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Sunday 3 November - 31e dimanche du temps ordinaire C
La nouvelle trompette de Jéricho
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire« Ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé » (Luc 15, 32). Cette conclusion bien connue de la parabole du fils prodigue se concrétise aujourd’hui dans les gestes du Christ. Zachée, un grand pécheur, était comme mort. Socialement, d’abord, il était mort ; rejeté par ses compatriotes, car il sentait mauvais la collaboration avec l’occupant romain ; rejeté sans doute aussi en raison de sa petite taille, dont on devait se moquer dans des chansons à boire. On peut s’amuser à voir quelque chose de Zachée dans le personnage campé par Louis de Funès dans la folie des grandeurs, librement inspiré du Ruy Blas de Victor Hugo. On y voit un ridicule petit chef, méprisé par tous sans même qu’il le sache.
Mais « il est l’or, Monsignor »[1]… « il est l’or » de changer de vie, ou plutôt de revivre ! Car si Zachée était socialement mort, il l’était aussi spirituellement : il avait choisi entre Dieu et l’argent, et il avait préféré le deuxième. Il s’était lui-même mis à mort.
Et voilà qu’il a suffi d’une rumeur ; peut-être d’abord seulement un peu de curiosité, pour voir celui dont tout le monde parlait. Mais le Seigneur sait se servir de la moindre étincelle pour embraser les cœurs. Et celui qui était mort, déjà retrouve de la vitalité : rapidement, il grimpe sur un sycomore, ce grand arbre fruitier où le Seigneur vient trouver le petit homme ; car le fruit est mûr pour être cueilli : « Zachée, descends vite » (Luc 19,5).
***
Dans cette ville de Jéricho où les trompettes avaient jadis fait s’écrouler les hauts murs de fortification[2], c’est maintenant la voix du Verbe éternel qui fait s’écrouler toute la logique de Zachée. Ecroulé son mépris des autres : il ira jusqu’à rendre quatre fois à ceux qu’il avait lésés. Ecroulé son amour de l’argent, car il a trouvé le vrai Dieu et n’a donc forcément plus goût pour les richesses éphémères. Ecroulé son égoïsme ; il donnera désormais la moitié de sa fortune aux pauvres, comme si son bonheur d’avoir trouvé le salut devait nécessairement être partagé avec les plus petits.
Frères et sœurs, à la place de Zachée, aurions-nous laissé nous aussi s’écrouler nos sécurités terrestres ? Ici-même, Benoîte a été tristement témoin de réticences à descendre vers le Seigneur. Un jour, elle rencontre une femme, sorte d’anti-Zachée refusant de s’ouvrir à la miséricorde de Dieu. La bergère cherche à la convaincre, mais les Manuscrits du Laus rapportent au sujet de cette femme : « son cœur est plus dur qu’un rocher de diamant et n’a pas d’oreilles pour écouter Benoîte ni pour réfléchir à ce qu’elle lui dit : qu’il n’y aura pas de paradis pour elle […]. Voici sa réponse d’impie et d’âme réprouvée : "j’aime mieux continuer ma vie libertine que de me convertir. Je fais de bons repas […]. J’aime mieux vivre dans mes plaisirs, me satisfaire, car je n’ai jamais manqué de rien. Et si je me convertissais comme vous me le dites, j’aurais de la peine à bien vivre" »[3]. Qu’il est difficile de se laisser libérer ! « Zachée, descends vite ! »
Mais Zachée qui descend de son arbre, c’est aussi Zachée qui abandonne ses prétentions. Tout s’écroule de ce qu’il avait édifié depuis des années. Désormais, il n’a plus besoin des fortifications qu’il s’était construites, peut-être pour compenser le complexe de sa petite taille. Il a passé des années, sans doute, à se fatiguer pour du superflu ; et il découvre maintenant que ce qu’il lui suffit là, à portée de main. Il n’a qu’à « descendre » pour accueillir le Christ chez lui.
Oui, dans Jéricho, ce sont aujourd’hui bien plus que des trompettes qui font s’écrouler quelques murs ; c’est le Sauveur du monde, dont la voix créatrice et recréatrice renverse les fausses réussites de Zachée et son chemin de damnation peut-être, pour lui offrir une vie nouvelle.
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Une vie nouvelle, c’est-à-dire non seulement suivre le Christ, ses préceptes, ses valeurs ; mais plus encore vivre du Christ, le laisser venir chez nous : « Zachée, aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison » (Luc 19,5). Il le faut, Zachée : si tu veux la vie, il faut que le Christ vienne demeurer chez toi.
Bien sûr, tu entends déjà ceux qui récriminent contre Jésus et donc aussi contre toi : « il est allé loger chez un pécheur » (Luc 19,7). Mais tu t’en moques désormais ; tu ne cherches plus à te protéger des autres pour compenser les railleries sur ta petite taille : tu as choisi le Christ ! On aura beau se moquer de toi, qu’importe : tu as trouvé le Sauveur ! Et parmi tes décisions de vie nouvelle, n’oublie d’ailleurs pas, à côté des dons que tu feras aux pauvres, de prier pour ceux qui te critiquent ou te maudissent, afin qu’ils découvrent eux aussi le bonheur qu’il y a à accueillir chez soi le Sauveur du monde.
Frères et sœurs, le Zachée qui sommeille en chacun de nous veut certainement voir Jésus. Il est prêt à monter sur un sycomore ou jusqu’à la montagne d’un sanctuaire, pour le voir même seulement de loin. Mais Jésus, lui, ne se contente pas de nous saluer de loin. Il s’approche, il nous a vus ; forcément, il nous a vus. Depuis le premier péché, où le Père cherchant Adam qui s’était caché lui demandait : « Où es-tu » ? (Gn 3,9) ; depuis ce temps-là, Dieu s’était fait miséricorde qui cherche, qui rejoint, qui saisit la moindre opportunité pour nous approcher et pour nous dire : « descends, il faut que j’aille demeurer chez toi ». Déjà, le livre de la Sagesse, en première lecture, désarmait nos réticences : « Seigneur, tu aimes tout ce qui existe, tu n’as de répulsion pour aucune de tes œuvres […]. Tu épargnes tous les êtres parce qu’ils sont à toi » (Sg 11,23.28).
Tu n’as donc rien à craindre, Zachée, petite créature que Dieu ne rejette pas ! Alors, « descends vite ». Si Jésus t’a trouvé, s’il veut venir chez toi, tu n’as qu’un geste à faire : « descends ». Car souvenons-nous, frères et sœurs, de ce que le Christ nous enseignait dimanche dernier : « qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » (Luc 18,15). Il s’agit donc de s’abaisser : « descends », rejoins ton Dieu dans la petitesse, accepte ta propre petitesse, descends de ton podium, cesse de vouloir être plus grand. Zachée, sois par choix ce petit que tu étais déjà par nature.
***
Oui, le Seigneur nous commande de descendre... mais pour quoi ? On peut se demander si ça vaut le coup ! Combien va-t-il falloir payer pour obtenir cette grâce d’être gracié ? Rien, Zachée. Tu n’as rien à payer, rien d’autre qu’à répondre à l’invitation : « aujourd’hui, il faut que j’aille demeurer dans ta maison ».
Tu entends ? Il le faut ! Il le faut pour toi, il le faut pour Dieu, il le faut pour toute l’Eglise. Laisse donc le Seigneur entrer dans ta demeure. Accueille-le sans crainte ! Tu découvriras que tu possèdes tout en accueillant le Christ, tout le reste n’étant que paille. Et tu voudras alors donner aux pauvres et rendre à ceux que tu as volés… mais le Seigneur n’en fait même pas une condition pour te rejoindre : c’est toi qui découvres qu’à son « il faut que j’aille demeurer dans ta maison », ton cœur répond : « il faut que je me libère de tout ce qu’il n’est pas à Lui ».
Car, pour que le Christ demeure en notre maison, il est nécessaire qu’il y trouve de la place. Faudra-t-il pour cela jeter à la rue lingots, pierres précieuses, canapés ou télévisions ? Qu’importe, ils sont désormais sans valeur pour celui qui reçoit chez lui le Sauveur du monde.
Car tu entends sa parole, Zachée, qui proclame au plus profond de ton âme : « aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison » (Luc 19,9) ! Ce qui était perdu est retrouvé ; celui qui était mort est revenu à la vie… alors, maintenant, vraiment : qu’il vive !
Amen
[1] Citation du film « la folie des grandeurs « , de Gérard Oury, 1971.
[2] Cf. Livre de Josué 5,31-6,27.
[3] CA G. p. 108 II [154] – année 1680.