Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 3 December - 1er dimanche de l'Avent
La nouvelle traduction du Notre Père
Par le père Ludovic Frère, recteurDifficile d’être passé à côté de l’information : même des médias non-chrétiens l’ont abondamment relayée. Aujourd’hui entre en vigueur la nouvelle traduction du Notre Père. Désormais, on ne dira plus : « ne nous soumets pas à la tentation », mais « ne nous laisse pas entrer en tentation ». Une seule phrase a changé, mais pour une différence de taille !
D’abord, nous pouvons dire un grand merci aux évêques de France, qui ont décidé de ne plus attendre : confirmée par Rome le 12 juin 2013 – ça fait quand même 4 ans et demi ! – cette traduction du Notre Père attendait que soit finalisée la nouvelle version du Missel romain. Mais puisqu’elle tarde à aboutir, les évêques ont choisi que ce 1er dimanche de la nouvelle année liturgique marque l’entrée en vigueur de cette nouvelle traduction de la prière du Seigneur.
On risque de se tromper encore bien souvent, avant que cette nouvelle expression nous devienne une habitude ! À moins que ce changement soit justement l’occasion de quitter l’habitude : on récite si fréquemment cette prière qu’on peut manquer de peser tout ce qu’on y demande.
Alors, l’Église nous offre aujourd’hui de vivre concrètement, au travers du Notre Père, l’appel lancé par Jésus dans cet évangile d’entrée en Avent : « prenez garde, restez éveillés ! » Quand vous priez le Notre Père, restez bien éveillés ; pas seulement pour un effort de concentration, mais pour bien aller au fond des choses.
*****
Ce changement de traduction met l’accent sur l’une des 7 demandes du Notre Père. Elle nous permet alors de saisir quelque chose d’important : avez-vous remarqué que sur ces 7 demandes, 3 visent notre combat contre le Mal ?
- « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé ;
- et ne nous laisse pas entrer en tentation,
- mais délivre-nous du Mal. »
C’est-à-dire que près de la moitié des intercessions de cette prière concerne l’enjeu du combat contre le Mal ! On est là face à une réalité tragique, fondamentale pour la vie humaine et décisive pour notre salut éternel ! Au sanctuaire du Laus, on sait combien la vie de Benoîte Rencurel fut un incessant combat contre le mal, avec pour enjeu essentiel la conversion des pécheurs, le salut des âmes.
Ce combat se poursuit aujourd’hui encore ; en venant au Laus, d’une certaine manière, vous l’acceptez : saisis par la grâce de ce sanctuaire, vous comprenez qu’il est impossible de déserter ce combat. Il appelle à une mobilisation générale ! D’ailleurs, en ce saint lieu, le Christ, la Vierge Marie, les anges et les saints : tous sont apparus à Benoîte afin qu’elle comprenne que la cour céleste dans son ensemble est mobilisée pour ce combat, qui durera jusqu’au retour du Christ en gloire.
Voilà le cadre essentiel pour comprendre la nouvelle traduction du Notre Père : le combat contre le Mal est au cœur de la vie humaine. Nous le savons d’ailleurs très bien : mort, violence, catastrophes naturelles, maladies,… la question du mal est celle qui vient le plus gravement interroger le sens de l’existence. C’est même la pierre d’achoppement de la foi : si Dieu est tout puissant et qu’il nous aime, pourquoi n’empêche-t-il pas le mal ? Avec cette majuscule dans la prière du Notre Père : « délivre-nous du Mal », pour que la chose soit bien entendue : on ne parle pas ici d’une simple inclination en nous. « Délivre-nous du Mal », c’est-à-dire : libère-nous des griffes du Mauvais, le Satan, « perverti et pervertisseur » (Paul VI), voulant notre malheur et se délectant de nos chutes.
*****
Mais pourquoi avoir voulu changer l’expression : « ne nous soumets pas à la tentation ? » Je ne sais pas pour vous, mais personnellement, en priant « ne nous soumets pas à la tentation », je n’ai jamais imaginé que Dieu pouvait être le tentateur. Le seul tentateur dont nous parle la révélation biblique, c’est bien sûr le démon. Dans la Bible, on trouve même en toutes lettres l’exhortation à ne pas s’égarer : « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : ‘Ma tentation vient de Dieu’, insiste saint Jacques dans son épître, avant de poursuivre : Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne » (Jc 1,13). C’est bien clair, n’est-ce pas ? Dieu peut éprouver la foi pour conduire à une vie plus fidèle à l’Évangile, mais il n’a rien à voir avec le mal.
Nous ne devrions donc jamais penser que Dieu puisse être à l’origine du moindre mal, quel qu’il soit. Le changement de traduction du Notre Père appelle donc sans doute aussi à changer certaines manières de parler : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? », se dit-on encore souvent. Comme si le Bon Dieu pouvait nous envoyer du mal ! Ou alors, dans des faire-parts de décès, on peut lire encore l’expression : « Il a plu à Dieu de rappeler notre frère défunt ». Vous pensez vraiment que la mort plait à Dieu ?
Hors de question pour un disciple du Christ d’envisager Dieu comme celui qui déciderait de la mort de l’un et de la survie d’un autre. Hors de question de penser un Dieu qui emploierait le mal, même pour un plus grand bien. Dieu est totalement étranger au mal. Totalement étranger ! Nous devrions penser toutes nos interrogations sur les drames de la vie, sur la souffrance et sur la mort à partir de cette conviction fondamentale révélé en Jésus-Christ : Dieu est totalement étranger au mal !
Cette première conviction motive peut-être, au plus profond de nous-mêmes, une nouvelle conversion : si notre Dieu est à ce point étranger au mal, nous devrions tous être pareillement étrangers au mal. En ce premier jour de la nouvelle année liturgique, souhaitions résolument ne plus rien avoir à faire avec le mal ! Alors, nous traduirons en actes ces paroles du Notre Père, d’une traduction bien plus décisive que la seule traduction d’une formule liturgique !
*****
Revenons pourtant à cette expression, pour bien en comprendre le sens : on abandonne la phrase « ne nous soumets pas à la tentation », trop ambiguë, pour celle-ci : « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Cette « entrée », c’est librement que nous la décidons. Nous demandons alors que le Dieu tout-puissant se place là, à la porte de tout désir de succomber au mal, et qu’il nous donne la grâce d’en refuser l’accès.
« Ne nous laisse pas entrer », car par nos seules forces, la tendance d’ouvrir cette porte est parfois séduisante, voire délicieuse, faussement délicieuse. Ou simplement, nous entrons dans cette complicité avec le mal par facilité, par paresse ou par orgueil.
Ô Seigneur, je t’en prie ! Ne me laisse pas prendre ce chemin-là ! Ne laisse aucun de mes frères et sœurs entrer dans ce jeu-là. Alors, nous te le demandons, car dans le feu de l’action il nous est bien moins facile d’avoir cette même résistance : manifeste ta puissance en te mettant en travers de notre chemin quand nous voulons choisir le mal ! « Ne nous laisse pas entrer en tentation » !
En te voyant, toi le Seul Saint, bien en face de nous dans toute ta gloire et ta beauté, c’est certain : nous n’aurons pas envie d’entrer dans ce qui fait notre malheur, dans ce qui offense ta majesté, dans ce qui blesse le monde. « Ne nous laisse pas entrer », Seigneur, « ne nous laisse pas entrer ! »
*****
Ce rôle de barrage solide et visible, le Seigneur l’a pour ainsi dire déployé : il nous offre deux personnes privilégiées pour ne pas entrer en tentation. La plus sublime, c’est la Vierge Marie, ce doux barrage maternel qui ne cesse de venir faire obstacle aux séductions du monde. Et aussi : notre ange gardien, fidèle petit barrage, qui ne ménage pas ses forces pour nous garder d’entrer en tentation.
Mais la Vierge Marie, les anges et tous les saints ne sont que des relais de ce grand barrage que le Seigneur a mis en travers de la route du Mal pour ne pas nous laisser entrer en tentation. Ce grand barrage, c’est la croix, solide barrière qui vient bloquer l’accès au Mal. Dressée sur nos chemins, elle remet en question nos choix et nos priorités de vie. Elle nous interroge profondément, cette croix où le Mal devient lui-même cloué et vaincu.
« Ne nous laisse pas entrer en tentation », c’est donc une expression de foi sublime. C’est confesser que la puissance de la croix a bloqué le chemin qui nous conduisait inéluctablement au mal et à la mort ! Le Sauveur ne nous a pas laissés dans une telle situation pathétique ; il nous a sauvés !
Ô Christ, nous t’en prions : que s’accomplisse davantage encore en nous ta victoire ! Autrement dit : « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du Mal ». Maranatha ! Viens, Seigneur Jésus !