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Sunday 25 September - Anniversaire de l'apparition de la Vierge Marie à Pindreau
"La fin de la nuit"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireFêter l'apparition de Pindreau, c'est d'abord fêter la nuit qui prend fin. Apparition lumineuse de la Vierge, Pindreau est pour Benoîte un retour de la lumière, après un mois d'absence de la Belle Dame. Ce silence va certainement se révéler fécond pour Benoîte. Quelle maturation a-t-il permis de développer dans son âme ? Quelle préparation à sa grandiose mission ? Qui peut le savoir ?
Sans doute Benoîte, gratifiée de quatre mois de témoignages célestes, devait-elle aussi faire l'expérience de ce qui est souvent notre lot quotidien dans la foi : le silence et l'impression d'absence, qui peuvent même nous conduire à douter de l'existence de Dieu. Mais cette étape de la vie de foi, cette nuit spirituelle que vivent peut-être certains d’entre nous en ce moment, peut se révéler d’une très grande fécondité.
Saint Jean de la Croix écrivait que « lorsque Dieu introduit l'âme dans cette nuit obscure, c’est pour l'amener à l'aridité et à la purification de l'appétit sensitif ». L’absence de sensation peut permettre d’aller plus à l’essentiel. Car le plus important dans la vie spirituelle, ce n'est pas que nous nous sentions bien quand nous prions ou que nous éprouvions quelque joie ; le plus important, c'est d'être avec le Seigneur, même si rien ne se passe en apparence. C'est une prière de totale gratuité, un amour vraiment désintéressé.
Mais il reste que la nuit du silence de Dieu suscite souvent en nous de nombreuses interrogations, dont nous entendions d'ailleurs comme un écho dans la première lecture. Le Seigneur y rapportait les paroles des hommes en ces termes : « vous dites : 'la conduite du Seigneur est étrange' » (Ez 18,25). Benoîte ne se privera pas d'exprimer ses interrogations, en prélude à la rencontre de Pindreau. Elle ne dira pas à Marie : « votre conduite est étrange », mais elle demandera : « d'où vient que m'ayez privé si longtemps de votre présence ? »
Cette question restera cependant sans réponse, parce que le Ciel n'a pas à nous rendre des comptes ; c'est nous qui sommes humblement appelés à entrer dans le projet divin et à tenir dans l'espérance que Dieu sait ce qui est bon pour nous. Ainsi, comme seule réponse à sa question, Benoîte reçoit un envoi en mission : « allez au Laus ». Alors que nous voulons des explications, le Ciel, Lui, nous met en marche.
* * *
Cependant, avant de partir pour le Laus où elle se rendra dès le lendemain, Benoîte goûte la joie de cette lumineuse rencontre de Pindreau. A l'instar de ces retrouvailles que nous espérons tant avec ceux qui nous ont quittés, Benoîte se réjouit de la fin de l'absence. Son espérance est comblée quand, de l'autre côté de la vallée, elle distingue au loin une lumière éclatante, sur la colline de Pindreau. La bergère en est certaine : ce ne peut être que la Belle Dame qui l’attend !
Mais Benoîte va devoir faire un grand effort pour la rejoindre : il lui faut traverser le torrent et gravir la pente de Pindreau pour accéder jusqu'au lieu de la rencontre. Alors qu'au Vallon des fours, la Vierge était apparue à Benoîte de manière facilement accessible, ici la bergère est appelée à un effort important pour rejoindre la Belle Dame.
Elle expérimente ainsi une autre réalité essentielle de la foi : le courage, l'effort et la persévérance. La vie de foi nous est rarement servie sur un plateau ; elle nous engage au contraire à faire des efforts, qui vérifient la profondeur de notre vie spirituelle et la réalité de notre amour de Dieu.
Ainsi en est-il pour Benoîte, qui doit traverser le torrent et monter la pente raide pour rejoindre la lumineuse apparition. Et la bergère ne renonce pas à l'effort, car elle sait ce qu'il y a à la clé : la rencontre tant attendue. De même, dans notre vie sur terre, ne renonçons pas aux efforts. Le pardon, l'amour des ennemis, le renoncement à soi-même ou la fidélité à la prière sont des attentions difficiles à mettre en œuvre chaque jour ; mais si nous osons les vivre, l'effort nous conduira jusqu'à la rencontre lumineuse, promise avec le Seigneur pour l'éternité.
Il n'y a pas de vie spirituelle réelle et profonde qui s'achète à bon marché ; la vie de foi est toujours un effort. Mais quand on aime vraiment, l'effort devient léger. L'effort d'une mère pour soigner son enfant malade, l'effort d'un prêtre pour se dépenser dans son ministère, et tant d'autres efforts généreux se révèlent des jougs bien légers s'ils sont vécus comme des actes d'amour.
En voyant Benoîte prendre avec enthousiasme le chemin de Pindreau malgré l'effort physique qui lui est nécessaire, nous pouvons penser aux paroles du Cantique des Cantiques, qui nous décrivent l'attitude du Seigneur Lui-même à notre égard : « voici mon bien-aimé qui vient ! Il escalade les montagnes, il franchit les collines, il accourt comme la gazelle » (Ct 2,8).
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« Il accourt comme la gazelle ! » Le Cantique des Cantiques aurait pu écrire, mais c'est moins poétique : « il accourt comme une chèvre », car c'est bien grâce à sa chèvre que Benoîte rejoint plus rapidement la Belle Dame ; et voilà que cet animal qu'elle avait refusé de donner à Marie au Vallon des fours devient maintenant le moyen pour la rejoindre au plus vite. Le Seigneur n’enferme décidément jamais dans le passé !
La chèvre de Benoîte, qui se retrouve désormais en bonne place sur le monument de Pindreau, comme pour signifier que sa présence n'est pas si anecdotique qu'il y paraît, témoigne que nous sommes aidés pour traverser les torrents et gravir les pentes.
Oserais-je dire que nous sommes les uns pour les autres comme des « chèvres de Benoîte », nous soutenant mutuellement dans notre montée vers le Ciel ? Nous nous aidons à traverser les torrents et à gravir les pentes ; par nos encouragements et nos conseils, par nos prières et nos témoignages d'affection, nous sommes les uns pour les autres des « chèvres de Benoîte ».
Mais aussi : les saints et les anges sont pour nous tous des chèvres de Benoîte, n'hésitons pas à nous agripper à eux ! Les sacrements sont des chèvres de Benoîte ; la prière du chapelet, la méditation de la Parole de Dieu, l'exercice de la charité, sont autant de chèvres de Benoîte qui nous portent pour nous mener plus haut, vers le lieu de la rencontre, vers la source de la lumière.
Fêter l'apparition de Pindreau, c'est donc méditer sur les personnes et les moyens qui nous sont donnés pour aller vers le Ciel ; méditer pour rendre grâce, car le Seigneur ne nous laisse jamais seuls, même si nous avons l'impression d'expérimenter la solitude, parfois si douloureuse ; nous ne sommes jamais seuls... sachons découvrir où sont nos chèvres !
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Et puis, fêter Pindreau, c'est fêter l'envoi en mission. Lorsqu'elle a rejoint la Vierge Marie, Benoîte s'entend dire : « allez au Laus ; vous y trouverez une chapelle d'où s'exhaleront de bonnes odeurs ; et là, très souvent vous me verrez, très souvent vous me parlerez ».
Quel envoi ! Non pas à l'autre bout du monde, mais seulement à six kilomètres de son lieu de naissance : rien de bien impressionnant dans cet envoi, comme pour nous inviter à reconnaître que, dans le quotidien le plus ordinaire de nos vies, le Seigneur ne cesse de nous envoyer nous aussi en mission.
Depuis ce matin, le Christ nous a tous déjà envoyés en mission plusieurs dizaines de fois ; y avons-nous seulement été attentifs ? Par la manière dont nous avons salué les personnes que nous avons croisées, par les pensées et les prières qui ont déjà habité nos cœurs en ce jour consacré au Seigneur, et par tant d'autres petites choses vécues depuis que nous nous sommes levés ce matin, le Christ nous a déjà confié bien des missions.
Nous avons répondu à certaines, nous en avons négligé d'autres. Mais toutes sont importantes, en tant que, si nous y répondons, nous permettons au Seigneur de répandre de l'amour, son Amour. Ne pensons pas que nous sommes exemptés de mission : n'attendons pas qu'elles soient grandioses pour y répondre : comme Benoîte, c'est d’abord tout près de chez nous que nous sommes envoyés.
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Frères et sœurs pèlerins, missionnaires et chèvres, en fêtant aujourd'hui l'événement unique de l'apparition de Pindreau, nous ne devrions pas manquer de nous rendre en ce beau lieu.
D'abord parce qu'on ne peut se lasser de la beauté du paysage qui nous y est offert. Mais plus encore parce que ce lieu unique est vraiment propice à une profonde méditation : sur les silences de Dieu comme sur la nécessité de nos efforts spirituels ; sur l'enthousiasme à venir à la rencontre du Ciel comme sur la joie de répondre à la mission ; sur la reconnaissance des aides qui nous sont offertes pour monter plus haut, comme sur l'acceptation que les temps de Dieu ne soient pas ceux de nos durées terrestres...
Il y a une telle profondeur spirituelle dans l'apparition de Pindreau ! Une profondeur dans laquelle nous pouvons humblement accepter d'aller puiser pour que notre foi ne soit pas celle du fils de l'Evangile, qui dit « oui » à son Père mais qui reste inactif.
Que l'apparition de Pindreau nous rende dynamiques, agissants, bondissants, courageux pour gravir les pentes ! Et qu'elle nous fasse déjà goûter la joie de la lumière, la joie des retrouvailles, comme un prélude à la délicieuse rencontre qui nous attend au sommet, dans l'éternité. Amen.