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Sunday 3 March - 8ème dimanche du temps ordinaire
La parole qui tue et la poutre qui aveugle
Par le père Ludovic Frère, recteur3 organes : deux yeux et une bouche. 3 figures : un aveugle, une poutre et un arbre. Dans l’évangile de ce dimanche, les images se répondent les unes les autres : devenir aveugle en raison d’une poutre dans l’œil ; ou arbre sec comme une poutre à cause de ce qui sort de notre bouche. Parole de charpentier ! Jésus sait de quoi il parle ! Il a travaillé les poutres pendant des années pour ajuster les charpentes ; il continue à travailler les cœurs pour ajuster nos yeux et nos bouches à la vie nouvelle reçue au baptême.
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Car c’est bien une vie nouvelle à laquelle Jésus nous appelle. Une nouvelle manière d’être en relations qui nous fasse déjà goûter la communion vécue au Ciel. Par la poutre, l’aveugle et l’arbre, le Seigneur ne rappelle pas simplement ce qui convient à de bonnes relations humaines. Il n’est pas un professeur de bonnes manières ; il est notre Sauveur qui a donné sa vie pour que nous vivions éternellement de la sienne.
Alors, le Christ ne nous parle pas d’une vie simplement polie et sage ; il nous parle d’un monde nouveau, un monde dans lequel l’œil pose sur l’autre un regard tel, qu’il peut le nourrir comme un bon fruit ; un monde dans lequel la parole peut relever celui qui est tombé à terre et jamais le faire tomber plus bas encore. Mais au contraire, un mouvement qui est toujours vers le haut, vers le Ciel, car c’est pour cela que nous sommes faits, c’est pour cela que nous avons été sauvés !
C’est cette réalité-là dans laquelle nous avons été plongés au jour de notre baptême ; c’est cette réalité-là que nous venons nourrir aujourd’hui par cette Eucharistie ! Alors, franchement : votre baptême est-il une décoration dans votre existence, ou est-il une vie nouvelle ? L’Eucharistie est-elle un simple verni sur votre dimanche ou une réalité qui vient transfigurer toutes vos paroles, tous vos regards, pour la semaine entière ?
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Pour que nous choisissions de vivre du Christ ressuscité jusque dans chacune de nos manières de voir et de parler, Jésus met en lumière aujourd’hui les comportements accusateurs. Ils sont révélateurs de notre rapport aux autres et à nous-mêmes. La manière de critiquer ou de relever révèle en fait ce qui habite nos cœurs.
Car nous connaissons trop cette tentation séduisante de mal parler des autres. C’est tellement facile et presqu’agréable ! On critique pour se rendre intéressant ; on se sent comme en connivence avec ceux à qui l’on partage des commérages. Qui n’a jamais trouvé ses délices à pointer du doigt les défauts des autres, leurs erreurs, leurs péchés ? Avec une lucidité formidable pour déceler leurs sursauts d’orgueil, leurs paresses et leurs incohérences… Lucidité qu’on n’a pas toujours envers soi-même, ou qu’on ne veut pas avoir !
Critiquer, c’est un sport qui défoule, n’est-ce pas ? Un passe-temps agréable… Aveugles insensés que nous sommes ! Quand comprendrons-nous que nos bouches et nos yeux ont aussi été plongés dans l’eau baptismale ? Par conséquent, ils n’appartiennent désormais plus qu’au Christ !
Alors, nos paroles accusatrices nous accusent nous-mêmes. Elles pointent du doigt nos vies qui sont encore trop à nous, pas assez dessaisies pour n’être plus qu’au Christ. Avez-vous d’ailleurs remarqué qu’en montrant l’autre du doigt, seul l’index est pointé vers lui ? Le majeur, l’annulaire et l’auriculaire sont tournés non vers l’autre pour l’accuser, mais vers soi-même. Quant au pouce, comme un complice, comme un coup de pouce pour mieux nous dissimuler, il cherche à cacher ces trois doigts qui reviennent à soi. Pour essayer de faire oublier peut-être l’accusation qui revient vers soi avec trois fois plus d’intensité qu’elle ne pointe les autres ! C’est ainsi qu’au terme de notre vie, nous nous jugerons nous-mêmes. Pensons-y quand nous sommes tentés de pointer les autres du doigt !
Toute parole critique devrait donc être précédée d’une interrogation profonde : ne suis-pas trois fois pire que celui que je dénonce ? Non pas pour se comparer - c’est encore un défaut que Jésus reprochera à ses disciples - mais pour grandir en humilité : comme les autres, je suis capable d’incohérences entre ce que je dis et ce que je fais. Comme les autres, je me laisse prendre aux pièges de l’orgueil. Peut-être trois fois plus qu’eux, qui sait ?
Nous voici donc poussés à convertir nos regards et nos paroles pour que jamais elles n’écrasent les autres. Que jamais elles ne jugent ni ne suscitent la division. Saint Paul donne alors des conseils décisifs pour ne pas critiquer, tout en répondant à la demande du Christ de retirer aussi la paille dans l’œil du voisin. L’Apôtre nous dit : « Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il en est besoin, que ce soit une parole bonne et constructive, profitable à ceux qui vous écoutent » (Eph 4,29).
Aucune parole mauvaise ne doit sortir : chez un chrétien, les paroles mauvaises sont privées de sortie ! Alors, puisqu’au Laus, les apparitions de la Vierge Marie furent accompagnées pour Benoîte de manifestations des anges, je vous encourage à impliquer votre ange gardien dans cette vigilance : postez-le à l’entrée de votre bouche, comme un douanier, ainsi que le chante le psaume 140 : « Seigneur, mets une garde à mes lèvres, veille au seuil de ma bouche » (Ps 140,3). Avec une telle garde angélique, pas de risque de laisser sortir des paroles violentes, fausses ou inutiles. Les anges, gardiens de nos lèvres : voilà une belle grâce à demander ici ! Et sans doute une belle manière de vivre le Carême qui commence dans trois jours : grâce au soutien angélique, partons pour un Carême d’abstinence de paroles violentes, fausses ou inutiles.
D’autant que Benoîte nous montre ici un bel exemple de paroles maîtrisées. On lit ainsi dans les Manuscrits du Laus : « Quand on lui parle rudement, qu’on la querelle ou qu’on la maltraite, pour le supporter patiemment et doucement (…), elle se pince jusqu’au sang, se tait ou s’excuse doucement, sans s’émouvoir ni témoigner de ressentiment, ni dire une parole plus haute que l’autre. » C’est un effort pour Benoîte : elle doit se pincer jusqu’au sang ! Mais elle réfrène ses paroles, parce qu’elle est visitée par la Vierge Marie, dont jamais aucune mauvaise parole n’est sortie de la bouche. Jamais !
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Ainsi vigilants aux paroles qui sortent de nos bouches, nous pouvons nous concentrer sur ces poutres dont nous parle Jésus. L’important n’est pas de mesurer mutuellement les tailles de nos poutres. De toute façon, elles sont toutes de ce bois sur lequel Jésus a été crucifié. C’est peut-être justement là que notre attention doit se porter.
Crucifié sur deux poutres, le Christ nous appelle à voir dans cette image un enjeu de conversion totale : non plus mesurer et comparer nos pailles ou nos poutres, mais mettre l’amour au-dessus de tout, cet amour qu’il a déployé sur la croix et qu’il a rappelé à Benoîte en lui apparaissant crucifié : « je me montre à vous pour que vous sachez l’amour que j’ai eu pour les pécheurs ». À l’instar de cette femme pécheresse, que nous trouverons au chapitre suivant de saint Luc : elle verse du parfum sur les pieds de Jésus. Il se tourne alors vers le Pharisien qui l’avait invité pour lui dire : « Tu vois cette femme ?... ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis parce qu'elle a montré beaucoup d'amour » (Lc 7, 44.47). Les péchés de cette femme n’étaient pas de la paille, mais elle a mis l’amour au-dessus de tout. Jésus l’offre alors en exemple d’une vie nouvelle, fondée sur l’amour reçu de Celui qui n’est qu’Amour !
Car qu’est-ce qu’aimer, sinon renoncer à vivre pour soi afin de vivre pour un autre ? L’amour pour un conjoint, pour un ami, pour un ennemi, c’est avoir le regard tourné vers l’autre non pour dénoncer ses pailles, mais pour l’aimer, voilà tout. Et c’est par amour que l’on pourra l’aider à retirer sa paille comme Jésus le demande ultimement. Mais seulement par amour, car « si je n’ai pas l’amour, cela ne sert à rien » dit saint Paul (1 Co 13,3). Alors que la critique enfonce et tue, l’amour est ressuscitant, il fait renaître. Il n’y a donc pas d’autre option pour un chrétien que d’aimer.
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Frères et sœurs pèlerins, en ce sanctuaire où vous êtes venus aujourd’hui - ce lieu voulu par la Vierge Marie pour la conversion des pécheurs - la Providence a voulu que nous entendions cet appel à la conversion de nos regards et de nos paroles.
Alors, n’hésitez pas après la messe à venir jusque dans la chapelle des apparitions pour vous marquer de l’huile du Laus, cette huile dont la Belle Dame a assuré qu’en se l’appliquant avec foi et en ayant recours à son intercession, on guérirait. Que la grâce coule donc comme une huile sur nos yeux qui dénoncent et nos paroles qui tuent, afin que chacun de nos regards et chacun de nos mots soient comme ceux de Marie : toujours pour relever, toujours pour aimer, toujours pour redonner vie. Toujours pour chanter avec elle : Magnificat !
Amen.