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Saturday 30 March - Veillée pascale
"La nuit du grand passage"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Nous fêtons ce soir la Pâque du Seigneur. Au cœur de la nuit, le chant de l’exultet est venu interrompre la tristesse de ces derniers jours, pour que des ténèbres jaillisse cette annonce lumineuse : « Voici pour tous les temps l'unique Pâque, voici pour Israël le grand passage, voici la longue marche vers la terre de liberté ! »
Cette nuit est donc celle du grand passage.
Nous savons combien nos vies sont faites de passages. Des passages agréables et gratifiants : de l’hiver au printemps, de l’attente à l’exaucement. Des passages plus délicats : de l’enfance à l’adolescence, de l’activité professionnelle à la retraite. Des passages franchement difficiles : de la bonne santé à la maladie, de l’emploi au chômage, de la vie à la mort. Et bien d’autres passages encore.
Tous les passages que nous choisissons ou que nous subissons, que nous attendons ou que nous redoutons, nous rappellent que la vie est une suite d’attachements et de séparations, de morts et de naissances. Et c’est seulement en acceptant de mourir à un état que l’on peut vivre sereinement et pleinement la nouvelle situation qui s’offre ou qui s’impose à nous.
* * *
Et voici qu’en cette nuit, la longue suite des lectures de la Parole de Dieu nous a plongés dans la réalité de ces passages, de ces attachements et séparations qui rythment la vie humaine. Une lente progression dans l’Écriture Sainte nous a fait revivre toutes les étapes de l’histoire du salut pour nous préparer à accueillir le grand passage avec le Christ. Ainsi, chacune des lectures nous a appelés à une pâque, à un passage vers toujours plus de vie.
D’abord, la première lecture, du livre de la Genèse, nous a présenté le premier des passages : du néant à la création. Par un débordement d’amour, Dieu a fait passer sa puissance hors de lui-même ; et c’est à chaque seconde de l’existence que le Seigneur ne cesse de faire jaillir ainsi la vie, dans un passage du « rien » à « l’être ».
La deuxième lecture, comme une réponse à ce don de la vie, a appelé Abraham à oser une autre pâque, un autre passage : de la possession à l’abandon. Son fils Isaac, tant espéré et tant aimé, il doit accepter de l’offrir à Dieu. Abraham est appelé à passer la porte étroite de la confiance ; car il est large, le chemin de la défiance ou de la désobéissance. Mais seul le passage étroit de la peur de Dieu à la confiance en Lui porte un fruit formidable : « Puisque tu m'as obéi, toutes les nations de la terre s'adresseront l'une à l'autre la bénédiction par le nom de ta descendance », promet le Seigneur.
La vraie liberté ne se trouve que dans notre abandon à Dieu. Et voilà le peuple hébreu, dans la troisième lecture, appelé à vivre un autre passage d’abandon : c’est la pâque qui va le conduire de la terre d’esclavage à la terre promise. Nous l’avons vécu pendant quarante jours : ce passage conduit d’abord au désert, avec tous les risques de désespérer, de vouloir revenir en arrière et de douter qu’il y ait vraiment une terre promise au terme de la marche.
D’où cette quatrième pâque que le Seigneur offre à son peuple, comme en a témoigné Isaïe, dans la quatrième lecture : c’est Dieu lui-même, qui par amour passe de la colère à la miséricorde. Il abandonne sa légitime réaction de dépit à l’égard du peuple infidèle et ronchon, pour renouveler son amour dans un acte indissoluble. Et de servante, la communauté du Dieu Très-Haut vit une nouvelle pâque : elle devient fiancée. « Un moment je t'avais abandonnée, dit le Seigneur par la bouche d’Isaïe. Mais dans ma grande tendresse je te rassemblerai ».
Ce passage de la relation filiale à la relation sponsale appelle le peuple à vivre encore une autre pâque : de ce qui périt aux réalités qui demeurent. Dans la cinquième lecture, Isaïe interroge ainsi, de la part du Seigneur : « Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? »
Ce qui rassasie, c’est de faire la volonté du Père. Et voilà cet autre prophète, Baruch, qui transmettait dans la sixième lecture ce commandement : « Prête l'oreille pour acquérir la connaissance ». Par l’ouverture à la présence permanente du Seigneur dans nos vies, s’opère en nous cette pâque incessante de l’ignorance à la connaissance, de l’obscurité à la lumière. Mais pas une simple connaissance d’informations : une connaissance intérieure, qui transforme au plus intime.
Et voilà qu’en septième lecture, le prophète Ezéchiel se faisait le porte-parole d’un autre passage encore, conséquence de cette transformation profonde : de ce qui vieillit à ce qui est neuf, avec le don d’un cœur nouveau et d’un esprit nouveau.
* * *
Frères et sœurs, au cœur de cette nuit de la résurrection, tous ces passages, toutes ces pâques de l’ancienne Alliance trouvent leur accomplissement total et définitif dans le Christ.
A l’instar de l’événement de la création, nous accueillons cette nuit la Pâque du Christ comme une recréation, qui nous fait passer du néant de la mort à la vie éternelle. A la suite d’Abraham prêt à sacrifier son fils, nous reconnaissons la Pâque du Christ comme l’oeuvre immense Père qui donne son Fils en offrande parfaite. Avec les Hébreux passant la mer rouge, nous reconnaissons la Pâque du Christ comme cette œuvre formidable où Dieu a jeté dans les eaux baptismales les chars de Pharaon, les forces démoniaques et les puissances du péché. Il nous a ainsi libérés de tout ce qui nous retenait esclaves.
Et voilà la foule des prophètes : avec Isaïe, nous accueillons ce soir la Pâque du Christ comme l’alliance nouvelle et indissoluble, qui fait de l’Eglise non plus la fiancée désirée, mais l’épouse comblée, qui se nourrit de la présence de son Aimé. Avec Baruch, nous accueillons cette nuit la Pâque du Christ comme une sortie du tombeau qui donne sens et intelligibilité à tout ce que nous vivons. Avec Ezéchiel, nous voyons dans la Pâque du Seigneur le passage indispensable pour recevoir ce cœur nouveau et cet esprit nouveau, tellement inaccessibles à nos seules forces.
En cette nuit très sainte, le Christ s’est levé du tombeau et il a éclairé toute l’histoire passée, il a comblé toutes les attentes, il a illuminé toutes nos obscurités. Il a vécu le grand passage ; vivons-le avec lui. Plongeons de nouveau dans la mort et la résurrection du Christ, pour que chaque instant de notre existence soit une Pâque et nous prépare à la Pâque éternelle.
Alors, chrétien, cette nuit, décide-toi à faire de chaque seconde de ta vie une pâque : un passage de l’égoïsme à la générosité, de la défiance à la confiance en Dieu, de l’attachement aux richesses à la recherche des biens qui demeurent éternellement, de la domination sur les autres au service des plus petits, de la haine à l’amour, de la rancune au pardon, du vice à la vertu, de l’indifférence à la compassion, des récriminations à l’action de grâces, de la frustration à la joie d’être aimé sans fin.
Acceptons les passages ; ils sont parfois douloureux, dépouillants, déconcertants. Ils sont toujours pour un surcroît de vie ; ils nous emmènent vers le grand Passage, la Pâque éternelle où il n’y a plus ni peur, ni mal, ni mort.
Depuis cette nuit de la résurrection, chacun de nos actes, chacune de nos souffrances, chacune de nos relations, de nos crises, de nos doutes, de nos deuils peut devenir un passage avec Jésus : passage de l’esclavage à la liberté, de la damnation au salut éternel, de la tristesse à la joie que rien ne pourra jamais nous ravir. Christ est ressuscité : passons encore avec lui de la mort à la Vie !
Alléluia ! Amen.
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