y a que don de soi sans réserve du Père à l’égard du Fils et du Fils à l’égard du Père, sans que l’un ne possède l’autre puisque leur échange d’amour libre est l’Esprit Saint, la personne qui ne s’appartient pas et demeure l’échange du Père et du Fils, Dieu lui même.
Ce soir Jésus est parmi ses apôtres comme il est au sein de la Trinité : livré par le Père, offert au Père dans l’Esprit de toute éternité. Donné aux hommes sans réserve comme l’un des trois de la Trinité ou personne ne possède personne. Comme disait la petite fille : si Dieu est amour il ne peut qu’être Trinité.
Pierre proteste du geste de Jésus. Il demande à être lavé tout entier... Jésus lui dit que ce n’est pas nécessaire. Pierre ne peut pas encore aller là où va Jésus. Jésus est libre, Pierre ne l’est pas, même s’il croit l’être. C’est seulement quand il aura été miséricordié par l’unique offrande expiatrice de son Maître qu’il pourra à son tour aimer librement de l’amour de son Seigneur et Maître, jusqu’à l’offrande suprême.
Ainsi Pierre apprend qu’être pape ou simple prêtre de campagne c’est la même chose aux yeux de Dieu. Notre Pape François nous le martèle à la suite de ses successeurs, chacun ayant témoigné d’une si grande humilité dans leur lourde charge. Les périphéries ne sont pas forcément les bidonvilles de Bogota, mais ce que je rejette de ma vie, ma propre existence ou ce qui l’entoure que je méprise pour ne pas aimer jusqu’à l’extrême de moi-même.
Elle viendra notre heure dernière. Ce sera l’heure de Dieu comme pour Jésus. Lui seul en connaît la marque dans la chronologie du temps. Notre heure aujourd’hui est d’apprendre du Maître à se donner sans jamais vouloir décider de l’instant de sa mort. Cet instant, achevant notre heure sur cette terre, est toujours une initiative secrète de l’amour de Dieu pour chacun. Apprenons à vivre l’heure de notre vie en mourant chaque jour à nous-mêmes pour mourir un jour afin de vivre pour l’éternité. L’heure est de se livrer à l’Esprit pour aimer en se donnant et avec Thérèse de l’Enfant Jésus savoir que tant qu’on n’est pas mort on n’a pas tout donné. « Nul ne naît à l’essai, nul ne meurt à l’essai » aimait dire saint Jean-Paul II. Apprenons de Jésus ce soir à ne pas nous essayer dans la vie chrétienne. Engageons nous pour toujours jusqu’à la mort pour aimer en livrant tout de nous-même à Celui qui nous livre tout de lui-même en son Eucharistie. Cette joie-là « Personne ne pourra nous la ravir. » Jn 16, 22