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Sunday 10 July - 15e dimanche du temps ordinaire
"Laissez-vous désherber"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireSi l’on vous demandait de décrire ce qu’est la Parole de Dieu, quelle comparaison choisiriez-vous ? Quelle image serait capable d’exprimer à la fois sa nature, son efficacité et notre adhésion à cette Parole ?
Peut-être votre choix se porterait-il sur l’image de la lumière, chantée par le psaume 118 : « Seigneur, ta parole est une lampe sous mes pas, une lumière sur ma route ». Ou alors, comme le fait l’auteur de la lettre aux Hébreux, la Parole de Dieu pourrait être comparée à une épée tranchante, qui pénètre en nous pour « juger les sentiments et les pensées du cœur » (He 4,12).
Le choix pourrait se porter aussi sur une comparaison météorologique : « comme la pluie et la neige descendent du ciel et n’y reviennent pas sans avoir abreuvé la terre, dit le Seigneur au prophète Isaïe, ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas à moi sans effet » (Isaïe 55,10-11). La Parole de Dieu est encore comparée dans la Bible à un feu dévorant, un souffle imprévisible ou une eau qui désaltère.
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Mais pour nous révéler le mystère de la fécondité de la Parole de Dieu, c’est pourtant une autre image que le Christ choisit aujourd’hui : l’image d’une graine, et même de très nombreuses graines, qui sont répandues largement par le Seigneur sur tous les types de terrains se présentant à Lui.
Pourquoi le Christ a-t-il préféré cette image à celles de la lumière, de l’épée, de la pluie ou du feu, pourtant a priori plus dynamiques que celle d’une graine ?
D’abord, me semble-t-il, parce qu’une graine porte en elle une espérance, celle de donner de nombreux grains nouveaux. Personne cependant ne pourra prédire ce qu’il en sera de cette fécondité : une graine va-t-elle donner un épi de quinze vingt ou trente nouvelles graines ? En regardant le grain qui va germer, il est impossible de le dire ; pas plus qu’en le passant sous un microscope.
Ainsi en est-il de la Parole de Dieu : en l’observant de manière extérieure, et même en la passant sous le microscope d’études savantes, on ne peut percevoir toute sa fécondité tant qu’on ne l’a pas laissée pénétrer dans la terre de nos cœurs pour la laisser germer.
C’est pourquoi un rapport intime à la Parole de Dieu nous est indispensable. Tant qu’on reste extérieur, on ne voit pas sa fécondité, et on peut même en venir à des raccourcis qui la font mentir. Certains retireront ainsi des textes qu’ils estimeront trop guerriers. D’autres ne voudront pas accepter les passages de l’Ecriture qui parlent de l’enfer ou de Satan. D’autres encore se complairont à ne pas voir la révélation de l’amour miséricordieux, et tant de malheureuses lectures fondamentalistes, qui dénaturent la Parole de Dieu pour en faire un instrument de propagande.
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Pour porter du fruit, la Parole doit donc être accueillie dans un cœur humble, sans avoir présupposé de ce qu’elle va nous apporter. Mais pour cela, il faut du temps ; c’est ce que révèle encore l’image du grain de blé. Pour qu’il germe et donne un épi à moissonner, il faut de nombreux mois, de la patience, et une terre qui reste disponible pour porter le fruit. Ainsi en est-il de notre accueil de la Parole de Dieu : il nous faut accepter cette loi du temps, de la maturation, pour que la Parole puisse germer en nous.
Il faut respecter le temps, avec patience ; mais il faut aussi prendre le temps. Je me permets de citer des chiffres déjà bien connus, mais peut-être pas encore bien intégrés : en moyenne, un français a regardé 3h32 de télévision par jour, soit près de 25h par semaine. Ces chiffres montent à 4h34 par jour pour les personnes de plus de 50 ans.
Et un chrétien, combien de temps consacre-t-il à la méditation de la Parole de Dieu ? 25h par semaine, peut-être pas… mais entre 25h et même pas quelques minutes, il y a peut-être un juste milieu à trouver, pour que la Parole puisse avoir le temps de germer en nous.
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L’image du grain de blé présente donc encore un grand avantage sur celles de la lumière, de l’épée ou de la pluie : c’est de nous montrer qu’une collaboration humaine est indispensable à l’œuvre de la grâce.
Certes, la grâce fait vraiment l’essentiel du travail : elle est la source du grain et l’a répandu sur la terre. Elle envoie l’eau du ciel et les rayons du soleil. Tout cela, c’est par pure grâce. Mais il faut aussi la réponse humaine : être une bonne terre, bien disposée pour offrir à la semence de la Parole le terrain propice à sa croissance.
Le Seigneur nous indique même comment devenir ou rester une bonne terre : il nous faut fuir les séductions de la richesse qui étouffent la Parole, dit le Christ. Car la Révélation est bien trop dérangeante pour celui qui met son cœur dans les biens matériels.
Mais il s’agit aussi de l’étouffement par « les soucis de la vie ». Seule la conviction profonde que le Seigneur veille sur nous en toute chose nous rend disponible pour recevoir sa Parole.
Il s’agit encore de discerner et de déjouer l’œuvre du démon, ce « Mauvais » dont parle Jésus pour prévenir qu’il risque de s’emparer de ce qui est semé dans les cœurs. Il s’agit enfin d’être une terre profonde, sans quoi l’accueil enthousiaste de la Parole n’est que superficialité : « il n’a pas de racines en lui, dit le Christ, il est l’homme d’un moment ».
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Mais là où la grâce se révèle encore plus abondante, c’est que, même si nous sommes une terre trop peu fertile pour permettre tout le déploiement de la Parole divine, le Seigneur ne nous abandonne pas.
Il ne cesse d’offrir l’engrais des sacrements pour purifier notre terre et la rendre féconde, bien au-delà de nos seules capacités. Désherbants et nourrissants : tels sont pour nous les sacrements, qui nous donnent réellement le Christ.
Tel est aussi, par rayonnement, un sanctuaire comme celui du Laus, qui offre une grâce privilégiée de réconciliation, par la Vierge Marie et par Benoîte. Ici, au Laus, le Ciel est à l’œuvre pour retirer les mauvaises herbes de nos vies, évacuer les cailloux qui rendent notre terre infertile, éloigner les oiseaux de malheur qui pourraient en manger le fruit, et creuser plus en profondeur en nous, pour que de solides racines puissent se déployer et faire lever l’épi jusqu’au Ciel.
Vous tous, pèlerins du Laus, « laissez-vous réconcilier » (2 Co 5,20) ! Avec l’aide de Marie et de Benoîte, laissez-vous désherber de tout ce qui vous étouffe ! Laissez le Seigneur retirer les cailloux qui endurcissent les cœurs ! Laissez-vous fertiliser par la Parole de Vie ! Amen.