Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Tuesday 1 May - Homélie de la messe du 4e anniversaire de la reconnaissance des apparitions
L'actualité de Marie
Par Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon
Comme tant d’autres sanctuaires mariaux à travers le monde, Notre-Dame du Laus reçoit la visite de milliers de pèlerins dont nous faisons aujourd’hui partie. Que venons-nous chercher dans ce lieu dédié à la prière ? Pourquoi, dans un monde sécularisé et sceptique face au surnaturel, le message de la Vierge parle-t-il encore si profondément au cœur des hommes et des femmes de notre temps ? Pour quels motifs ces sanctuaires deviennent-ils des lieux de conversion, de réveil intérieur, de changements de vie, bref, qu’est-ce qui fait l’actualité de Marie ? Qu’est-ce que Marie dit de manière unique, pertinente, incisive, singulière, à nos contemporains pour les faire accéder au monde de Dieu ?
La première porte que Marie ouvre, c’est celle de l’intériorité. Dans l’Evangile, la Vierge parle si peu, elle n’est guère bavarde ni prolixe, et, si elle ouvre la bouche, c’est pour reprendre à son compte les paroles de l’Ecriture dans son magnificat, comme nous l’avons entendu dans le psaume, ou investir quelques mots en lesquels se concentre la foi : « Je suis la servante du Seigneur, que tout se passe selon ta parole », « Faites tout ce qu’il dira ».
L’intériorité de Marie est faite du silence par lequel elle accueille humblement son Fils, le Verbe, la Parole de Dieu. Ce silence est la patrie de son obéissance, de son adhésion au dessein obscur du Seigneur. Ce silence est l’espace caché de sa prière, de son offrande et de sa paix, les craintes de son action, l’intimité de sa présence à Jésus, le puits en lequel elle puise la parole du Seigneur.
Ce silence de Marie écarte les bruits du monde. Ce silence de Marie protège aussi celui de son enfant, il est le garant de sa vie cachée en Dieu dans son sein à Nazareth auprès de Joseph. Et Jésus est enveloppé et se repose dans ce silence de Marie. Il s’y enfonce comme notera plus tard saint Luc. Il se retirera dans les endroits déserts pour prier.
Ce silence de Marie porte aussi les stigmates. Marie ne dit rien au Golgotha, son consentement à l’œuvre de Dieu est muet. Le silence de Marie est habité par la parole qui retentit en lui. Elle ne cesse de retenir dans son cœur et de méditer cette Parole qui s’incarne en son sein. Peut-être faut-il comprendre que le parfum de rose que certains hument en ce lieu caractérise l’expression de cette intériorité de Marie. Il nous rappelle aussi le parfum de la Madeleine et du tombeau vide au matin de Pâques.
Oui, nous vivons dans un monde bavard, superficiel, le monde des médias, des images qui laissent peu de places au recueillement. Le flot des paroles qui se déversent à chaque seconde nous prive de la parole unique, celle que Dieu prononce de toute éternité en son Fils et que la Vierge accueille sans réserve et sans restriction.
On questionnait un jour Thérèse de Lisieux sur sa prière : « Que dites-vous à Jésus ? » Et elle de répondre : « Je ne lui dis rien. Je l’aime ».
Un proverbe touareg nous conseille de façon avisée de faire de même : « Si le mot que tu vas prononcer n’est pas plus grand que le silence que tu vas quitter, alors tais-toi ! »
A Notre-Dame du Laus, Benoîte nous apprend que le silence est parole, le lieu du cœur-à-cœur. Cette humble voyante atteste de ce que la parole de Dieu peut faire dans un être disposé par le silence à l’accueillir totalement. « Donne-moi Seigneur un cœur qui écoute », suppliait le roi Salomon. Les dernières paroles de Benoîte avant de mourir évoquaient son ouïe intérieure : « Mes oreilles ont tout écouté », lâchait-elle dans un ultime soupir. La Vierge ici nous enseigne le sens de l’intériorité mais aussi le sens du temps, la manière chrétienne d’habiter le temps, car notre siècle vit dans l’urgence, la recherche frénétique de l’immédiateté. C’est la loi du zapping, du clic, de tout tout-de-suite, de la satisfaction immédiate du désir, de l’hégémonie de l’instant. « Je n’ai pas le temps » : c’est un leitmotiv répété à l’envie par des gens tellement pressés. On veut supprimer les files d’attente, raccourcir la durée. Face à ce monde qui confond l’urgent et l’important, Marie nous invite à devenir l’ami du temps. Elle vit au rythme de la grâce de Dieu et de sa Providence. Marie suit Jésus, elle respecte le rythme de Dieu. Dieu l’a élue dès le commencement du monde et le Livre de l’Apocalypse la trouve au terme de l’histoire.
Le temps de Marie, c’est celui de la fidélité de Dieu. Marie n’est pourtant pas indolente. On la trouve toute empressée sur les collines de Judée au jour de la Visitation, mais sa hâte s’inscrit dans la patience ardente de Dieu qui veut manifester son salut aux hommes. Oui, Marie nous enseigne que le temps de Dieu n’est pas le nôtre, que le temps du chrétien est à la fois mémoire (elle retenait toutes ces choses en son cœur) et en même temps promesse puisqu’en son Assomption elle partage déjà la gloire de son Fils. Le temps chrétien, c’est se saisir du passé pour construire l’avenir, en vivant pleinement l’instant présent. Qui a l’instant présent a Dieu, confiait sainte Thérèse d’Avila.
Afin de nous libérer de la fièvre de l’activisme, la Vierge nous éduque à vivre au fil de la grâce, à recevoir de jour en jour, de messe en messe, dans le goutte-à-goutte de chaque moment, la vie comme un cadeau de Dieu, sans fuir vers l’avenir imaginé, sans se réfugier dans la nostalgie du passé idéalisé. Pédagogie du temps. Mais Marie nous enseigne aussi la pédagogie de la fragilité. Marie a quelque chose à nous dire, quelque chose à dire à notre monde préoccupé voire angoissé par la recherche de la réussite à tout prix. A Bethléem, elle tient dans ses bras l’enfant Dieu qui se blottit en elle, un Dieu si grand qui se fait si petit, si démuni, si dépendant, un être absolument livré à sa sollicitude maternelle. Et au terme de la vie de Jésus au Golgotha, Marie contemple la défiguration de son Fils livré à la vindicte populaire, aux crachats, aux injures.
Benoîte Rencurel éprouvera dans sa chair (je pense à ces stigmates, à ces transports intérieurs qui l’associent à la Passion du Christ) le mystère du Vendredi saint. « Ma fille, je me fais voir dans cet état afin que tu participes aux douleurs de ma passion », lui dira le Christ en 1673, ici-même. Elle comprendra peu à peu que Jésus n’est jamais autant Dieu que dans le geste par lequel il se livre en son humanité jusqu’à la perte de soi. Oui, c’est dans les douleurs de l’enfantement qu’advient le royaume de Dieu. La fécondité chrétienne est sacrificielle. Nous vivons dans un monde de productivité, d’efficacité, de quête obsédante de succès. La recherche de la performance et de l’excellence nous fait sans doute oublier que le chemin de Dieu emprunte celui de la petitesse. « Celui qui ne devient pas comme un petit enfant ne peut entrer dans le royaume des cieux », dira Jésus. Le chemin que le Seigneur privilégie est celui de la croix. Non qu’il faille récuser l’effort, refuser la compétence, mais que l’un et l’autre ne fassent pas ombre à la prévenance de Dieu qui précède et porte toutes nos entreprises. Non qu’il faille rechercher la souffrance en elle-même, mais quand elle surgit savoir l’habiter de confiance, de prière, car le Seigneur nous appelle, en elle, à compléter en notre chair ce qui manque à la Passion du Christ.
« Prier comme si tout dépendait de Dieu, travailler comme si tout dépendait de vous », enseignait Ignace de Loyola. Marie est la parfaite illustration de cette conjugaison. Elle faisait tout pour Dieu en sachant qu’il faisait tout en elle. Nos pauvres prières, nos actions inachevées, nos épreuves, nos échecs, nos insuccès : oui, le Seigneur se sert de toutes nos vulnérabilités de nos pertes de sens, de nos infirmités, de nos débilités, voire même de nos péchés pardonnés pour faire une œuvre qui nous excède, une oeuvre qui n’est pas à la mesure de nos capacités mais à la démesure de sa miséricorde. Dans la conscience de son indignité, Marie le sait plus que toute autre, le Seigneur s’est penché sur son humble servante. Marie nous apprend l’espérance, elle nous invite à la conversion du pécheur. Marie ouvre le chemin du Christ mais elle nous ouvre ici en particulier la porte de l’Eglise. Je suis frappé aussi bien à Lourdes qu’à la Salette et qu’ici même à Notre-Dame du Laus que le message de la Vierge est d’inviter la voyante à faire ériger une chapelle, un oratoire, à construire une église. Si Marie a été le point de départ de la conception de Jésus, sous l’action de l’esprit saint, elle a été aussi aux premières loges de la naissance de l’Eglise au Cénacle. Depuis la plus lointaine tradition spirituelle, Marie est associée aux mystères de l’Eglise. Elle en est la figure emblématique, prophétique. Ce qui est dit de Marie vaut pour l’Eglise, toutes deux portent Jésus. Toutes deux attestent de sa présence. En fréquentant Marie on trouve l’Eglise. Combien d’hommes et de femmes, et de jeunes en particulier, ont redécouvert la foi, la prière, les sacrements, la vie, l’amour de l’Eglise ici, à Lourdes, à Fatima, à Banneux, à Beauraing, en fréquentant Marie. Les multiples ex-voto qui décorent les murs en témoignent. Nous vivons dans un contexte où l’image de l’Eglise est souvent écornée, dégradée, parfois à cause de scandales provoqués par les chrétiens, les prêtres.
L’image est aussi souvent décriée parce que l’on projette sur l’Eglise son propre refus de Dieu, sa propre indifférence, son règlement de compte avec soi-même. Marie se veut une réponse maternelle, délicate, à cette violence qui recèle en creux une attente de salut. Elle offre un visage de l’Eglise qui console, qui apaise, elle offre le visage humain de l’Eglise. Marie ne se trouve pas à l’avant-scène sous les feux de la rampe mais elle se tient comme un humble témoin de l’Evangile, en retrait, qui se laisse traverser par la lumière, et désigne en Dieu la source de cette clarté. Elle ne retient rien pour elle-même de la grâce qui la touche, telle la lune qui réfracte la clarté solaire. A Lourdes comme ici-même, la belle dame (pour reprendre l’expression de Benoîte) apparait dans toute sa splendeur. La beauté de Marie, c’est d’abord celle de son âme transparente à Dieu, une beauté sans défaut qui irradie son corps immaculé. De ses habits et de son visage sort tant de lumière que l’on en n’a jamais pu exprimer les traits, disait de la Vierge Benoîte Rencurel.
Les anciens identifiaient la beauté à la splendeur de la vérité. Si le Christ se définit comme la Vérité, Marie en est l’éclat, le jaillissement, la lumière.
Dans une société qui se méfie du moralisme, du dogmatisme, abreuvée de paroles et de slogans, Marie la belle dame nous invite à redécouvrir la beauté comme un chemin d’accès à Dieu et nous en offre la saveur, le goût. Elle en suscite l’attrait.
En ce jour, frères et sœurs, demandons à la Vierge de nous conduire au Christ, vers l’Eglise. La vocation de Marie est don, elle est un don de Dieu pour chacun d’entre nous. Elle est elle-même donnée et elle nous donne en Jésus Dieu lui-même. Elle nous convie à faire de chacune de nos vies un don, un présent, un service pour nos frères. Tel est le message de sa sainteté, tel est l’appel qu’elle nous adresse en ce jour. Amen.